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Le bar à poèmes
3 septembre 2024

Iliazd / Ильязд (1894 – 1975) : Sentence sans paroles

 

Sentence sans paroles

 

Dans la ville où le jour et l’an muaient

si tu passas tout juste deux semaines

neiges divises brumes que promènent

l’hiver à l’occasion ne refluait

 

Ou la mémoire fauve conspuait

ou pour nos vieux ancêtres notre haine

à vivre en rêve pas en vie humaine

à nous dissoudre d’un réveil fluet

 

Rien à toucher à voir et guère à dire

que l’art est glauque et la parole pire

tourne la page l’âme est aux abois

 

Pas d’autres commentaires tu décides

j’entre à jamais dans cette chambre vide

libre de crainte tu poursuis ma voie

 

 

Libre de crainte tu poursuis ma voie

en route vile au bord d’un précipice

où des chevaux nocturnes retentissent

un fleuve enfui armure col étroit

 

Tes mots sont étouffés sur les parois

de glace lune abrupte subreptice

ils couvrent noirs les pierres qu’ils noircissent

ils cabrent les chevaux ils crient l’effroi

 

Crinières des forêts des roches vives

le mur bouillonnant engloutira la nuit

répercutant une aube vacillante

 

Précipitée dans une vie sans rives

la vieille mort t’absout pour aujourd’hui

peut-être pas finalement consciente

 

 

Peut-être pas finalement consciente

recouvre-moi oublie je ne suis plus

rien dans l’été pourri qu’aura voulu

dame-nature notre mère et tante

 

L’aube moisie fayote sur les sentes

dépiaute les dépouilles du reclus

les plumes du pivert le jour s’est plu

faisant la belle reine déficiente

 

La cruche le raisin le pain porté

dont le piéton perpétua l’usage

ruines des dieux la terre aux vieilles lois

 

Le ciel s’effacera de l’œil bleuté

ne découvrant ni larmes ni nuages

inapte à maîtriser le gouffre toi

 

 

Inapte à maîtriser le gouffre toi

au loin des tours tes pavillons s’installent

la vague ne viendra fondamentale

cernée d’amies crieuses frêles joies

 

N’accuse pas l’été qui s’atermoie

les siècles entassés mon âme étale

si tu réveilles dans l’issue fatale

les fleuves bouillonnants les chants de soie

 

Vision nouvelle dans un cadre antique

loin des montagnes des replis pontiques

où te morfonds gravée munie d’écrins

 

Et tu devines juste un vent qui vente

que tu reposes comme le bon grain

dorénavant ni morte ni vivante

 

 

Dorénavant ni morte ni vivante

la voûte bleue dans le château désert

est prête à mettre en phrases le concert

nommant l’étoile dans le soir filante

 

Dans l’escalier où la forêt se plante

l’interdiction fait sa dentelle en fer

sans armes lourde de son propre enfer

secret polichinelle mise en vente

 

La repentance les aveux sans nom

ne pourront pas changer cet ordre rond

globalité brillante impérative

 

En vain pour moi tel monstre qui aboie

en vain l’horloge et la locomotive

au prisonnier du feu des astres froids

 

 

Au prisonnier du feu des astres froids

la rose en fleur l’esbroufe des tavernes

syllabes non liées ne me décerne

ni les lauriers ni d’autres si je crois

 

La nuit fera la veuve chaque proie

qui se transforme en nous quand l’or nous cerne

ma route quoi c’est la parole terne

le cœur incohérent mon sombre choix

 

Que les baudruches de nos premiers songes

s’élèvent dans la brume que prolonge

ce faux demi-sommeil ce presque faux

 

désengourdissement que mon défaut

demeure laisse-moi ces consolantes

pour l’indicible clés d’énigmes lente

 

 

 

Pour l’indicible clé d’énigmes lentes

La route en fer nous mène loin

La canne d’encre ne soulage point

La page aura son poids la virulente

 

L’automne l’étrangère la démente

laisse envolés les bataillons témoins

nuages grisonnants son triste soin

démêle fait des nattes parlemente

 

Tu préféras la guerre aux cœurs souillés

et l’incommensurable quenouillée

tendresse ma fileuse clandestine

 

S’affole en plaine assassinée sanguine

je sors de cette vie de pékinois

sentence sans paroles vient ta voix

 

 

Sentence sans paroles vient ta voix

soit en furie soit bénissant les choses

vent des collines qui la teint de rose

et lui miroite le ruisseau pantois

 

Hérauts d’hiver en marche dans les bois

rossignolantes sans métamorphoses

mes teintes s’éparpillent se déposent

sapins de l’encre hêtre qui pourproient

 

