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Le bar à poèmes
14 avril 2023

L’épopée de Gilgameš (2100 avant J.C.) : Tablette II et III

gilgamesh_char[1]Plaque en terre cuite de Nuzi (British Museum, BM 123287) de la période paléo-babylonienne (2000-1600 av. J.-C.). Gilgameš y apparaît entouré de sabres et de haches. Au registre inférieur de la plaque, on le voit sur un char tiré par des lions. La scène est encadrée par les figures d’Humbaba et d’une divinité au vase jaillissant © The Trustees of the British Museum

 

L’épopée de Gilgameš

(Version ninivite)

 

TABLETTE II

La rencontre, l’amitié, le projet d’aventure

 

Enkidu aux pieds de la Courtisane

     Installés au bord de l’aiguade, Enkidu et la Courtisane

          Prolongeaient leurs caresses...

 

Qui le décide à la suivre à Uruk

     « Pourquoi donc, Enkidu

          Ne me suivrais-tu pas à Uruk ? »

 

Il accepte et ils partent

     Après en avoir discuté entre eux,

     Spontanément

          Enkidu en tomba d’accord :

     Parfaitement conscient,

     Il obtempéra

          Aux conseils de Lajoyeuse !

     Elle lui passa

          Un de ses vêtements,

     Gardant l’autre

          Sur elle.

 

     Puis, l’ayant pris par la main, elle le conduisit

          Comme un enfant !

 

Ils font étape chez les bergers

     Et l’emmena

          A une hutte de bergers.

     En chœur autour de lui,

          Les Bergers

     Spontanément

          S’exclamèrent :

          « Ce gaillard-là, comme il ressemble

          A Gilgameš, par la stature !         

     D’aussi haute taille,

          Altier comme un sommet de rempart !

     C’est sans doute Enkidu,

          Le natif du désert,

     Celui dont la musculature est aussi puissante

          Qu’un bloc venu du Ciel ?

 

Enkidu commence à se comporter comme un homme

     Le pain qu’ils lui proposaient

          Il le refusa ;

     La bière qu’ils lui présentaient,

          Il n’en voulut pas :

     Sans manger ce pain,

          Enkidu l’examinait avec méfiance ;

    Sans boire cette bière,

          Il l’examinait avec méfiance...

.....................................................

     Il mettait en pièces les loups

          Et maîtrisait les lions,

     Tandis que reposaient les pâtres,

     Car Enkidu

          Faisait pour eux le pâtre !

 

La Courtisane l’entraîne à Uruk

     Mais la Courtisane lui dit :

          « Au lieu de demeurer sur place,

     Vient plutôt à Uruk-les-clos,

          Afin de... »

..........................................

 

Enkidu se dresse contre Gilgameš

     Debout dans la grand-rue

          D’Uruk-les-clos

     Enkidu

          Faisait preuve de violence,

     Barrant la route,

          A Gilgameš.

     Devant lui se tenait

          La population entière d’Uruk,

     Tout le peuple

          S’était attroupé alentour,

     La foule

          Se pressait devant lui,

     Et les gaillards

          S’étaient massés pour le voir.

     Et, comme à un bambin,

          Ils lui baisaient les pieds :

     « On voit d’emblée, disaient-ils,   

         Que c’est un beau gaillard ! »  

 

La noce et la guerre

     Cependant l’appareil nocturne d’une noce

          Avait été mis en place,

     Et, comme on l’eût fait à un dieu

          On avait mis une « ceinture » à Gilgameš.

     Mais Enkidu bloquait, de ses pieds,

          La porte de la maison nuptiale,

     N’y laissant pas

          Gilgameš entrer.

     Aussi, devant la porte même

          S’empoignèrent-ils

     Et se battirent-ils, en pleine rue,

          Sur la grande place du pays,

     Si fort que les jambages en étaient ébranlés,

          Et que les murs vacillaient.

 

Présentation d’Enkidu par Gilgameš à sa mère   

     « C’est le plus fort du pays,

          Le plus valeureux !

     Il est aussi puissant,

          Qu’un bloc venu du Ciel,

     De haute taille,

          Altier comme le sommet d’un rempart ! »

     La mère de Gilgameš, ayant ouvert la bouche

               Prit la parole

               Et s’adressa à son fils –

     Ninsuna-la-Bufflesse, ayant ouvert la bouche

               Prit la parole

               Et s’adressa à Gilgameš

     « Mon fils,

     Enkidu s’est plaint aigrement

          De ta conduite

...........................................

 

Gilgameš excuse Enkidu

     Certes, debout à la porte

          De la maison nuptiale,

     Il s’est plein aigrement

          De ma conduite

     Mais cet Enkidu n’a eu

          Père ni mère ;

     Sa chevelure flottait librement

          Sur ses épaules.

     Mis au monde en la steppe

          Nul ne l’a élevé »

 

Emotion d’Enkidu et nouveau pacte d’amitié par-devant la mère de Gilgameš

     Lorsque Enkidu, présent,

          Eut ouï ces paroles,

     Il demeura immobile,

          Pensif,

     Les yeux remplis

          De larmes,

     Les bras sans force,

          Toute vigueur anéantie !

