Adèle Nègre (1965 -) : Résolu par le feu (2)
Résolu par le feu
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Au miroir
voyage en hiver
traversée de névés durs à la face tremblante
miroirs dormants sur la plaine ouverte
pas d’amorce pas d’espace
dessus une herbe foulée comme mer
il faut mon regard agir que le miroir encerclant comme feu rabat et contient tout un
et que le vent a dispersé
je cherche longuement celui qui rabattu vers
miroir celui qui me parle splendide effort vers l’œil
me déverse jusqu’à une autre étendue et fera
l’image avec moi
Quelques degrés délient un peu l’espace entre les eaux
plus souples
une source différente le jeu entre les herbes ouvertes
l’humidité le souffle rendus sur les fenêtres des traces de pas enfin
sur le sol
et quoi ? L’oiseau de mars !
J’attends dehors près du brasier
ce point insuffisant de chaleur
je vois des oiseaux heurter le sol cogner à la pâleur
trop sonore
le merle d’hier est mort tourné sur le côté
bec pointé vers l’arbre son cou tors raidi déjà
il manque un cri
opposé noué à la gorge d’effroi
de l’oiseau gélif
alors tu allumes une lampe et j’entre
les portes se ferment mal jointées
sur la neige
aujourd’hui toute entière un théâtre livide
et le reste de vie
Pierres ébranlées souches rabattues
j’ai donné l’arbre à mes os
dans mes vertèbres choquées pousse son nom
la mémoire ligneuse de son frère obstiné
bien que tendre infiltre
les deux mains bègues que la scie a tenues ensemble
je les vois pendre
à la hache est entré le cri
où dois-je descendre à présent pour former
l’arbre l’entendre
à nouveau ventre ou cerveau
comme on entend un fleuve
prolonger tout l’être par un écrit
qui en suivrait les méandres
Tout ce que j’ai vu m’échappe et dire
que je l’ai voulu
reste quand même une forme
lumineuse place nette
la mémoire abîmée dans les paumes
tremblantes
lignes désoeuvrées
et l’idée
lente dans le sang
un feu certain qui brûla qui brûle encore
des cendres
dans le sol altéré
les racines obsédantes remontant
audacieuses
Pas un amandier
à la bouche
la nuit venue
consent ce
jardin adverse tout aussi brun
des souches et
un feu certain
qui me devance et
la plaine révolue
Apparition de
sous le tilleul
la brouette abreuve
ce qui fait danse
concentriquement
où bras et branches sont
des rayons
consentis
les oiseaux pleuvent
un affairement insatiable
et bruyant
cet air pensif ?
ne consentir à rien
qu’à cette soif
qu’à cette danse
Collant à la phrase
comme la terre à la pierre
que j’extrais extraction je souffle
la poussière ce dépôt
de matière qui sauve
je parle avec le visage découvert
chacune des pierres porte les traits
sédimentaires
de son caractère
gestes précipitations
ce mouvement extrêmement lent qu’on nomme
assise
Rompue s’éveille
à l’instant prodigue de la levée
courbée sur elle-même sursaute
avec les pierres
avec la terre
les armoises amères
la rue nuageuse
les bourgeons pourpres ou vert tendre des lilas
rangées de pierres cercles de cendres poussières
racines et terre
tricot d’or âpres premières
orties torses
ombres
poussières poussières poussières
dans le rayon essor
de réversibles entrelacs
tu peux renverser la vie
que ravivent
toutes pensées soudain visibles
en un instant
tendre gravité profonde
verte joie haute
la mémoire mouillée
où manque encore un mot
comme à chaque naissance
Sous la surface d’un jardin
je travaille
des veines courent orange
et or
roses éblouissantes
que je tire
chirurgicale
ortie chiendent
de grandes artères gonflées
j’arrange les vaisseaux d’une carte
que je lis
liant le souterrain et l’aérien
J’allume un feu et ferme la porte
je prends la rangée rouge des arbres
et l’affairement des oiseaux
un charme attend encore et un érable
je pense au chiendent
un mort étranger me rend visite
c’est suffisant pour rendre la nuit agréable
Ruine insigne
la ronce s’y était mise
au goût de mûre
et de gravats
le plâtre froid grossi
éclot au ventre des murs
le lierre franchit des ponts
invisibles
le sol s’enfonce
Dépareillées les pentures bâillent
et les gonds rouillent
gros et ronds bourgeons de fer
forgés dans la volonté
florissante bourgeoise vanité
explosent là dont la ruine
est le témoin encore
les rideaux pâles bâillons
bâillonnent la lumière
le verbe lové déplie
les lèvres humides
humbles sans histoire
émotives et mauves encore
souterraines
étreintes
Possibles sur les lèvres
confiant à la roue
je vois la couleur qui goûte
à la frange des arbres
mars averse et découpe
toute une rangée soudaine
en crue
