Yousouf Al-Khal (1917- 1990) / يوسف الخال : Poème long, I-II-VIII-IX-X
Poème long
I
Je ne vois pas un maître dans la foule. Les cygnes se déploient
sur le lac et il n’y a aucun aigle à l’horizon. L’eau est stagnante et les rives
sont plus proches que le bout de ton nez. L’air est lourd.
La lumière est lourde. L’âne
parle, mais pas par miracle. L’aveugle voit, pas par miracle. Le mort se lève,
pas par miracle. Le miracle est un chiffre dans une machine, et le ciel
est resté dans l’inconnu.
J’étais silencieux tout en parlant. La femme près de moi est un vêtement
déserté.
Je boirai la coupe, et la coupe est vide. Je sourirai et ma bouche
est sans lèvres. Je récolterai un champ que j’ai planté dans les ténèbres.
Je suis la nuit, et les voleurs m’attendent.
II
Je planterai une bouteille sur le trottoir et la prendrai pour une femme.
Un peu, un peu de chaleur. Mon corps est froid comme la malédiction.
Durant mille ans, j’ai mâché le khat. Durant mille ans
j’ai monté un cheval mort. Durant mille ans, j’ai été sans visage.
Mon masque est une épitaphe sur une tombe.
Aujourd’hui je suis un touriste sans identité. Mon argent est faux
et ma tête sans cheveux.
Mon cortège est de roseaux dans lesquels souffle le vent.
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VIII
Ne dansez pas sur ma tombe, je ne suis pas encore mort.
Depuis l’aube je regarde de tous côtés dans la foule. Je n’y vois aucun maître.
Les rats sont des militaires dans l’Etat du roi. Leurs armes sont des pieds
noyés dans un lit de boue.
A qui sont-ils ces yeux couleur de pistache ? A qui cette paresse dans les croupes ?
A qui ces ventres qui balancent et titubent comme des roseaux dans le vent ?
Je suis la douce forêt, dit le lâche.
Je suis la bifurcation du chemin, dit le paralysé.
Mes mots sont secs comme du charbon, noirs comme des charrettes de morts.
Et le savoir que j’ai volé pour les gens sera précipité avec moi dans l’abîme.
IX
A la dégradation est destiné ce fruit tombé.
A la perdition en fausse terre.
En présence des aveugles nous comptons nos doigts, et devant
le sultan nous nous taisons comme des tapis.
Les aigles font leurs nids dans le sable
et les saints prient dans la boue.
Levez vos chapeaux ô vous qui êtes en chômage.
L’idole est vautrée au bord du chemin elle étale
ses abcès à la face du soleil.
L’idole déroule sa trompe parmi nous
elle met en mouvement la langue du meurtre,
elle porte l’odeur des fourrés, elle se ceinture avec
le vent jaune.
L’idole est dans les maisons et il n’y a pas de cendre dans les poêles.
La trinité qui vous effraie est devenue un.
Son pain est une pierre, et son vin est un goudron pout la gale.
Le sou de la veuve est de la fausse monnaie. Et la mort est une poignée vide.
X
A ‘Abdnãi’ïl je raconte mon histoire. A ces esclaves
hommes et jeunes filles, ce chant éphémère.
Les jours derniers sont aux portes, leurs heures sont sur la pointe
des pieds.
La défaite est un drapeau hissé, et la douleur de l’accouchement
mers qui brûlent.
Donnez-nous un signe, ô Seigneur.
Traduit de l’arabe par Saleh Diab
in, « Poésie syrienne contemporaine. Edition bilingue »
Le Castor Astral éditeur, 2018
Du même auteur :
Le voyage (31/07/2019)
Les compagnons (31/07/2020)
Le puits abandonné (21/08/2023)