Yvan Goll (1891-1950) : « Et toi, poète... » / « Und du, Dichter... »
Et toi, poète, n’aie pas honte de souffler dans le tuba dont on a ri. Arrive,
sois tempête. Sois tonnerre, fracasse les petits nuages de la rêverie romantique,
lance dans la foule l’éclair de l’esprit. Laisse là les tendres errances et le
désespoir sans gravité de jour pluvieux et de fleurs de crépuscule.
C’est de la lumière qu’il nous faut : lumière, vérité, idée, amour, bonté,
esprit ! Chante des hymnes, crie des manifestes, fais des programmes pour
la terre et pour les cieux.. Pour l’esprit !
Artiste, offre-nous ton grand cœur. Entre avec tes ailes dans le pauvre
peuple éteint. Entre dans l’air consumé des chambres de jeunes mères, dans les
hôpitaux traversés par les cris, bondés de gens qui meurent, qui espèrent, entre
dans le souffle coupé des cachots, dans les casernes trépignées par les colères,
dans les palais de justice et les asiles des vieillards.
Souris toujours et pardonne, comme l’ange, celui qu’on n’a pas reconnu. Et
plus ils seront vifs et bas, écrasés et éteints, que ton chant soit plus beau, plus
haut, plus clair.
Artiste, aime !
Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
In, « Anthologie bilingue de la poésie allemande »
Editions Gallimard (La Pléiade), 1995
Und du, Dichter, schäme dich nicht, und die verlachte Tuba zu stößen.
Komm mit Sturm. Zendonnere die Wölklein romanstischer Träumerei, wirf
den Blitz des Geistes in die Menge. Laß ab von den zarten Verirrungen und
leichten Verzweiflungen des Regenwetters und der Dämmerungsblumen.
Licht brauchen wir : Licht, Wahrheit, Idee, Liebe, Güte, Geist ! Sing
Hymnen, schrei Manifeste, mach Programme für den Himmel und die
Erde. Für den Geist !
Künstler, schenke uns dein großes Herz. Tritt mit deinen Flügeln ins
dumpfe, arme Volk. Tritt in die schwälenden Stuben der jungen Mütter, in
die schreidurchzuckten Spitäler voll Sterbender, Hoffender, tritt in die
atembenommenen Kerker, in die zornverstampften Kasernen, in die
Justizpaläste un die Greisenasyle.
Lächle immer und verzeih wie der Engel, der unerkannte. Je schlechter und
tiefer und dumpfer sie sind, desto schöner, höher und heller sei dein Gesang.
Künstler, liebe !
Appel an die Kunst
In, « Die Aktion, N°45-46 , 17 Novembre 1917»
Berlin, 1917
Poème précédent en allemand :
Peter Huchel : Eté écossais / Schottischer Sommer (16/04/2023)
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Johann Wolfgang von Goethe : Prométhée / Prometheus (23/06/2023)