Je porte sur mes lèvres cet air
des chairs lentes
faites à l’hiver
blanches
éraillées
collées à l’œil lucide et blanc
la hâte
bientôt le sang et
la menthe sa fraîche
fraîche remarque hâtive
à parler
friande
Tu es là tu viens ? Me dit le rêve
(que dis-tu)
le mot mûr s’assombrit
tombe un fruit dans l’herbe
le frisson je te le dois
dans ma bouche roucoulent des galets
torrent d’air de drôles d’oiseaux
labiles labile je pleure
respirer
déjà m’accomplit
A ce moment de la nuit
je m’éteins
tu me tues un peu te dis-je
t’y reprends à plusieurs fois
veuille le tout que je te donne pas la moitié
car lorsque l’une prend
l’autre s’endort ou meurt
Cruche
vide elle sonne
irrésistible
sur la voie aiguë
de la soif
puis sa panse nourrit
alourdie emporte la source
abreuve trinque aussi
revient à l’eau
sans cesse comme au feu
sur le chemin
plus que d’eau
plus que de voix
gorgée
la tête et le ventre
les enjambées
la panse poreuse
de cruche
porteuse de vide
d’eau de terre
pensées hâlées
sur les genoux
l’eau non courante fait le chemin
le chant hale de l’avant
A grands coups de bleu retourne la terre
c’est un autre monde
la couleur soudaine
le relief hirsute incommode
il faudra peigner chaque herbe
et chaque pierre
et encore marquer la passe garder le motif
entre les arbres
la tâche entière
Tu t’attardes
sous les arbres
parfois l’ombre des branches dessine
des veines sur les bras lents
qui te traversent
et c’est l’espace qui te pense
ou bien celle d’un nuage tout entier
cache cette clarté incisive
et tu n’y vois plus
Dans ces taches entendues
sous les arbres entre traits
traites
y aurait-il une danse
aussi
terrestre et faussée
par l’angle
l’aune forcée
de mon pas corps vertical
étalonné
c’est couchée qu’il faudra marcher sous les arbres
Cette lumière
qu’elle sorte d’un trait passé par le corps étendu
et connaisse sa mort sans la redouter
et sa vue
aussi il y aura toujours l’ombre des branches
à travers le bois qui danse sur mes bras
l’ombre de l’ombre
semée
une force fore tout près et dedans
splendide étrange
danse et qu’advienne de l’espace à ce pas
Ou bien s’égoutte le temps
où mille pas foulent
le blanc le silence dans le bois
ébloui ce tremble
qui tremble
au bout des doigts
ou bien sillonnées les fourches et ruptures
miraculeuses bifurcations
parfois fluides fuites et coulées
où s’inscrivent les crevasses
où se creusent les ornières
surgit un dessin
Tu parles au vent les bras ballants contre la haie toutes griffes
en regard bégayes l’enchevêtrement
alors suffoque le ramier
alertes et vives s’agrippent dans les arbres
les têtes à tue-tête
poussent des cris
l’épervier contre le vent dévie sa proie
la lumière grelottante pétrit l’ordre clair
d’une perdrix grise à ventre blanc
l’extrémité des branches presse
le nuages jaunes à l’envie rayent
mais ne percent
des chairs ternes et des becs
C’est un massacre agréable certes
la voix injonctive du printemps
couverte de fleurs
abat les lendemains
la terre est douce et les reins durs
clameur et tourment ce jeu
auquel timide et muette je consens
m’assaille une joie tumultueuse
car il n’y a pas de mort à perte
Tout ce que je voulais dire part en poussières
les mains sourdes occupées
à terre j’inverse la courbe
la couleur submerge la pensée
de sel le roncier blanc crible l’iris
secouru par la visière
Mots repiqués
à terre
occupée à fendre
j’endure la soif
la foi ne suffit pas
ne suffit pas la volonté d’entrer non
je ne suis pas assez lame ou pierre
avril une épée dans les reins
l’acier bleuit jusqu’à méprendre
restent ciel et terre
doublent
la volonté de faire
avril une épée dans les reins
un bleu fallacieux nourrit la bêche
l’acier endure l’incassable
Que sais-tu d’elle ?
Tu méconnais. Seulement à propos de tes reins pourrais-tu dire je
de tes mains de ton coeur ébattu
et encore
tu provoques et convoques tu ferrailles
ses riens dépêchés
elle travaillée par eux
cultivée dit-on
tout au contraire
c’est toi qui peines à naître
et elle qui te travaille
dans sa rudesse
poussières et pierres
clou
os
tessons
pièce
la bague de verre
au doigt d’une défunte mariée
rudérations anciennes enfouies sous la paille
tu inventes
ce qu’elle te fait ce qu’elle fait de toi
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Résolu par le feu
Bruno Guattari, Editeur, 41250 Tour en Sologne,2018
De la même autrice :
« Tu ne tonitrueras pas... » (07/09/2020)
Parler avec le sphinx (extraits) ( 06/09/2021)
Résolu par le feu (1) (06/09/2022)
Résolu par le feu (3) (06/09/2024)