Kenneth White (1936 - 2023) : Dans les paroisses du sable
Installé à Trébeurden, l'écrivain Kenneth White travaille encore 12 h par jour à son oeuvre.(2022) ©Marie-José Mignot
Dans les paroisses de sable
Commence, par exemple, à Brouage
remparts gris
au milieu des marécages
le cri d’une linotte
au-dessus des parcs à huîtres
un vent frais soufflant de l’ouest
marche le long des rues quasi désertes
(« les jeunes quittent le pays
qui les en blâmera ? »)
jusqu’à ce pilier surmonté
d’un globe terrestre blanc et usé
dans l’église
(humide et froide, murs chaulés de blanc)
sur un vitrail
tu liras ces lignes :
la mer s’est retirée de la terre
comme l’Histoire
et la forteresse inconnue
ne vit plus que grâce
au vent qui passe
ici Champlain pria
avant de partir une nouvelle fois pour Hochelaga
et seul maintenant le vent souffle
sur le port ensablé...
pousse ensuite un peu plus vers le sud
jusqu’à la pointe des Espagnols
en suivant cette côte
que longeaient les bateaux phéniciens
en route vers la Cornouaille et l’étain
descends par Royan
et les vignobles du Médoc
(Théon vécut là dans une hutte au toit de roseau)
traverse les eaux sablonneuses de la Gironde
et tu atteindras ce chapelet
de villages silencieux
où le sable s’empile
contre le bois blanchi
où l’herbe des dunes
ploie sous le vent du large
(longs rouleaux déferlant sur les plages)
marche là
dans ce grand vide
rempli de lumière
et pense à tous ces lieux
à toutes ces traces
perdus dans le sable.
Traduit de l’anglais par Marie-Claude White
In : « Les rives du silence »
Editions du Mercure de France,1997
Du même auteur :
Le Grand Rivage (1 - 53) (06/09/2014)
La porte de l’ouest (02/09/2015)
Lettre à un vieux calligraphe (03/09/2016)
Théorie (03/09/2017)
« La pensée est une pensée... » (03/09/2018)
Java (02/09/2019)
La rivière qui traverse le temps (03/09/2020)
Le testament d’Ovide (03/09/2021)
En toute candeur (03/09/2022)
Cérémonie d’hiver (03/09/2023)