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Le bar à poèmes
2 juillet 2023

Antonio Machado (1875 – 1939) : Souvenirs / Recuerdos

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Souvenirs

 

Oh ! Soria ! quand je regarde les frais orangers,

Lourds de parfums, et la campagne toute verte,

Les jasmins épanouis, les champs de blé mûris,

Les montagnes bleues et l’olivaie en fleurs ;

Le Guadalquivir coulant vers la mer parmi les vergers ;

Et au soleil d’avril les jardins regorgeant de lis,

Et les essaims dorés pour butiner leurs miels,

Dispersés dans les champs, s’enfuir de leurs ruchers ;

Je sais le chêne rouge craquant dans les foyers,

La bise glacée qui balaie ton étendue de pierre ;

Et je songe aux âpres sierras – Urbión au-dessus des pinèdes !

Moncayo blanc, dressé vers le ciel d’Aragon ! –

Et je pense : Le printemps, ainsi qu’un frisson,

Va traverser le haut terroir du romancero,

Déjà les peupliers au bord de la rivière doivent mettre leur note verte,

Et l’orme du Douro, a-t-il aussi ses feuilles qui verdissent ?

Les clochers de Soria, sans doute, ont leurs cigognes,

Et les rocailles brunes plus d’un buisson en fleur ;

Déjà entre les rochers gris, vers les hautes prairies,

Le berger doit mener paître ses blancs troupeaux.

 

Oh ! vous dans l’azur, hirondelles voyageuses ;

Qui allez vers le jeune Douro ; troupeaux de mérinos

En route vers les hautes prairies de Numance,

Par les gorges profondes, au soleil des chemins ;

Forêts de hêtres et de pins que traverse le cerf agile,

Montagnes, monticules, coteaux arrondis, vastes landes,

Où l’aigle règne, où le corbeau recherche

Son infecte pitance ; carrés de terre ensemencée

Couleur de cendres comme blouse de paysans,

Masures et bercails au milieu des rochers dénudés,

Ruisseaux et sources où viennent boire, au soir,

Les attelages fatigués, petits jardins éparpillés, humbles

 

Adieu, terre de Soria, adieu, haute plaine,

Entourée de collines, crêtes militaires,

Côteaux et rocailles du désert castillan,

Fantômes de rouvraies et ombres de chênaies !

 

Dans la désespérance et la mélancolie

De ton souvenir, Soria, mon cœur s’abreuve.

Terre d’âme, toute entière, par les vallées fleuries,

Vers ma terre, mon cœur t’emporte.

 

                                                              Dans le train, avril 1913.

 

 

Traduit de l’espagnol par Sylvie Sesé-Léger et Bernard Sesé

In, « Anthologie bilingue de la poésie espagnole »

Editions Gallimard (La Pléiade), 1995

Du même auteur :

 Il y a eu crime dans Grenade / El crimen fue en Granada (08/12/2015)

Aube sur Valence / Amanecer en Valencia (08/12/2016)

Poésies de la guerre / Poesías de la guerra (20/07/2021)

Aveu / Confesión (02/07/2022)

Rives du Douro / Orillas del Duero ((02/07/2024)

 

Recuerdos

 

Oh Soria, cuando miro los frescos naranjales

cargados de perfume, y el campo enverdecido,

abiertos los jazmines, maduros los trigales,

azules las montañas y el olivar florido;

Guadalquivir corriendo al mar entre vergeles;

y al sol de abril los huertos colmados de azucenas,

y los enjambres de oro, para libar sus mieles

dispersos en los campos, huir de sus colmenas;

yo sé la encina roja crujiendo en tus hogares,

barriendo el cierzo helado tu campo empedernido;

y en sierras agrias sueño ?¡Urbión, sobre pinares!

¡Moncayo blanco, al cielo aragonés, erguido!?

Y pienso: Primavera, como un escalofrío

irá a cruzar el alto solar del romancero,

ya verdearán de chopos las márgenes del río.

¿Dará sus verdes hojas el olmo aquel del Duero?

Tendrán los campanarios de Soria sus cigüeñas,

y la roqueda parda más de un zarzal en flor;

ya los rebaños blancos, por entre grises peñas,

hacia los altos prados conducirá el pastor.



¡Oh, en el azul, vosotras, viajeras golondrinas

que vais al joven Duero, rebaños de merinos,

con rumbo hacia las altas praderas numantinas,

por las cañadas hondas y al sol de los caminos

hayedos y pinares que cruza el ágil ciervo,

montañas, serrijones, lomazos, parameras,

en donde reina el águila, por donde busca el cuervo

su infecto expoliario; menudas sementeras

cual sayos cenicientos, casetas y majadas

entre desnuda roca, arroyos y hontanares

donde a la tarde beben las yuntas fatigadas,

dispersos huertecillos, humildes abejares!...



¡Adiós, tierra de Soria; adiós el alto llano

cercado de colinas y crestas militares,

alcores y roquedas del yermo castellano,

fantasmas de robledos y sombras de encinares!



En la desesperanza y en la melancolía

de tu recuerdo, Soria, mi corazón se abreva.

Tierra de alma, toda, hacia la tierra mía,

por los floridos valles, mi corazón te lleva.

 

Campos de Castilla

Editorial Renacimiento, Madrid, 1912

Poème précédent en espagnol :

Óscar Arturo Hahn : Paysages d’hiver / Paisajes de invierno (29/05/2023)

Poème suivant en espagnol :

Miguel de Unamuno : « Que je meure les yeux ouverts... » / « ¡Logre morir con los ojos abiertos…” (06/07/2023)

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