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Le bar à poèmes
11 janvier 2024

Danielle Collobert (1940 – 1978) : Dire II (5)

 

e2dc719f-dc05-42ba-9a6f-e6f4cea7af22_1_105_c[1]Soirée Action Poétique : Jean-Claude Montel, Franck Vernaille, Danielle Collobert

 

Dire II

 

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c’est tout- fermer les yeux – les ouvrir – les refermer à nouveau – pas de

vision – pas de couleur - rien à voir – ne pas être – se démettre – écrire le

mot – les yeux fermés – au hasard – dans un coin du papier – sur le sol

peut-être – sur le mur

 

aucun lieu pour le mot – dans le sable peut-être – le mieux - tracer un mot

entre deux flux – si on pouvait faire çà – effacer – recommencer sans cesse

le même signe - retrouver à chaque fois l’étonnement – trouver un mot possible

pour çà – un mot ou un son unique – pouvoir s’arrêter -  en finir avec les

histoires de mots sans fin – se débarrasser enfin – supporter enfin le silence

sans rien - sans rien  dire

 

mais non – ce qui vient – seulement un mot à peu près - une ébauche – et le

monde plein tout autour – écrasant – le tumulte – le bruit – le bruit partout –

 

lié - ne pas pouvoir s’arracher – se débattre dans cette confusion – secouer la

tête dans tous les sens pour ne plus entendre – les bras enfermant la

tête - les mains aux oreilles – affolé – crier – faire monter les cris du plus loin -

du plus profond possible – hurler par moments - pour couvrit tout çà – haleter à

la fin – épuisé - sans souffle – toujours vaincu – toujours envahi

 

entendre – écouter – pas moyen de se soustraire – se fondre – obligé d’être

là - on dirait – obligé d’entendre et de parler en même temps – comme si

c’était possible – qui parle – qui écoute – ces mots-là – lesquels – et les bruits –

comment distinguer - supprimer la contradiction – s’enfuir – même pas

 

aucun répit – ne plus pouvoir refuser – laisse aller les mots ainsi – comme on

ouvre une vanne – arrive le flot épais – incohérent – énorme chute de mots

emmêlés – bousculés – broyés aussi – méconnaissables – la pâte – les

vomissures – une bouillie sans cesse mâchée - avalée – rejetée jusqu’aux

lèvres infranchissables – ravalée encore – va-et-vient intérieur amer –

insupportable – jusqu’au dégoût parfois – jusqu’au rire

 

 

s’endormir pour oublier – sortir du tumulus – trouver une sorte de paix –

quelque part – une sorte de silence – quelque chose d’approchant – pas tout à

fait le silence – bien sûr – mais tout doucement – un murmure – un

gémissement - voilà – ça vient – l’engourdissement – avoir le moyen – la clef

pour ça – il suffit de penser seulement au-delà des murs – à travers eux – voir

le ciel – la mer – se rappeler le vague – la douceur

 

déraper dans les souvenirs de pluie le long des docks sur les quais – sur la ville

- ou surles terres rases – les dunes – en bordure de mer – des mots bien

consistants – là – chargés d’images – lourds comme des bateaux pleins -  des

mots-clefs – pour ouvrir des paysages – des départs – et d’autres souvenirs –

avec des mots pour les visages – les mains – un corps - vieilli souvent – le

prochain – bientôt – leurs corps – leurs regards – des mots ouvrants

 

s’épuiser très vite au jeu -  les mots lâchés ainsi reviennent – réintègrent les

murs - la tête – rien à faire – plus jamais de vraie fuite au-dehors – de longues

échappées au large -  n’avoir plus la force – plus l’envie – pas de nécessité – ça

reste là – tout près – tout autour – la fin des voyages – bien sûr – on sait –

parfois encore ça reviendra – des envies – de plus en plus légères – fugitives –

des velléités – sourire de moins en moins – seulement du ciel – des murs

blancs - et le regard voilé

 

sans le vouloir encore – ou le contraire peut-être – un dernier paysage de ciel

ou de murs blancs – jusqu’à quand cet espoir-là – cette dernière fuite dans le

dernier paysage – y tenir – on y tient encore -  possible encore peut-être  d’y

croire – après la désertion au monde – de l’autre côté des murs – c’est-à-dire

les souvenirs –l’organisation – la confusion -  c’est-à-dire comment on avait

mis tout ensemble – ce qu’il y avait – avant cette chambre lisse et vide – où

l’on n’est même pas sûrement – peut-être en pensée – comme on dit – toujours

l’incertitude

 

immobile – maintenant – dans l’apparence d’espace – la durée irréelle – sans

prise – sans recours

 

se glisser des mains -se glisser des mots – toutes images équivalentes –

probablement – pas même pouvoir encore s’inventer – se trouver quelque

chose à se dire à soi-même – le monologue – presque la compréhension –

une tendresse à soi – privé maintenant de ca – presque un désert – sucé –

aspiré de l’intérieur – à chaque instant – disparaître des murs – disparu de

partout–

 

un moyen – un compromis – pour continuer à vivre – pour s’apparaître peut-

être encore de temps en temps -  sans image – sans reflet – seulement

s’entendre – le souffle – le cri – les mots – quelquefois - avant de disparaître –

tracer quelque chose – quelque part – pour rien – sans nécessité sûrement – être

là –pourtant – encore –à essayer

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Dire I- II

Editions Seghers / Laffont (Change), 1972

De la même autrice :

Survie (07/08/16)

Dire II (1) (11/01/2020)

Dire II (2) (11/01/2021

Dire II (3) (11/01/2022)

Dire II (4) (11/01/2023)

Dire II (6) (11/01/2025)

 

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