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Le bar à poèmes
26 janvier 2024

Ovide / Publius Ovidius Naso (43 av.J.C. – 17 ou 18 ap. J.C) : Pénélope à Ulysse / Pénélope Ulixi

300px-Ovid_by_an_anonymous_sculptor[1]

Buste d'Ovide. Galerie des Offices (Florence)

 

Pénélope à Ulysse

 

C’est à cause de ton retard, Ulysse, que ta Pénélope t’écrit ceci ;

     Mais ne me réponds rien ; viens en personne.

Troie, que les femmes grecques haïssent, est tombée, c’est certain :

     Priam et Troie toute entière avaient si peu de prix !

Oh ! si le suborneur(1) avait pu, lorsqu’il gagnait Lacédémone

     Avec sa flotte, être englouti dans les eaux déchainées,

Je n’aurais pas langui dans un lit déserté, toute froide,

     Je ne me plaindrais pas, délaissée, de la lenteur des jours qui passent

Et ne chercherais pas à tromper le vide de mes nuits

     En fatiguant mes mains privées de toi sur un ouvrage en souffrance.

Quand donc n’ai-je pas redouté des dangers plus graves que les vrais ?

     L’amour est une réalité bien pleine de crainte et d’inquiétude.

Je me représentais les Troyens se jetant violemment sur toi,

     Au nom d’Hector j’étais toujours livide ;

Si l’on me racontait Antiloque vaincu par Hector,

     Antiloque faisait naître mes craintes ;

Si le fils de Ménoetios était tombé sous des armes d’emprunt,

     Je déplorais que la ruse n’ait pu être couronné de succès ;

Une lance lycienne était devenue chaude du sang de Tlépolème :

     La mort de Tlépolème raviva mes tourments.

Enfin, chaque fois que l’on égorgeait dans le camp achéen,

     Mon cœur aimant était plus froid que glace.

Mais un dieu bienveillant s’est montré favorable à mon amour fidèle :

     Troie fut réduite en cendres par mon époux qui est sauvé.

Les chefs argiens sont revenus, les autels fument :

     Les dépouilles barbares sont déposées devant les dieux de nos aïeux.

Les maris étant saufs, leurs femmes apportent d’agréables offrandes :

     Ils chantent, quant à eux, la chute de Troie vaincue par les leurs.

Les admirent les vertueux vieillards et les jeunes filles frémissantes ;

     L’épouse est suspendue aux lèvres du mari qui raconte

Et quelqu’un dessine sur la table dressée les farouches combats,

     Peignant dans un peu de vin pur Pergame(2) tout entière ;

Par là coulait le Simoïs, voici le pays de Sigée,

     Ici se dressait fièrement le palais royal du vieux Priam ;

De ce côté campait l’Eacide(3), de cet autre Ulysse ;

     C’est ici qu’Hector, mis en pièces, effraya ses chevaux déchainés.

[Car le sage Nestor avait tout raconté à ton fils parti

     A ta recherche, et celui-ci me l’avait rapporté(4).]

Il rapporta aussi comment furent mis en pièces Rhésus et Dolon,

     Le premier victime du sommeil, le second de la ruse.

Tu as osé, oh ! à ce point, à ce point oublieux des tiens,

     Pénétrer par surprise et de nuit dans le camp des Thraces

Et abattre tant d’hommes à la fois, avec l’aide d’un seul !

     Mais tu étais bien avisé et avant tout pensais à moi...

Mon cœur fut agité d’angoisse jusqu’à ce que l’on m’eût dit que, vainqueur

     Tu étais rentré chez les nôtres avec les chevaux ismariens.

Mais que m’importe, à moi, que vos bras aient détruit Ilion,

     Que ce qui a été un rempart soit rasé

Si telle que je demeurais quand Troie résistait je demeure,

     Et si mon époux absent doit me manquer sans fin ?

Pergame est brisée pour les autres, pour moi seule elle subsiste,

     Labourée par les bœufs captifs des colons victorieux.

Là où il y avait Troie il y a déjà des champs et la terre

     Lourde de sang phrygien s’offre à la taille de la faux.

Les araires incurvés frappent les restes à demi enfouis

     De nos héros ; la végétation cache des maisons en ruine.

Vainqueur, tu es absent, et je ne puis apprendre la cause

     De ton retard ni en quelle contrée, cœur de fer, tu te caches !

Quiconque dirige un navire étranger vers nos rivages

     Repart interrogé par moi cent fois à ton sujet

Et se voit confier une lettre, écrite de ma main,

     Qu’il devra te remettre s’il te rencontre un jour.

J’ai écrit à Pylos, résidence du vieux Nestor, fils de Nélée ;

     Des rumeurs peu fiables me sont revenues de Pylos.

J’ai écrit à Sparte : Sparte ne sait rien de précis non plus

     Sur quelles terres habites-tu ? Ou prolonges-tu ton absence ?

Il vaudrait mieux que les murailles de Phoebus(5) fussent encore debout

     (Je m’emporte, hélas ! contre mes désirs, suis-je bête !)

