Adèle Nègre (1965 -) : Résolu par le feu (3)
Résolu par le feu
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Iris
six fois repris soit l’œil
de ces limbes
faces réfléchies ou conniventes
trois par trois
issus des spathes comme de langes
d’une soie
déplie l’espace concis
du périanthe
J’apprends à résoudre l’impatience
en un poème qui
qui quoi que ce soit est algèbre rougie
au feu j’entends l’ennui
chante pourtant le rossignol d’intranquillité
dans l’arbre il montre la nuit
sa trille oblique comme un beaupré
relance ébruite
c’est un cerne qui luit qui
cerne l’ombre du bosquet nègre qui cerne
le pré qui sombre
gorgé de sang
du temps qu’on voit
son chant réjouit la joue
Pleine saison bat son
oui son pouls
lent est dur
chargé d’eaux
feuilles aux branches
au sol
la gravier gros
même les pierres sont plus lourdes
et dures à rêver
là assise
froides
mains gourdes
Ogresse plongée dans le champ
mes enjambées écument
au fond
toute fleur est une bouche-enfant
corail où nourrir d’amour
bordée de cris
toute fleur est un œil qui hume
l’écart
des sensations
un pré madréporique soutient ma nage
C’est un dard qui perce en or ligulé de blanc pur une plaie consentie dans
le vert universel gorgé de ce jour gris d’un gris humide ce jour morne
et froid se mouche de glaires mauves et de glaives
des toux poussent les mains sèchent toutes inusitées l’urne ne suffit pas
sèche aussi
sèche sèche est notre vue devant
longtemps que nous n’ avons eu cela la splendide humilité de la marguerite à
l’œil l’arme nous vient avant
c’est la larme qui perce nos vues et pour cause nous trayons le monde
nous trayons jusqu’à nos paumes
magnifiques nous trayons sans cesse et pour qui
« désolé de vous traire ainsi, madame, c’est la duuuure loi de l’ouest »
dit Tex
en bouche nous pleurons rageons et comptons
c’est dit nous ne vivons pas nous soumettons et mourons et des enfants
naissent privés de pluie et de tout
et traits pour traits il n’est pas sûr que nos pauvres traces laissent
des larmes dans la mêlée de l’humeur
la marguerite elle rudérale perce les gravats
Je dépends depuis hier
de l’astre ligulé haut suspendu
au-dessus de tout
de toutes les herbes solidairement confondues en une
prairie prairie-des-verts
lustre pentu que le capitule bouscule
par son consentement à la lumière
Le hangar tend sa baie noire au jour
pluvieux noirci qui creuse
l’échelle restreinte et saturée des couleurs
mais la marguerite
ce n’est pas qu’elle suspend
elle tremble le temps concentriquement
autour du disque sessile
or : un paradoxe de splendeur
et d’humilité
Sans savoir
le pas désormais si douloureux
je suis
ici puis là puis
où va savoir
ce pas que je sache et
d’autres qui m’ont
à gravir la mesure des nuits
foulée grandes et combien hautes sont les marches
je ne pleure pas je trouve des fleurs
et puis
à la courte échelle il excelle le rossignol dans le noir
Le fleuve
je suis dedans et je marche à côté
je viens d’où il s’en va
vaquant
la rive invite à voir son double
au loin comme elle paraît rejoindre l’autre
dans un coucher scintillant
la clarté tremblante des pissenlits
et les cillements des grandes-éclaires
je m’incline pour voir ce qui vient
en quel radical sinue cette voie
voire
source s’insinue
dans ma voix
Quelle racine est ce fleuve
qui traverse la ville
un long parti sinueux que je
jouant avec les rives
suis autant que rêve
je rêve le fleuve
un pour deux rives
qui continue derrière
prolongeant ce qui coule
en haut : nuages et grues
en dessous : fontes racines et des grives
un merle noir réverbère
le lendemain sourd dans l’inversion
de la nuit
la voie de vent converge au coude
avec le cœur
quand le couloir sort de la ville
c’est le jour d’après
La tête bourdonne au ras des
mottes la berge dormante
j’attends le vent
pour sentir ce qui coule
sauf
sauf les nuages là-haut
les papilles hérissent la houle
épidermique sensation de fuite
avec la menthe
et dessous ce qui fond
les racines et les os
et nous
sans mots
les yeux rivés
vers ce qui converge
en vert
Les bords flous
s’effritent
sous le clapot
battement simple de l’air
où salicaires faux-roseaux et orties
abritent
les trois canards agitent
leur œuvre vive
l’œil fixe
les saules lentement
et quoi les saules ?
Les saules fixent la feuille
et ‘ombre lancéolée
dans la mémoire ajoutée
de la menthe foulée
Et brutalement - que le temps est brutal –
des roses
- rose voici un lieu – et des leurres
gros comme un poing
de la clameur et l’allant
des têtes penchées par cent
incurvant tant d’attentes
les questions se défont et les bras tombent
silencieux
c’est assez la vie que je vois
exposée
et stupéfiée
j’arrête et ne regarde pas en aval
Mai passe
et hausse des lacs de lumière
des taches dansent
voiles en sa montée
un nu sans plainte trouve ses fleurs
Jour
du rossignol
il escalade les poumons
et le sol brûle la plante
aux pieds chaque escale enfièvre
l’appétence
vers l’échelle du tilleul
où c’est relâche
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Résolu par le feu
Bruno Guattari, Editeur, 41250 Tour en Sologne,2018
De la même autrice :
« Tu ne tonitrueras pas... » (07/09/2020)
Parler avec le sphinx (extraits) (06/09/2021)
Résolu par le feu (1) (06/09/2022)
Résolu par le feu (2) (06/09/2023)