Yousouf Al-Khal (1917- 1990) / يوسف الخال : Le voyage
Le voyage
Dans le jour, nous descendons vers les ports,
notre protection,
vers les navires aux voiles déployées
pour le voyage.
Et nous crions : O toi, ô notre océan bien-aimé,
oui, toi, proche océan,
paupière affectionnée
de nos yeux !
Nous venons vers toi, seuls ; car nos compagnons
retranchés derrière leurs montagnes,
là-bas, ont choisi
de demeurer captifs des longues léthargies,
tandis que nous choisissons
le voyage !
Les gardiens ici nous ont informés
qu’il est des îles, au loin, passionnément
éprises du danger,
détestant l’installation à demeure
et la circonspection,
des îles luttant corps à corps
avec le destin,
semant les dents des hommes morts
au hasard des déserts,
Et des villes : lettres lumineuses
transcrivant mille exploits,
occupant en totalité la vision dévolue par leurs soins
à nos yeux,
parées de l’extraordinaire couleur
dont rêvent
les grandes âmes au cours de leur jeune âge...
C’est ici que nous embarquerons à bord de navires
portant cargaison de verre soufflé, de bois de pin,
de tissus de soie,
lourds des vins de nos pays,
de leurs fruits.
Nous crions : Ô navires, ô passerelle, larguez tout
après nous avoir accueillis et conduisez-nous
à la rencontre de l’Autre !
de celui qui nous apportera ce qui plus que tout
nous importe
et qui de nous pourra prendre
mille douceurs...
Ô toi roulier, vois : nous sommes venus vers toi,
seuls, laissant derrière nous
nos compagnons, là-bas, dans les sables ;
car ils ont préféré
la demeure, le repos sous la miséricorde
de la coutume, des provisions sagement amassées
mais sujettes à l’épuisement,
de l’ennui...
alors que nous, nous avons choisi le voyage !
Les gardiens nous ont fait savoir
dans nos montagnes
qu’il y a là-bas des îles que submerge la pluie,
que submergent les pâles nuées, dans une odeur
d’ondée et de lavande,
des îles qui ne connaissent pas l’ennui !
C’est à elles, à un monde de couleurs inaperçues
que rêvent
les grandes âmes au cours de leur jeune âge...
Et avant de nous mettre en route,
nous immolerons des agneaux,
l’un pour ’Achtaroûte, l’autre pour Adonis,
et le troisième
pour Baal. Puis nous larguerons les amarres
et le jeune vaisseau sur la calme mer
commencera son voyage :
Alléluia ! Alléluia !
et bientôt disparaîtront à nos yeux
les montagnes et les ports,
notre protection, et les demeures
aux mains pleines de fleurs :
Alléluia ! Alléluia ! Alléluia !
Oui, que commence le voyage !
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Traduit de l’arabe par René Rizqallah Khawam
in, « La poésie arabe »,
Editions Phébus (Libretto), 1995
Du même auteur :
Les compagnons (31/07/2020)
Le puits abandonné (21/08/2023)
Poème long, I-II-VIII-IX-X (21/08/2024)