Marcabru (1110 -1150) : "Je vous dirai sans hésitation..." / "Dirai vos senes duptansa..."
Je vous dirai sans hésitation
de ce vers le commencement
les mots du vrai ont le visage
écoutez
qui envers Prouesse hésite
fait figure de pervers
Jeunesse tombe rompt brise
Amour est de telle nature
qu’il prélève sur tous le cens
écoutez
chacun en prend selon sa part
et n’en sera plus jamais exempt
L’amour va comme l’étincelle
qui couve le feu sous la suie
brûle le bois et la paille
écoutez
il ne sait plus où s’enfuir
celui que dévore le feu
Je dirai d’amour les grimaces
ici regarde et là guigne
ici embrasse et grimace
écoutez
il sera plus droit que ligne
avant que je lui sois familier
Amour autrefois était droit
maintenant tordu ébréché
et il a pris cette devise
écoutez
où il ne peut mordre il lèche
plus âprement que le chat
Comment redeviendrait-il sincère
dans le miel il trie la cire
et sait se peler la poire
écoutez
il est doux comme un chant de lyre
que quand on lui coupe la queue
Avec le diable il trafique
qui à fausse amour s’accouple
il n’a pas besoin d’autre verge
écoutez
il sent moins que celui qui se gratte
avant de s’être écorché
Amour de mauvais lignage
qui mille hommes tue sans glaive
Dieu n’a créé si fort grammairien
écoutez
il fait un ignorant du sage
dès qu’il le tient dans ses liens
Amour fait comme la jument
qui toujours veut qu’on la suive
et dit qu’elle ne donnera trê ve
écoutez
elle va de lieue en lieue
que vous ayez ou non dîné
Croyez-vous que je ne connais pas
d’Amour s’il est aveugle ou louche
ses mots il les lisse il les polit
écoutez
il pique plus suavement que mouche
mais plus difficilement on guérit
Qui sur jugement de femme se règle
il est juste que mal lui en vienne
comme l’Ecriture nous l’enseigne
écoutez
et le malheur nous en viendra
à tous si vous ne vous en gardez
Marcabru fils de Marcabrune
fut engendré sous telle lune
qu’il sait d’amour comme il s’égrène
écoutez
jamais il n’en aima aucune
ni d’aucune il ne fut aimé
Adapté de l’occitan par jacques Roubaud
in, « Les Troubadours. Anthologie bilingue »
Seghers éditeur, 1980
Ecoutez !
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L’Amour, plein de fausseté,
Prend le miel, laisse la cire,
Et pèle pour lui la poire.
Ecoutez !
Pour qu’il soit doux comme lyre
Il suffit de le couper.
Bien fait pacte avec le Diable,
Qu’il fraye avec Fausse-Amour,
Verge il donne pour le battre.
Ecoutez !
Tel sans rien sentir se gratte
Qui enfin s’écorche vif.
L’Amour est de sale race ;
Sans glaive il tua mille hommes.
Je ne sais plus grand sorcier ;
Ecoutez !
Du plus sage il fait un fol
Dès qu’il le tient dans ses rêts.
Il ressemble à la cavale
Qui tout un jour vous emporte
Sans vous donner nulle trêve ;
Ecoutez !
Et vous traîne sur les lieues,
Sans souci de votre faim.
Je sais, pour moi, si l’Amour
Est aveugle ou s’il est bigle.
C’est le miel sur le venin :
Ecoutez !
S’il pique moins fort qu’abeille,
Il est plus long d’en guérir.
Qui se règle sur la femme
En pâtit avec justice.
L’Ecriture nous enseigne,
Ecoutez !
Malheur, malheur à vous tous
Qui ne vous en gardez point !
Marcabrun par Marcabrune
Fut produit sous un tel astre
Qu’il sait comme Amour dévide.
Ecoutez !
Onc il n’en aima aucune
D’aucune il ne fut aimé.
Traduit de l’occitan par André Berry
Anthologie de la poésie occitane,
Editions Stock, 1961
Du même auteur : « A la fontaine du verger... » / « A la fontana del vergier... » (02/03/2019)
Dirai vos senes duptansa
d’aquest vers la comensansa
li mot fan de ver semblansa
escoutatz
qui ves Proeza balansa
semblansa fai de malvatz.
Jovens faill e fraing e brisa
et Amors es d’aital guisa
de totz cessais a ces prisa
escoutatz
chascus en pren sa devisa
la pois no’n sera cuitatz.
Amors vai com la belluja
que coa-l fuec en la suja
art lo fust e la festuja
escoutatz
e non sap vas quai part fuja
cel qui del fuec es gastatz.
Dirai vos d’Amor com signa
de sai guarda, de lai guigna
sai baiza, de lai rechigna
escoutatz
Plus sera dreicha que lignap
quand ieu serai sos privatz.
Amors soli’ esser drecha,
mas er’es torta e brecha
et a coillida tal decha
escoutatz
ai ou non pot mordre, lecha
plus aspramens no fai chatz.
Greu sera mais Amors vera
pos del mel triet la céra
anz sap si pelar la pera
escoutatz
doussa’us er com chans de lera
si sol la coa-l troncatz.
Ab diables pren barata
qui fals’ Amor acoata
no·il cal c’autra verga·l bata
escoutatz
plus non sent que cel qui’s grata
tro que s’es vius escorjatz.
Amors es mout de mal avi
Mil homes a mortz ses glav
Dieus non fetz tant fort gramavi
escoutatz
mue tot nesci del plus savi
non fassa, si’l ten al latz.
Amors a uzatge d’ega
que tot jorn vol c’om la sega
emditz que no’l dara trega
escoutatz
Mas que puej de leg’en lega,
sia dejus o disnatz.
Cujatz vos qu’ieu non conosca
d’Amor s’es orba o losca
sos digz aplan’et entosca
escoutatz
lus suau poing qu’una mosca
^mas plus greu n’es hom sanatz.
Qui per sen de femna reigna
dreitz es que mals li-n aveigna
si cum la letra·ns enseigna
escoutatz
malaventura·us en veigna
si tuich no vos en gardatz
Marcabrus, fills Marcabruna
fo engenratz en tal luna
qu’el sap d’Amor cum degruna
escoutatz
quez anc non amet neguna
ni d’autra non fo amatz.
Poème précédent en occitan :
Guillaume, duc d’Aquitaine, comte de Poitiers) : « Je ferai une petite chanson nouvelle... » / « Farai chansoneta nueva... » (19/09/2023)
Poème suivant en occitan :
Gaucelm Faidit : « Un chevalier reposait... » / « Us cavaliers si jazia... » (10/10/2023)