Je saurais où tu te bats, ne redouterais que la guerre

     Et mes plaintes rejoindraient celles de beaucoup d’autres.

Que dois-je redouter, je l’ignore ; je redoute tout cependant,

     Insensée, et un vaste champ s’ouvre à mon inquiétude.

Tous les dangers de la mer, tous ceux de la terre,

     Je les soupçonne d’être la cause de ton long retard,

Pendant que je les crains sottement, peut-être est tu retenu

     (Votre goût du plaisir est tel !) par une amante étrangère ;

Sans doute lui raconteras-tu quelle rustaude est ta femme,

     Qui ne sait rien d’autre que dégrossir la laine.

J’aimerais me tromper : que cette accusation se dissipe dans l’air fluide

     Et que, libre de revenir, tu ne veuilles pas rester loin !

Mon père Icarius me pousse à quitter mon lit déserté

     Et ne cesse de me reprocher cette attente infinie.

Qu’il reproche autant qu’il le veut ! Je suis à toi, à toi, il faut le dire :

     Pénélope, épouse d’Ulysse, je le suis pour toujours.

Du reste, il est ébranlé par ma pieuse affection, la pureté

     De mes prières, et tempère tout seul sa violence.

Une foule libidineuse de prétendants – des Dulichiens, des Samiens

     Et d’autres venus des hauteurs de Zacynthe

Se rue sur moi et règne dans ton palais sans nulle opposition ;

     Ils déchirent mon cœur et tes richesses.

 A quoi bon te citer Pisandre, Polybe et le cruel Médon,

     Eurymaque, Antinoüs aux mains cupides

Et tous les autres que tu nourris toi-même, par ton absence

     Indigne, des biens que tu as acquis au prix de ton sang ?

Le pauvre Irus et Mélanthius qui mène paître les troupeaux

     Viennent accroître tes pertes, honte suprême !

Nous sommes trois impuissants, au bout du compte :

     Ta faible épouse, Laerte, un vieillard, et Télémaque, un enfant.

Un guet-apens a failli m’enlever ce dernier il y a peu,

     Alors qu’il s’apprêtait à partir pour Pylos contre l’avis de tous.

Fassent les dieux – je les en prie – que, suivant le cours du destin,

     Ce soit lui qui me ferme les yeux ainsi qu’à toi.

Sont ici avec nous un bouvier, ta vieille nourrice

     Et un troisième fidèle, affecté à l’immonde porcherie.

Mais Laerte, qui est dans l’incapacité de tenir une arme,

     Ne peut faire preuve d’autorité face à tant d’ennemis ;

[Télémaque acquerra plus de force, pourvu qu’il survive ;

     Pour l’heure, c’est l’aide de son père dont il aurait besoin(6)]

Et je n’ai pas la force de chasser tes ennemis de ta demeure.

     Il faut que tu reviennes vite, refuge et rempart pour les tiens !

Tu as un fils - je prie pour qu’il le reste – qui, dès son plus jeune âge

     Aurait dû profiter des leçons de son père.

Souviens-toi de Laerte : si tu viens lui fermer les yeux,

     Il se résignera à l’heure ultime de sa mort.

Quant à moi qui étais, quand tu es parti, toute jeune,

     Même si tu viens sur-le-champ c’est vieillie que je t’apparaîtrai.

 

 

(1) Pâris qui avait enlevé Hélène et déclenché la guerre de Troie.

(2) Pergame, forteresse de Troie, désigne par extension, la ville entière.

(3) Achille

(4) Ces deux vers ne figurent pas dans tous les manuscrits.

(5) Les murailles de Troie avaient été construites par le roi Laomédon avec le concours de Phoebus (nom latin d’Apollon)

(6) Ces deux vers ne figurent pas dans tous les manuscrits.

 

 

Traduit du latin par Danièle Robert

In, Ovide : « Les héroïdes. Lettres d’amour »

Editions Actes Sud (Babel), 2022

 

Penelope Ulixi

Haec tua Penelope lento tibi mittit, Ulixe

     nil mihi rescribas attinet: ipse veni!

Troia iacet certe, Danais invisa puellis;

     vix Priamus tanti totaque Troia fuit.

o utinam tum, cum Lacedaemona classe petebat,  

       obrutus insanis esset adulter aquis!

non ego deserto iacuissem frigida lecto,

     nec quererer tardos ire relicta dies;

nec mihi quaerenti spatiosam fallere noctem

     lassaret viduas pendula tela manus. 

Quando ego non timui graviora pericula veris?

     res est solliciti plena timoris amor.

in te fingebam violentos Troas ituros;

     nomine in Hectoreo pallida semper eram.

sive quis Antilochum narrabat ab hoste revictum,   

       
     Antilochus nostri causa timoris erat;

sive Menoetiaden falsis cecidisse sub armis,

     flebam successu posse carere dolos.

sanguine Tlepolemus Lyciam tepefecerat hastam;

     Tlepolemi leto cura novata mea est.      

denique, quisquis erat castris iugulatus Achivis,

     frigidius glacie pectus amantis erat.

Sed bene consuluit casto deus aequus amori.

     versa est in cineres sospite Troia viro.