     Alors, ils s’enlacèrent

     Et leurs mains se joignirent

     Et Enkidu adressa cette parole

          A Gilgameš :

.....................................................

 

Enkidu souligne les dangers de l’entreprise

     C’est pour sauvegarder

          La forêt des Cèdres,

     Et pour terroriser les gens,

          Qu’Enlil a mis Humbaba en place !

     Ce Humbaba, son cri, c’est l’Epouvante

          Sa bouche, c’est du feu

          Son haleine, la Mort !

     Sur six cent kilomètres,

          Il entend tous les bruits de la Forêt ;

          Qui donc y pourra pénétrer jusqu’au fond ?

     C’est pour sauvegarder les Cèdres,

          Pour terrifier les gens

          Qu’Enlil l’a mis en place.

     Qui entrerait en sa Forêt,

          Serait paralysé !»

 

Gilgameš s’obstine

     Mais Gilgameš

          S’adressa à lui, Enkidu :

     « Mon ami

.......................................

     Si des enfants ont été mis au monde

          Ce n’est pas pour rester inactifs. »

 

Réplique d’Enkidu

     Mais Enkidu ouvrit la bouche et, prenant la parole,

          S’adressa à Gilgameš :

     « Ami, que nous allions le trouver,

          C’est impossible ! -

     Que nous allions trouver Humbaba,

          C’est impossible »

......................................................................

 

Désir de gloire de Gilgameš et décision de faire préparer les armes nécessaires :

ce qu‘exécutent les artisans

     Les artisans, là présents, se concertèrent :

          Pour :

     « Coulons donc des haches,

     Des cognées, coulons-en, de soixante kilos, chaque, Coulons-en

     Des épées requises, coulons-en, de soixante kilos, chaque, Coulons-en

     Des baudriers, coulons-en, de soixante kilos, chaque :

          Ces baudriers.

..............................................................

 

Gilgameš rend public son dessein en s’adressant à la classe des « Gaillards »

     Ecoutez-moi, Gaillards

     Gaillards d’Uruk

          Experts à............

     Je me sens assez fort pour partir,

          Tirer chemin.

     J’affronterai un combat incertain

          Une campagne hasardeuse !

     Souhaitez-moi bonne route

     Mais j’entrerai d’abord à Uruk par la grand-porte

     Et j’en ressortirai,

          Pour gagner la chapelle de l’Akîtu

     Afin d’y célébrer l’Akîtu

     Que l’on fête donc l’Akîtu

          En musique

     Qu’on l’accompagne de cris de joie

 

Enkidu demande aux Anciens de retenir Gilgameš

     Mais Enkidu s’adressant aux Anciens,

          Leur disait :

     « Les Gaillards d’Uruk

          L’encouragent :

     Vous, dites-lui

          De ne point gagner la Forêt !

     Ce n’est pas une expédition à entreprendre :

          Il n’est qu’un homme fort,

     Et celui qui surveille la Forêt

          Est sans pitié.

..................................................

 

Les Anciens mettent en garde Gilgameš

     Debout,

          Les membres du Conseil des Anciens

     Donnèrent leur avis

          A Gilgameš :

     « Gilgameš, tu es jeune,

          Et ton cœur t’entraîne !

     Aussi, ne comprends-tu pas bien ce dont tu parles :

          Un papillon t’aurait-il donné le jour ?

     Ce Humbaba, lorsqu’il crie,

          C’est l’Epouvante ;

     Sa bouche, c’est du Feu ;

          Son haleine, la Mort.

     Il entend, sur six cent kilomètres

          Les bruits de la Forêt.

     Qui donc,

          Y pourra pénétrer jusqu’au fond ?

     Terrible est son visage,

          Et monstrueux !

     Qui donc même entre les Igigi

          Lui pourrait faire face ?

     C’est donc pour sauvegarder les Cèdres

          Et pour terrifier les gens

          Qu’Enlil l’a mis en place ! »

     Mais Gilgameš ayant ouï

          Les paroles des grands Conseillers,

.....................................................................

 

TABLETTE III

Préparatifs et départ

 

Les Anciens donnent à Gilgameš des conseils de prudence et le confient à Enkidu

     Ayant ouvert la bouche et pris la parole,

          Les anciens s’adressèrent à Gilgameš,

     Ne te fie pas, Gilgameš,

          Même à toutes tes forces !

     Ajuste bien tes regards

          Pour que tes coups portent !

     Qui marche le premier

          Sauve son compagnon ;

     Et qui connaît le circuit

          Protège son ami !

     Enkidu

          Ira donc devant toi :

     Il connaît le chemin

          De la forêt des Cèdres ; 

     Habitué au combat,

          Maître en matière de lutte,

     Il protègera son ami,

          Et gardera son compagnon sain-et-sauf,

     Dût-il le transporter lui-même

          Devant les chausse-trapes !

