L’épopée de Gilgameš (2100 avant J.C.) : Tablette II et III
Plaque en terre cuite de Nuzi (British Museum, BM 123287) de la période paléo-babylonienne (2000-1600 av. J.-C.). Gilgameš y apparaît entouré de sabres et de haches. Au registre inférieur de la plaque, on le voit sur un char tiré par des lions. La scène est encadrée par les figures d’Humbaba et d’une divinité au vase jaillissant © The Trustees of the British Museum
L’épopée de Gilgameš
(Version ninivite)
TABLETTE II
La rencontre, l’amitié, le projet d’aventure
Enkidu aux pieds de la Courtisane
Installés au bord de l’aiguade, Enkidu et la Courtisane
Prolongeaient leurs caresses...
Qui le décide à la suivre à Uruk
« Pourquoi donc, Enkidu
Ne me suivrais-tu pas à Uruk ? »
Il accepte et ils partent
Après en avoir discuté entre eux,
Spontanément
Enkidu en tomba d’accord :
Parfaitement conscient,
Il obtempéra
Aux conseils de Lajoyeuse !
Elle lui passa
Un de ses vêtements,
Gardant l’autre
Sur elle.
Puis, l’ayant pris par la main, elle le conduisit
Comme un enfant !
Ils font étape chez les bergers
Et l’emmena
A une hutte de bergers.
En chœur autour de lui,
Les Bergers
Spontanément
S’exclamèrent :
« Ce gaillard-là, comme il ressemble
A Gilgameš, par la stature !
D’aussi haute taille,
Altier comme un sommet de rempart !
C’est sans doute Enkidu,
Le natif du désert,
Celui dont la musculature est aussi puissante
Qu’un bloc venu du Ciel ?
Enkidu commence à se comporter comme un homme
Le pain qu’ils lui proposaient
Il le refusa ;
La bière qu’ils lui présentaient,
Il n’en voulut pas :
Sans manger ce pain,
Enkidu l’examinait avec méfiance ;
Sans boire cette bière,
Il l’examinait avec méfiance...
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Il mettait en pièces les loups
Et maîtrisait les lions,
Tandis que reposaient les pâtres,
Car Enkidu
Faisait pour eux le pâtre !
La Courtisane l’entraîne à Uruk
Mais la Courtisane lui dit :
« Au lieu de demeurer sur place,
Vient plutôt à Uruk-les-clos,
Afin de... »
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Enkidu se dresse contre Gilgameš
Debout dans la grand-rue
D’Uruk-les-clos
Enkidu
Faisait preuve de violence,
Barrant la route,
A Gilgameš.
Devant lui se tenait
La population entière d’Uruk,
Tout le peuple
S’était attroupé alentour,
La foule
Se pressait devant lui,
Et les gaillards
S’étaient massés pour le voir.
Et, comme à un bambin,
Ils lui baisaient les pieds :
« On voit d’emblée, disaient-ils,
Que c’est un beau gaillard ! »
La noce et la guerre
Cependant l’appareil nocturne d’une noce
Avait été mis en place,
Et, comme on l’eût fait à un dieu
On avait mis une « ceinture » à Gilgameš.
Mais Enkidu bloquait, de ses pieds,
La porte de la maison nuptiale,
N’y laissant pas
Gilgameš entrer.
Aussi, devant la porte même
S’empoignèrent-ils
Et se battirent-ils, en pleine rue,
Sur la grande place du pays,
Si fort que les jambages en étaient ébranlés,
Et que les murs vacillaient.
Présentation d’Enkidu par Gilgameš à sa mère
« C’est le plus fort du pays,
Le plus valeureux !
Il est aussi puissant,
Qu’un bloc venu du Ciel,
De haute taille,
Altier comme le sommet d’un rempart ! »
La mère de Gilgameš, ayant ouvert la bouche
Prit la parole
Et s’adressa à son fils –
Ninsuna-la-Bufflesse, ayant ouvert la bouche
Prit la parole
Et s’adressa à Gilgameš
« Mon fils,
Enkidu s’est plaint aigrement
De ta conduite
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Gilgameš excuse Enkidu
Certes, debout à la porte
De la maison nuptiale,
Il s’est plein aigrement
De ma conduite
Mais cet Enkidu n’a eu
Père ni mère ;
Sa chevelure flottait librement
Sur ses épaules.
Mis au monde en la steppe
Nul ne l’a élevé »
Emotion d’Enkidu et nouveau pacte d’amitié par-devant la mère de Gilgameš
Lorsque Enkidu, présent,
Eut ouï ces paroles,
Il demeura immobile,
Pensif,
Les yeux remplis
De larmes,
Les bras sans force,
Toute vigueur anéantie !
