Ronald Stuart Thomas (1913 – 2000) : Quatre-vingt dixième anniversaire / Ninetieth Birthday
Photo : Christophe Barker, 1986
Quatre-vingt dixième anniversaire
Vous remontez le long chemin de terre
Carrossable certes mais qu’on gagne à gravir
Lentement, à pied, en observant le lichen
Qui écrit l’histoire sur la page
De la roche grise. D’abord, des arbres,
Mais qui cèdent bientôt la place à la fougère
Encore verte, gîte de l’engoulevent : on l’entend
Tournoyer les soirs d’été mais à présent il se tient coi
Dans la chaleur de midi, seules s’élèvent les voix
Mineures : mouches bleues, moucherons,
Et murmure de l’eau. La pente se fait plus raide,
Vous reprenez votre souffle, la mer là-bas au loin
Vous fait signe et, vous retournant, vous retrouvez
Le chemin escarpé qu’épaulent les nuages.
Et, tout là-haut, cette vielle femme
Née près d’un siècle plus tôt
Dans cette ferme de pierre, qui attend votre venue,
Attend les nouvelles du village perdu
Qu’elle croit connaître et qui n’existe
Que dans son souvenir.
Vous la saluez
Et la félicitez d’avoir tenu si longtemps
Contre le rabot du temps qui râpe les os.
Pas de pont pourtant entre son
Monde et le vôtre : vous ne pouvez que vous
Pencher doucement au-dessus de l’abîme
Pour entendre des paroles d’une sagesse révolue.
Traduit de l’anglais par Jean-Yves Le Disez
In, R.S. Thomas : « Qui ? »
Editions Les Hauts-Fonds, 29200 Brest
Du même auteur :
Un paysan / A Peasant (18/06/2021)
Dans les collines galloises / The welsh hill country (18/06/2020)
Mort d’un paysan / Death of a Peasant (14/06/2022)
Ce qu’on voit par la fenêtre / The View from the window (14/06/2024)
Ninetieth Birthday
You go up the long track
That will take a car, but is best walked
On slow foot, noting the lichen
That writes history on the page
Of the grey rock. Trees are about you
At first, but yield to the green bracken,
The nightjar’s house : you can hear it spin
On warm evenings ; it is still now
In the noonday heat, only the lesser
Voices sound, blue-fly and gnat
And the stream’s whisper. As the road climbs,
You will pause for breath and the far sea’s
Signal will flash, till you turn again
To the steep track, buttressed with cloud.
And there at the top that old woman,
Born almost a century back
In that stone farm, awaits you coming ;
Waits for the news of the lost village
She thinks she knows, a place that exists
In her memory only.
You bring her greeting
And praise for having lasted so long
With time’s knife shaving the bone.
Yet no bridge joins her own
World with yours, all you can do
Is lean kindly across the abyss
To hear words that where once wise.
Poème précédent en anglais :
Seamus Heaney : Bêcher / Digging (27/05/2023)
Poème suivant en anglais :
Alun Lewis : « Tout le jour il a plu... » / « All day it has rained... » 17/06/2023)