     De par notre Assemblée, Enkidu,

          Nous te confions notre roi :

     Ce même roi, tu le ramèneras,

          Pour le remettre entre nos mains ! »

 

Gilgameš emmène Enkidu faire ses adieux à sa mère.

     Gilgameš ouvrit alors la bouche

          Prit la parole

     Et s’adressa

          A Enkidu :

     « Allons ! ami, rendons-nous

          Au Sublime-Palais,

     Trouver Ninsuna,

          La grande Reine.

     Ninsuna, sage et intelligente,

          Et qui sait tout

     Disposera pour notre expédition,

          Un itinéraire prudent ! »

     S’étant donc pris

          La main dans la main,

     Gilgameš et Enkidu

          S’en furent au Sublime-Palais,

     Trouver Ninsuna,

          La grande Reine.

 

Adresse de Gilgameš à sa mère

     Gilgameš s’avança

          Et pénétra devant la Reine :

     « Ninsuna, lui dit-il, je me sens assez fort

          Pour franchir :

     La longue route

          Qui mène à Humbaba,

     Pour affronter

          Ce combat incertain,

     Et me lancer

          Dans cette aventure hasardeuse,

     Jusqu’au moment

          De mon retour :

     Jusqu’à ce qu’arrivé

          A la Forêt des Cèdres,

     J’aie immolé

          Humbaba-le-féroce

     Et éliminé de la terre

          Cet être funeste que déteste Šamaš

 

Ninsuna se prépare à une cérémonie déprécatoire au dieu Šamaš

     Ninsuna se retira

          En ses appartements

     Se lava

          A la saponaire,

     Mit une robe

          Seyante à son corps,

     Et s’orna d’un collier

          Bien fait pour sa poitrine.

     Ainsi parée,

          Son diadème en tête

.......................................................

     Elle s’élança

          Et monta sur le toit-terrasse

     Là, devant Šamaš

          Elle disposa un brûle-parfums

     Et lui présenta une offrande.

          Puis, les mains levées vers lui, s’écria :

    «  Pourquoi,

          M’ayant attribué Gilgameš pour fils

          Lui as-tu assigné une âme infatigable ?

     Voilà que, maintenant,

          Tu l’as incité à franchir

     La longue route

          Qui mène à Humbaba

     Pour affronter

          Ce combat incertain,

     Et se lancer

          Dans cette aventure hasardeuse,

     Jusqu’au moment

          De son retour :

     Jusqu’à ce qu’arrivé

          A la Forêt des Cèdres,

     Il ait immolé

          Humbaba-le féroce

     Et éliminé de la terre

          Cet être funeste que tu hais !

     Mais toi,

          Lorsque tu reposeras avec elle,

     Qu’Aya-la-Bru, en personne,

          Te rappelle, sans crainte,

     De confier mon propre fils

          Aux gardes de la Nuit,

     Aux étoiles du soir. »

....................................................................

     Après avoir éteint l’encensoir,

          Elle réitéra longuement sa prière.

 

Ninsuna s’adresse à Enkidu pour lui confier Gilgameš

     Ayant alors interpellé Enkidu,

          Elle lui exposa sa volonté :

     « Ô puissant Enkidu,

          Tu n'es pas sorti de mon sein,

     Mais, à présent, je t’adjure,

          Au  nom des intimes de Gilgameš

     Des prêtresses, des consacrées,

          Et des hiérodules ! »

     Ainsi chargea-t-elle de cette mission

          Les épaules d’Enkidu,

     Tandis que les prêtresses prenaient

..........................................................

     Et que les « filles-des-dieux »

          Renforcaient

     Moi (disait Ninsuna), Enkidu

....................................................

 

Réponse d’Enkidu, qui accepte la mission

     Et Enkidu répondit

          A Ninsuna :

     Gilgameš

........................................

     Jusqu’à son retour,

          Jusqu’à ce qu’arrivé

          A la Forêt de Cèdres

     Lui fallût-il des mois

     Lui fallût-il des années

 

Dernière recommandation des Anciens

 

     « Enkidu protégera son ami

          Et gardera son compagnon sain et sauf,

     Dût-il le transporter lui-même

          Devant les chausse-trapes !

     De par notre Assemblée, Enkidu,

          Nous te confions notre roi !

     Ce même roi, tu le ramèneras

          Pour le remettre entre nos mains ! »

 

Enkidu s’adresse à Gilgameš

     Enkidu ouvrit alors la bouche

          Et, prenant la parole,

     S’adressa

          A Gilgameš :

     Mon ami, une fois encore

.............................................................

 

Traduit de l’akkadien par Jean Bottéro

in, « L’épopée de Gilgameš, le grand homme qui ne voulait pas mourir »

Editions Gallimard 1992

Du même auteur :

L’épopée de Gilgameš : Tablette I (14/04/2022)

Tablette II et III (14/04/2023)

Tablette IV (1 et 2) (14/04/2024)

 

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