Alors, ils s’enlacèrent
Et leurs mains se joignirent
Et Enkidu adressa cette parole
A Gilgameš :
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Enkidu souligne les dangers de l’entreprise
C’est pour sauvegarder
La forêt des Cèdres,
Et pour terroriser les gens,
Qu’Enlil a mis Humbaba en place !
Ce Humbaba, son cri, c’est l’Epouvante
Sa bouche, c’est du feu
Son haleine, la Mort !
Sur six cent kilomètres,
Il entend tous les bruits de la Forêt ;
Qui donc y pourra pénétrer jusqu’au fond ?
C’est pour sauvegarder les Cèdres,
Pour terrifier les gens
Qu’Enlil l’a mis en place.
Qui entrerait en sa Forêt,
Serait paralysé !»
Gilgameš s’obstine
Mais Gilgameš
S’adressa à lui, Enkidu :
« Mon ami
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Si des enfants ont été mis au monde
Ce n’est pas pour rester inactifs. »
Réplique d’Enkidu
Mais Enkidu ouvrit la bouche et, prenant la parole,
S’adressa à Gilgameš :
« Ami, que nous allions le trouver,
C’est impossible ! -
Que nous allions trouver Humbaba,
C’est impossible »
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Désir de gloire de Gilgameš et décision de faire préparer les armes nécessaires :
ce qu‘exécutent les artisans
Les artisans, là présents, se concertèrent :
Pour :
« Coulons donc des haches,
Des cognées, coulons-en, de soixante kilos, chaque, Coulons-en
Des épées requises, coulons-en, de soixante kilos, chaque, Coulons-en
Des baudriers, coulons-en, de soixante kilos, chaque :
Ces baudriers.
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Gilgameš rend public son dessein en s’adressant à la classe des « Gaillards »
Ecoutez-moi, Gaillards
Gaillards d’Uruk
Experts à............
Je me sens assez fort pour partir,
Tirer chemin.
J’affronterai un combat incertain
Une campagne hasardeuse !
Souhaitez-moi bonne route
Mais j’entrerai d’abord à Uruk par la grand-porte
Et j’en ressortirai,
Pour gagner la chapelle de l’Akîtu
Afin d’y célébrer l’Akîtu
Que l’on fête donc l’Akîtu
En musique
Qu’on l’accompagne de cris de joie
Enkidu demande aux Anciens de retenir Gilgameš
Mais Enkidu s’adressant aux Anciens,
Leur disait :
« Les Gaillards d’Uruk
L’encouragent :
Vous, dites-lui
De ne point gagner la Forêt !
Ce n’est pas une expédition à entreprendre :
Il n’est qu’un homme fort,
Et celui qui surveille la Forêt
Est sans pitié.
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Les Anciens mettent en garde Gilgameš
Debout,
Les membres du Conseil des Anciens
Donnèrent leur avis
A Gilgameš :
« Gilgameš, tu es jeune,
Et ton cœur t’entraîne !
Aussi, ne comprends-tu pas bien ce dont tu parles :
Un papillon t’aurait-il donné le jour ?
Ce Humbaba, lorsqu’il crie,
C’est l’Epouvante ;
Sa bouche, c’est du Feu ;
Son haleine, la Mort.
Il entend, sur six cent kilomètres
Les bruits de la Forêt.
Qui donc,
Y pourra pénétrer jusqu’au fond ?
Terrible est son visage,
Et monstrueux !
Qui donc même entre les Igigi
Lui pourrait faire face ?
C’est donc pour sauvegarder les Cèdres
Et pour terrifier les gens
Qu’Enlil l’a mis en place ! »
Mais Gilgameš ayant ouï
Les paroles des grands Conseillers,
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TABLETTE III
Préparatifs et départ
Les Anciens donnent à Gilgameš des conseils de prudence et le confient à Enkidu
Ayant ouvert la bouche et pris la parole,
Les anciens s’adressèrent à Gilgameš,
Ne te fie pas, Gilgameš,
Même à toutes tes forces !
Ajuste bien tes regards
Pour que tes coups portent !
Qui marche le premier
Sauve son compagnon ;
Et qui connaît le circuit
Protège son ami !
Enkidu
Ira donc devant toi :
Il connaît le chemin
De la forêt des Cèdres ;
Habitué au combat,
Maître en matière de lutte,
Il protègera son ami,
Et gardera son compagnon sain-et-sauf,
Dût-il le transporter lui-même
Devant les chausse-trapes !
