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Le bar à poèmes
6 septembre 2021

Adèle Nègre (1965 -) : Parler avec le sphinx (extraits)

adele_negre[1]Crédits photographiques : Bruno Guattari, éditeur

 

Parler avec le sphinx

(extraits)

 

Le doigt montre

la lune à portée d’œil

j’explore les partis

entre doigt et lune

dans l’épreuve de leur distance

dans l’épreuve de la durée et de l’étendue

où je nais

en regard

 

 

Tout s’accorde

pourvu que j’aille en reconnaissance

longue lente

j’entends dans l’herbe

merveille une avec profonde

déférence

toute la terre dessous

et son fer est aussi dans

mon sang

 

 

 

Ce qu’il y a d’animal halète encore jusque dans les phrases

chant pour respirer sur cette natte sur cette herbe

sous ce tilleul couvrant la couleur

sombre voûte pour mes ombres mes

frissons

 

 

Le possible

morsure ou coup de bec

un coup porté à la lèvre

ou

offerte

un don de chair

à la sensation

le goût du sang

 

 

J’entends que

frotte un grillon

au ras des herbes

l’archet térébrant

dans les tissus pénètre

noirs lais

de nuit profond

l’arbre qui est aussi grand qu’elle

une ombre dans l’ombre

les ténèbres sans cesse rebrousse

revient secouer

s’ébrouer

s’écroule

couvre ce qu’on commençait à voir

entrevoir le refrain

puis la nuit découvre

la couleur oscille avec

 

 

 

Seule la nuit

grande toute une

seule s’approfondit

j’entends une mouche et c’est tout

en surface

s’ébroue une ombre

dans l’ombre d’un arbre une roue

 

 

 

Qu’une masse

une forme d’arbre

que vive

en moi aussi

et hors de moi

dans la nuit

habitée

tressaille fricative

et ainsi s’emplit

le mystère

où je suis assise

ne finit pas

ici seul rythme

entre masse spirante

et ce noir jusqu’au petit matin

 

Je ne fais rien bien sûr j’attends

de poser mes mains mêmes

sur ce sein

le cœur s’ébroue avec

double mouvant

roué tout le ciel

vire

la lune aussi

parfois

giratoire

et c’est toutes les formes

dans la persistance de l’œil

poussée dépassée

la respiration profondément

enracinée

la nuit tient lieu de peau

 

 

 

Voici l’heure où

s’éveille

un peu

ma pulmonaire livide

alvéole

s’ouvre grande

ainsi qu’oreilles

aux sons-secousses

secs spirants

du vent

dans les branches

arbre être n’a plus que son pour

être

tout simplement

avant de voir le jour

 

 

Tu comptes les buissons

dans la nuit

très proches

la réponse est frôlée

tu nages loin avec les floches

l’eau brille de doutes

et de cheveux

d’absence aussi

comme l’air

comme l’eau flotte

mouvement nocturne sauf

sauve incertain une lune

que tu approches

que tu crois

 

 

 

 

Profondément une

et sans cadre

nuit où gésir et s’enfoncer

nulle vraisemblance nulle

narration ne te peut tenir

encore que texture

de rêve de lumière

laiteuse lune l’une

et l’autre comme un fromage dans l’eau

 

 

C’est très tard la roue débridée d’un insecte autour de l’ampoule

rayonne

grossie bien des fois projetée le mur festoie

et tourne une étoile

étonne

au son de cristal des filaments

 

 

 

Rien ne s’écrit sans rien

tout se parle

faire dire est un métier on dirait

de bouche

de bouche et d’oreille de boucle

de corde de nuit de son résonné

de corde et d’écho d’oreiller

d’or à point

de lampe bée

d’oreilles d’élytres

d’ouvert cousu décousu d’open œil

dans la nuit

 

 

 

Les grillons aiguisent la nuit

quelque morse scansion ainsi joue dans les oreilles de mes poumons

m’essouffle

oppresse

malmène la langue de ma langue

collée au rythme collée décollée

je regarde la lune

régulière son grand O dans l’eau

je vois

son grand

lunaire

de rien son

son

m’apaise

ou c’est le mot

va savoir

 

In, revue « Babel heureuse, N° 3 printemps 2018 »

Gwen Catalá Éditeur, 31000 Toulouse

De la même autrice :

« Tu ne tonitrueras pas... » (07/09/2020)

Résolu par le feu (1) (06/09/2022)

Résolu par le feu (2) (06/09/2023)

Résolu par le feu (3) (06/09/2024)

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