Daniel Biga (1940 -) : « il vint une lettre de ma vieille mère... »
Det kom eit brev ifrän min gamla mor.
PÄR LAGERKVIST
il vint une lettre de ma vieille mère
une lettre d’une grande fatigue
qui sans en parler jamais sous quelques mots maladroits
contenait 5 enfants nés vivants à terme et adultes
aujourd’hui
contenait 3 fausses couches 2 opérations graves
et bien des maladies
contenait 67 ans de travail de femme quotidiennement répété
contenait pas mal de sacrifices
pas mal de larmes pas mal de sang régulier et extraordinaire
beaucoup de peur du vagin et de dégoût du nombril au coccyx
beaucoup de somnifères et de nuits blanches
cependant
ma canti canti... E CANTI CHE TI PASSA LA PAURA
(chante maman que la peur elle s’efface !)
Une lettre venant d’une Maison de Vieux
parlant d’un frêle espoir de Dieu te garde
ou bien encore :
Dieu bientôt me rappellera à Lui
et contenant pas mal de superstitions et pas mal de bêtises
et d’erreurs et de cannibalisme maternel
et de tendresse désarmée
- une lettre inquiète
sans aucune paix dominicale je vous le jure
avec fort peu de repos et de céréales
Il vint une lettre d’une veille femme parmi des milliards
ayant vécu incroyablement des choses ordinaires
d’une terreur commune
le pont de chemin de fer est un chant triste dans l’air
chaque fois que le train passe le cœur me monte à la bouche
(Claude Delmas, Langston Hughes)
des choses si ordinairement courantes
Il vint une lettre d’une veille femme perdue usée
qui enfin allait mourir
et rejoignait les quelques milliers de journées
d’une petite fille impubère
parfois heureuse
UNE VIEILLE FEMME
aujourd’hui dans le compte à rebours il lui restait juste
144 jours avant de rentrer dans la matrice de la terre
In, Revue « Zone, N°2 », Bordeaux, 1973
Du même auteur :
Homme né en 1940 (11/03/2015)
Les chants désespérés (10/03/2016)
« au matin neuf… » (11/03/2017)
Horoscope (11/03/2018)
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