Toi satisfaite de la route trouble

tu fais la fière mais ton jeu est double

légère un vent frivole adieu s’asseoir

 

Au seuil mauvais de la taverne soir

si vous saviez si si je suis méchante

et je moissonne les saisons couchantes

 

 

Et je moissonne les saisons couchantes

vient le chanteur l’orchestre les signaux

l’agneau que porte le porteur d’agneaux

service à la Noël et l’homme chante

 

Le sort du verbe juste m’épouvante

chez les braillards les chiches les corniauds

comme ils ne cachent leurs replis faciaux

leur masque affiche quelque mort violente

 

Ô science du langage tu régis

le feu qui couve le restant de cire

le gouffre jaune pourpre la bougie

 

Scintille sans écho résiste étire

consume-toi sans trace te rongeant

de flamme droite le reflet changeant

 

De flamme droite le reflet changeant

le port s’est emparé des monts qu’il toise

leçon des siècles fermement narquoise

pour te complaire scribes diligents

 

Les brumes n’auront rien nous assiégeant

sans la dorure ancienne la turquoise

ni les abeilles vides qui dégoisent

festin de crénelures dur argent

 

Là sous l’emprise vieille des décombres

la plume trace jusqu’à la pénombre

qui te protège et t’offre le matin

 

La page bleue ne vole plus altière

les vents reviennent vers leur bon latin

la nuit donne à mon ombre sa matière

 

 

La nuit donne à mon ombre sa matière

la caverneuse insiste vit toujours

qu’ils errent sur la lune les balourds

mes faux miracles mes visions plénières

 

Que la diversité de nos litières

demeure l’une où quelque fleuve sourd

la houle c’est la mer sans les contours

rien ni personne on s’y voudrait poussière

 

Toi découvrant la horde de mes rats

ils fusent comme ils grouillent parviendras-

tu à les fuir dans la lumière dense

 

La foudre en moi soudain qui refluait

unique pour nous deux la récompense

dans les murailles et les murs muets

 

 

Dans les murailles et les murs muets 

fréquentes ma terreur et ma détresse

en nœud serré se roulent mes tristesses

et l’espérance orage que tu es

 

Les pierres et les vents s’évaluaient

pas un qui bouge de sa haine épaisse

mais les héros s’érodent se repaissent

d’eux-mêmes guerre sourde ils engluaient

 

J’obstine nomadise l’œil et l’yeuse

trembleur d’automne du printemps du veuf

je dors en plein soleil je crains le neuf

 

Je parle dans les salles silencieuses

où sans plafond le vide est exigeant

je te cherchais aveugle chez les gens

 

 

Je te cherchais aveugle chez les gens

je reflétais de glace en glace l’onde

les routes tortes des forêts profondes

les doutes louves mais en plus méchant

 

Le ramené en pourpre sur les champs

le jour rappelle que vengeance gronde

pas une roche n’est plus seule au monde

pas un oiseau plus libre que ce chant

 

Voir voir sans cesse pesamment en garde

pas touche aux lampes toute montre en toc

tu apparais alors et je regarde

 

Tu me dépeuples comme une incendiaire

ô cendre plus obtuse que le roc

toi qui delà les âges les frontières

 

 

 

Toi qui delà les âges les frontières

au centre invraisemblable des brûlis

je tresse ta couronne qui me lie

à quelque faute obscure mais première

 

Les rimes sur les tombes font du lierre

et le silence de l’étoile oublie

que son écho le jeu des sons emplit

sa caisse résonnante et singulière

 

Je mène au bout les cercle des adieux

hasard fermé notre journal aura lieu

dans les colimaçons de la mémoire

 

Nous fûmes nous notre ombre remuait

survint la mort éblouissante et noire

dans la ville où le jour et l’an muaient

 

 

Libre de crainte tu poursuis ma voie

peut-être pas finalement consciente

inapte à maîtriser le gouffre toi

dorénavant ni morte ni vivante

 

Au prisonnier du feu des astres froids

pour l’indicible clés d’énigmes lentes

sentence sans paroles viens ta voix

et je moissonne les saisons couchantes

 

De flamme droite le reflet changeant

la nuit donne à mon ombre sa matière

dans les murailles et les murs muets

 

Je te cherchais aveugle chez les gens

toi qui delà les âges les frontières

dans la ville où le jour et l’an muaient

 

 

Traduit du russe par André Markowicz

in, Iliazd : « Œuvres poétiques »

Editions Mesures, 2020

Du même auteur :

« A l’automne... » / « Осенью... » (04/09/2021)

« La guerre éructe » (04/09/2022)

« Je fus j’ai cessé d’être... » (04/09/2023)

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