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Le bar à poèmes
5 novembre 2023

Salah Stétié (1929 - 2020) : La nuit du cœur flambant

 

AVT_Salah-Stetie_3160[1]

 

La nuit du cœur flambant

à C. F-L. ,

pour le mystère d’un vers donné.

 

I

Blessure à peine avivée par la neige

Et rose rouge établie dans l’eau froide

L’été poreux à cause de la lune

S’écrit en ombre avec les liserons

Sous la flambée ensoleillée des flèches

Laissant l’eau froide avec le sang, ici

Où brille un peu le beau repos du merle

 

Ici où brille au bois métaphysique

Le pur rassemblement des chiens, l’assemblée

Des hommes de ces chiens, leurs voix déchirées longues,

Si déchirées, si longues,

Que les voici voix des veilleurs dormeurs

Au sein brûlé de la constellation

Pour une biche de palpitation bondie

 

D’un bond au milieu de leurs voix : place pure

Ici marquée par l’absolu de l’eau

Et son visage est de femme et de biche

Illuminé, détruit par l’astre d’ombre

Dans un pays d’ardoise et de vent nu

Comme un bouquet apprêté par la terre

Qui – à la fin – est déconcerté, perdu

 

Le temps est là comme le lait de l’homme

Mêlé à celui des chevaux dans les juments

Et les poulains plus fins que leurs paupières

Sont endormis sous la lumière de l’esprit

Qui brille avec beauté de pourriture

Semblable à lampe de personne en lieu de nuit

Flambant du sein interne de l’eau vive

 

« Nue, je serai vêtue d’étoiles », dit-elle

 

II

Sur les chemins de l’être et de la nuit

Il y a un arbre illuminé par la lune

Arbre si seul et si d’antique terre

Qu’il dort ainsi que poupée endormie

Près des fontaines vives

Libres de vent dans la lumière nue

 

Libre de vent... ô biche de pensée

Sanglante aussi près de ce cœur qui rêve

Et rôde et rêve et sa lueur est pluie

En pluie tombée sur les dormantes choses

Très longues choses, roses désencombrées

Par le parfum de leur immense nuit

Qui, nue, sera aussi vêtue de nuit

 

III

Son enfant dans la mort

Depuis toujours il y eut son enfant dans la mort

Et le cahier de toute enfance brûle

Dans une chambre vive

Dans une chambre vide où l’on regarde

L’étrangeté du vide

L’absolu de l’étrangeté du vide

Avec, autour, la nudité des nuits

 

Ce lit le nôtre une guitare une eau longue

Terriblement entre les jambes de la nuit

Comme un corps simple est l’eau qui se défait

Et se refait en sa lueur d’étoile

S’en allant seule avec ses jambes filles

Sa touffe de violence et sa blessure

Ainsi que femme entre les nébuleuses

Allaitée par tous les chevaux de la nuit

 

« Nue, je serai vêtue d’étoiles », dit-elle

 

IV

Ce soir elle a donné au rossignol

Son enfant son fils de toujours aimé toujours

Et rafraîchi de menthe immatérielle

Avec ses mains et la douceur de ses pieds nus

D’enfant qui doit mourir

Sous le plafond inexpliqué des nuits

 

Le ciel est plein de neige

Pour l’oiseau écrasé contre les murs

De la maison dressée sous les étoiles

Où vertical est un miroir sans preuve

Avec, passant, le nu passé de l’homme

Démembré par les instruments de la lumière

Sous les choses riantes,

Choses penchées, brûlées d’immatériel

Pour cet enfant aimé

Se tenant par la main

Du côté de la mort

 

La nuit du cœur flambant

Editions des Moires, 1994

Du même auteur :

« Sur le plateau pierreux… » (17/07/2014)

Dormition de la neige (10/05/2021)

La terre avec l’oubli (05/11/2021)

Longue feuille du cristal d’octobre 09/05/2022)

L’enfant de cendre (05/11/2022)

Jardin de l’Un (09/05/2023)

L’épée des larmes (09/05/2024)

Cécité du chanteur (05/11/2024)

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