Argolici rediere duces, altaria fumant;   

   
     ponitur ad patrios barbara praeda deos.

grata ferunt nymphae pro salvis dona maritis;

     illi victa suis Troica fata canunt.

mirantur iustique senes trepidaeque puellae;

     narrantis coniunx pendet ab ore viri.               

atque aliquis posita monstrat fera proelia mensa,

     pingit et exiguo Pergama tota mero:

'hac ibat Simois; haec est Sigeia tellus;

     hic steterat Priami regia celsa senis.

illic Aeacides, illic tendebat Ulixes;  

        
     hic lacer admissos terruit Hector equos.'

Omnia namque tuo senior te quaerere misso

     rettulerat nato Nestor, at ille mihi.

rettulit et ferro Rhesumque Dolonaque caesos,

     utque sit hic somno proditus, ille dolo.     

        
ausus es—o nimium nimiumque oblite tuorum!—

     Thracia nocturno tangere castra dolo

totque simul mactare viros, adiutus ab uno!

     at bene cautus eras et memor ante mei!

usque metu micuere sinus, dum victor amicum    

         
     dictus es Ismariis isse per agmen equis.

Sed mihi quid prodest vestris disiecta lacertis

     Ilios et, murus quod fuit, esse solum,

si maneo, qualis Troia durante manebam,

     virque mihi dempto fine carendus abest?   

          
diruta sunt aliis, uni mihi Pergama restant,

     incola captivo quae bove victor arat.

iam seges est, ubi Troia fuit, resecandaque falce

     luxuriat Phrygio sanguine pinguis humus;

semisepulta virum curvis feriuntur aratris  

     ossa, ruinosas occulit herba domos.

victor abes, nec scire mihi, quae causa morandi,

     aut in quo lateas ferreus orbe, licet!

Quisquis ad haec vertit peregrinam litora puppim,

     ille mihi de te multa rogatus abit,      

quamque tibi reddat, si te modo viderit usquam,

     traditur huic digitis charta notata meis.

nos Pylon, antiqui Neleia Nestoris arva,

     misimus; incerta est fama remissa Pylo.

misimus et Sparten; Sparte quoque nescia veri. 

           
     quas habitas terras, aut ubi lentus abes?

utilius starent etiamnunc moenia Phoebi—

     irascor votis, heu, levis ipsa meis!

scirem ubi pugnares, et tantum bella timerem,

     et mea cum multis iuncta querela foret.   

        
quid timeam, ignoro—timeo tamen omnia demens,

     et patet in curas area lata meas.

quaecumque aequor habet, quaecumque pericula tellus,

     tam longae causas suspicor esse morae.

haec ego dum stulte metuo, quae vestra libido est,   

         
     esse peregrino captus amore potes.

forsitan et narres, quam sit tibi rustica coniunx,

     quae tantum lanas non sinat esse rudes.

fallar, et hoc crimen tenues vanescat in auras,

     neve, revertendi liber, abesse velis!               

 Me pater Icarius viduo discedere lecto

     cogit et immensas increpat usque moras.

increpet usque licet—tua sum, tua dicar oportet;

     Penelope coniunx semper Ulixis ero.

ille tamen pietate mea precibusque pudicis    

         
     frangitur et vires temperat ipse suas.

Dulichii Samiique et quos tulit alta Zacynthos,

     turba ruunt in me luxuriosa proci,

inque tua regnant nullis prohibentibus aula;

     viscera nostra, tuae dilacerantur opes.      

       
quid tibi Pisandrum Polybumque Medontaque dirum

     Eurymachique avidas Antinoique manus

atque alios referam, quos omnis turpiter absens

     ipse tuo partis sanguine rebus alis?

Irus egens pecorisque Melanthius actor edendi    

         
     ultimus accedunt in tua damna pudor.

Tres sumus inbelles numero, sine viribus uxor

     Laertesque senex Telemachusque puer.

ille per insidias paene est mihi nuper ademptus,

     dum parat invitis omnibus ire Pylon.      

      
di, precor, hoc iubeant, ut euntibus ordine fatis

     ille meos oculos conprimat, ille tuos!

hac faciunt custosque boum longaevaque nutrix,

     Tertius inmundae cura fidelis harae;

sed neque Laertes, ut qui sit inutilis armis,

             
     hostibus in mediis regna tenere potest—

Telemacho veniet, vivat modo, fortior aetas;

     nunc erat auxiliis illa tuenda patris—

nec mihi sunt vires inimicos pellere tectis.

     tu citius venias, portus et ara tuis!      

       
est tibi sitque, precor, natus, qui mollibus annis

     in patrias artes erudiendus erat.

respice Laerten; ut tu sua lumina condas,

     extremum fati sustinet ille diem.

Certe ego, quae fueram te discedente puella,    

     protinus ut venias, facta videbor anus.

Poème précédent en latin :

Joachim Du Bellay : Trois poésies latines (09/08/2022)

Poème suivant en latin :

Horace / Quintus Horatius Flaccus : « Trop longtemps le Père... » / « Iam satis terris ... »  (02/09/2024)

 

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