Yousouf Al-Khal (1917- 1990) / يوسف الخال : Le puits abandonné
Le puits abandonné
J’ai connu ’Ibrahim, mon cher voisin, il y a longtemps.
Je l’ai connu pareil à un puits dont l’eau débordait
tous les gens
passaient, nul n’y buvait, n’y jetait
pas même une pierre.
« Et s’il m’était donné encore une fois de déployer mon front
sur le mât de la lumière »
dit ’Ibrahim sur un papier
taché de son sang versé en vain,
« voyons, le ruisseau changerait-il son cours,
les branches bourgeonneraient-elles en automne
et les fruit mûriraient-ils,
les plantes pousseraient-elles dans la pierre ? »
S’il m’était donné
s’il m’était donné de mourir ou de vivre encore une fois
le ciel se dériderait-il, les aigles ne déchireraient-ils pas
sur les terres rases les caravanes des victimes ?
Les usines, la fumée riraient-elles ?
Le bruit se tairait-il dans les champs,
dans la grand-rue ?
Le pauvre mangerait-il son pain quotidien
à la sueur de son front et non pas avec les larmes de l’humilité ?
« Et s’il m’était donné de déployer mon front
sur le mât de la lumière
s’il m’était donné de rester en vie,
voyons, Ulysse reviendrait-il ?
Et le fils désobéissant, et l’agneau ?
Et le pécheur frappé de cécité reviendrait-il
afin de voir le chemin ?
Quand l’ennemi a braqué le canon de la mort
et que les soldats se sont précipités sous une averse
de balle et de mort,
on leur a crié : « Reculez, reculez.
Dans le refuge derrière, c’est un abri
face aux balles et à la mort ! »
Mais ’Ibrahim a continué de marcher
en avant, de marcher,
et sa poitrine étroite remplissait l’horizon.
« Reculez, reculez.
Dans le refuge derrière, c’est un abri
face aux balles et à la mort ! »
Mais ’Ibrahim a continué de marcher
comme s’il n’entendait pas l’écho.
Et on disait c’est de la folie
sans doute est-ce de la folie.
Mais j’ai connu ’Ibrahim, mon cher voisin, il y a longtemps.,
dans l’enfance.
Je l’ai connu pareil à un puits dont l’eau débordait
tous les gens
passaient, nul n’y buvait, n’y jetait
pas même une pierre.
Traduit de l’arabe par Saleh Diab
in, « Poésie syrienne contemporaine. Edition bilingue »
Le Castor Astral éditeur, 2018
Du même auteur :
Le voyage (31/07/2019)
Les compagnons (31/07/2020)
Poème long, I-II-VIII-IX-X (21/08/2024)