De par notre Assemblée, Enkidu,
Nous te confions notre roi :
Ce même roi, tu le ramèneras,
Pour le remettre entre nos mains ! »
Gilgameš emmène Enkidu faire ses adieux à sa mère.
Gilgameš ouvrit alors la bouche
Prit la parole
Et s’adressa
A Enkidu :
« Allons ! ami, rendons-nous
Au Sublime-Palais,
Trouver Ninsuna,
La grande Reine.
Ninsuna, sage et intelligente,
Et qui sait tout
Disposera pour notre expédition,
Un itinéraire prudent ! »
S’étant donc pris
La main dans la main,
Gilgameš et Enkidu
S’en furent au Sublime-Palais,
Trouver Ninsuna,
La grande Reine.
Adresse de Gilgameš à sa mère
Gilgameš s’avança
Et pénétra devant la Reine :
« Ninsuna, lui dit-il, je me sens assez fort
Pour franchir :
La longue route
Qui mène à Humbaba,
Pour affronter
Ce combat incertain,
Et me lancer
Dans cette aventure hasardeuse,
Jusqu’au moment
De mon retour :
Jusqu’à ce qu’arrivé
A la Forêt des Cèdres,
J’aie immolé
Humbaba-le-féroce
Et éliminé de la terre
Cet être funeste que déteste Šamaš
Ninsuna se prépare à une cérémonie déprécatoire au dieu Šamaš
Ninsuna se retira
En ses appartements
Se lava
A la saponaire,
Mit une robe
Seyante à son corps,
Et s’orna d’un collier
Bien fait pour sa poitrine.
Ainsi parée,
Son diadème en tête
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Elle s’élança
Et monta sur le toit-terrasse
Là, devant Šamaš
Elle disposa un brûle-parfums
Et lui présenta une offrande.
Puis, les mains levées vers lui, s’écria :
« Pourquoi,
M’ayant attribué Gilgameš pour fils
Lui as-tu assigné une âme infatigable ?
Voilà que, maintenant,
Tu l’as incité à franchir
La longue route
Qui mène à Humbaba
Pour affronter
Ce combat incertain,
Et se lancer
Dans cette aventure hasardeuse,
Jusqu’au moment
De son retour :
Jusqu’à ce qu’arrivé
A la Forêt des Cèdres,
Il ait immolé
Humbaba-le féroce
Et éliminé de la terre
Cet être funeste que tu hais !
Mais toi,
Lorsque tu reposeras avec elle,
Qu’Aya-la-Bru, en personne,
Te rappelle, sans crainte,
De confier mon propre fils
Aux gardes de la Nuit,
Aux étoiles du soir. »
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Après avoir éteint l’encensoir,
Elle réitéra longuement sa prière.
Ninsuna s’adresse à Enkidu pour lui confier Gilgameš
Ayant alors interpellé Enkidu,
Elle lui exposa sa volonté :
« Ô puissant Enkidu,
Tu n'es pas sorti de mon sein,
Mais, à présent, je t’adjure,
Au nom des intimes de Gilgameš
Des prêtresses, des consacrées,
Et des hiérodules ! »
Ainsi chargea-t-elle de cette mission
Les épaules d’Enkidu,
Tandis que les prêtresses prenaient
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Et que les « filles-des-dieux »
Renforcaient
Moi (disait Ninsuna), Enkidu
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Réponse d’Enkidu, qui accepte la mission
Et Enkidu répondit
A Ninsuna :
Gilgameš
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Jusqu’à son retour,
Jusqu’à ce qu’arrivé
A la Forêt de Cèdres
Lui fallût-il des mois
Lui fallût-il des années
Dernière recommandation des Anciens
« Enkidu protégera son ami
Et gardera son compagnon sain et sauf,
Dût-il le transporter lui-même
Devant les chausse-trapes !
De par notre Assemblée, Enkidu,
Nous te confions notre roi !
Ce même roi, tu le ramèneras
Pour le remettre entre nos mains ! »
Enkidu s’adresse à Gilgameš
Enkidu ouvrit alors la bouche
Et, prenant la parole,
S’adressa
A Gilgameš :
Mon ami, une fois encore
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Traduit de l’akkadien par Jean Bottéro
in, « L’épopée de Gilgameš, le grand homme qui ne voulait pas mourir »
Editions Gallimard 1992
Du même auteur :
L’épopée de Gilgameš : Tablette I (14/04/2022)
Tablette II et III (14/04/2023)
Tablette IV (1 et 2) (14/04/2024)