Ibn Al- Dja’bari (? – 1241) : Nuit de joie
Nuit de joie
Nuit de joie,
dans la demeure où j’ai été reçu.
Aucun nuage n’est venu troubler
mon bonheur.
Nuit de sérénité
la plus douce de ma vie.
Dans la coupe de mon vin,
des mains généreuses
ont versé des douceurs nouvelles.
Il a poli la coupe
avec Ses propres mains,
Celui qui est plus brillant
qu’un clair de lune,
le petit de gazelle !
Clair de lune éclatant
avec le rameau d’un saule,
Il s’avance, harmonieuse vibration ;
Et Sa taille est si fine
qu’Il fléchit en marchant.
Tout donner pour Sa rançon !
Lui, de taille mince et svelte,
volontiers, pour Son salut,
je deviendrai sourd et aveugle.
Dès l’instant où mon regard
s’est posé sur les aspects multiples
de Sa beauté,
éperdument je L’ai aimé.
Ô perfection de ce svelte maintien !
Fraîche prairie, verte splendeur !
Il a souri légèrement
lorsqu’Il a vu mon trouble.
Les dents de Sa bouche d’aromates
entre Ses lèvres
étincelaient.
Lorsqu’il eut développé
la finesse de Ses propos
j’ai senti en L’écoutant
un bien-être tout de douceur.
Lève-toi, ô prisonnier,
et fais ton butin
du but suprême de tes désirs !
Il se lève, dans un balancement
de rameau tendre,
ramage qu’agite la brise
légère, lorsqu’elle souffle
au point du jour.
Je L’ai étreint
de l’étreinte d’un assoiffé d’amour,
alors qu’en Lui, le vin nouveau
avait folâtré.
Ô ne cherche pas à savoir davantage...
Nous, dans un opulent jardin,
ô beauté de ce jardin
qui sous nos regards se déroule
ceint d’une couronne de perles
que les nuages porteurs de pluie
avaient déposées en présent !
Une colombe
murmure sa joie
sur les branches
et chaque rameau fléchit,
chaque rameau
chargé de fleurs,
chargé de fruits.
J’ai rejeté toute honte
dans le désir de Son amour,
et que cela m’était doux !
Transports de joie nés
avec la musique entendue,
douces mélodies
sur un luth sans cordes.
Et l’on polit la coupe,
et mon Bien-Aimé boit avec moi :
lune éclatante
entre les étoiles qui scintillent...
J’ai obtenu
ce que désirait ma passion,
la douceur de l’étreinte,
et le baume
d’une vie entière
en Sa compagnie,
sans calomniateurs et sans trouble.
Ô douceur de cette nuit !
Nous l’avons passée étendus sur des trônes,
côte à côte rangés,
couverts de rameaux fleuris,
glissant le long d’une rivière
de pur cristal.
Traduit de l’arabe par René R. Khawam
in, « La poésie arabe des origines à nos jours »
Editions Phébus, 1995
Du même auteur : L’Unique (21/09/2022)