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Le bar à poèmes
20 août 2024

Serge Essénine / Сергей Александрович Есенин (1895 – 1925) : Lettre à ma mère / Письмо матери

 

Lettre à ma mère

 

Tu es là, tu vis, ma petite vieille,

Je te salue bien. Moi aussi, je vis,

Que vienne resplendir sur ta chaumière

La lumière ineffable de jadis.

 

On m’a raconté que, cachant tes doutes,

Tu t’inquiètes fort à mon propos,

Que tu vas, souvent, sur la grande route,

Engoncée dans ton vieux caraco.

 

On me dit aussi, que la nuit tu rêves

A mes nuits, aux rixes des tripots,

Que tu vois souvent un bandit qui lève

Sur ton fils la lame d’un couteau.

 

Ce n’est rien, rassure-toi, chérie,

Tout cela n’est rien qu’un cauchemar.

Mon âme n’est pas à ce point pourrie

Que je puisse crever sans te revoir !

 

Non, je suis toujours le même, un tendre,

Et je n’ai qu’un seul désir au cœur :

Quitter ce bourbier et ces méandres,

Revoir la maison basse du bonheur.

 

Je viendrai, quand ouvrira ses branches

Le jardin, au souffle du printemps,

 Si tu me promets que les dimanches

Tu me laisseras dormir mon content.

 

Ne réveille pas les choses mortes,

Ne ranime pas les vains espoirs,

J’a joué trop tôt ma vie – qu’importe !

Je suis déjà las – faut pas m’en vouloir.

 

Ne viens pas m’apprendre la prière,

C’est fini, sans espoir de retour.

C’est de toi que me vient la lumière

De toi seule la joie et le secours.

 

Oublie, donc, tes craintes et tes doutes,

Ne t’attriste pas à mon propos.

Ne vas pas guetter sur la grande route,

Engoncée dans ton vieux caraco.

                                                       1924

 

 

Traduit du russe par Gabriel Arout

In, « Quatre poètes de la révolution »

Les Editions de Minuit, 1967

 

Lettre à ma mère

 

Tu vis encor, ma vieille mère !

Me voici ... Salut cordial !

Et qu’au-dessus de ta chaumière

Brille un rayon d’or vespéral !

 

On m’écrit que, très inquiète,

En secret pour moi te rongeant,

Dans ton ancienne jaquette

Tu sors sur la route, souvent ;

 

Que, dans l’ombre, parfois, tu songes

Aux querelles de cabaret,

Au long couteau finnois qui plonge

Sa lame bleue au coeur, d’un trait.

 

Nitchevo ! Calme-toi, ma bonne !

Tout cela n’est qu’un cauchemar !

Suis-je donc à ce point ivrogne

Jusqu’à mourir sans te revoir ?

 

Non, je suis toujours aussi tendre,

Rêvant, comme à ma guérison,

De pouvoir au plus tôt me rendre

Dans ta basse et vieille maison.

 

Quand refleuriront, printanières,

Les branches dans notre jardin,

Je reviendrai ; mais surtout, mère,

Ne m’éveille plus le matin !

 

Paix à ce qui n’a pu se faire !

Paix aux rêves inaccomplis !

Je fus déçu trop jeune, ô mère,

Et je ne cherche que l’oubli.

 

Non, ne m’apprends pas la prière

Qui n’a plus de place en mon cœur,

C’est toi mon aide et ma lumière,

C’est toi mon unique bonheur !

 

Ne sois pas toujours inquiète,

En secret pour moi te rongeant,

Mère, et ne sort plus si souvent

Sur la route en vielle jaquette.

                                                       1924

 

Traduit du russe par Katia Granoff

In, « Anthologie de la poésie russe »

Editions Gallimard (Poésie), 1993

Du même auteur :

 La confession d’un voyou (21/08/2021)

Trente-six / Поэма о 36 (21/08/2022)

De Profondis quarante fois / Сорокоуст (21/08/2023)

 

Письмо матери

 

Ты жива еще, моя старушка?

Жив и я. Привет тебе, привет!

Пусть струится над твоей избушкой

Тот вечерний несказанный свет.



Пишут мне, что ты, тая тревогу,

Загрустила шибко обо мне,

Что ты часто ходишь на дорогу

В старомодном ветхом шушуне.



И тебе в вечернем синем мраке

Часто видится одно и то ж:

Будто кто-то мне в кабацкой драке

Саданул под сердце финский нож.



Ничего, родная! Успокойся.

Это только тягостная бредь.

Не такой уж горький я пропойца,

Чтоб, тебя не видя, умереть.



Я по-прежнему такой же нежный

И мечтаю только лишь о том,

Чтоб скорее от тоски мятежной

Воротиться в низенький наш дом.



Я вернусь, когда раскинет ветви

По-весеннему наш белый сад.

Только ты меня уж на рассвете

Не буди, как восемь лет назад.



Не буди того, что отмечталось,

Не волнуй того, что не сбылось,—

Слишком раннюю утрату и усталость

Испытать мне в жизни привелось.



И молиться не учи меня. Не надо!

К старому возврата больше нет.

Ты одна мне помощь и отрада,

Ты одна мне несказанный свет.



Так забудь же про свою тревогу,

Не грусти так шибко обо мне.

Не ходи так часто на дорогу

В старомодном ветхом шушуне.

                                                              1924

Poème précédent en russe :

Guennadi Aïgui / Геннадий Николаевич Айги : Le dernier départ. 5-8 / ОСЛЕДНИЙ ОТЪЕЗД. 5-8 (02/08/2024)

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