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Le bar à poèmes
5 mars 2023

Gil Jouanard (1937- 2021) : La maison de demain

gil-jouanard[1]

 

La maison de demain

 

« Simple et tranquille », l’image va son train,

nourrie d’herbes, de vent, distillant sa propre mémoire.

 

La vitre n’est pas un obstacle ;

elle atténue l’air trop puissant des profondeurs.

 

L’heure des yeux est descendue

fraîche sonnée sur les pavés de l’aube ;

au loin, soi se répand dans l’irraison globale,

et Brueghel ouvre grand les chants inépuisables

de l’ocre et du bistre et de l’or

et du vert primordial.

 

 

 

Puisque voici là-bas

enfin venu au secours du silence,

allons,

le pays est présent

aux gestes de l’espoir ;

il faut croire à l’appel guttural

qui nous tire vers ce  puits d’ombre,

lentement,

jusqu’à l’instant noué

où,

gerbes incandescentes,

il y aura.

 

 

 

Autre zone de l’habitat,

mais qui délivre la présence,

tels livres entassés, où flambe le désir,

où se nourrit la confiance

en celui descendu aux galeries du labyrinthe,

par en-dessous la palissade,

tenter l’adéquation avec la folle course des avoines,

la comptine des eaux courantes,

la main tendue par-dessus les montagnes

pour aider à franchir l’asphyxie.

 

 

 

L’escalier aussi, la poignée d’étain,

et la fonte, le grès,

l’odeur alcaline des coins d’obscurité ;

de quoi tomber tout droit

sur ce chant qui n’attend

que notre mélodie.

 

A pic, la chambre noire

où le rêve projette ses lueurs

sur un mur transparent ;

et puis aussi la pluie sur les carreaux,

qui n’a rien oublié

des fleuves et des lacs,

même des simples mares

où nous irons, enfants,

pousser des cris de joie

parmi les animaux, les saules,

parmi les vieux instruments musiciens.

 

 

 

Encore n’ai-je interpellé

que les secteurs habituels de la demeure,

vieilles manies complices,

où la fumée et le souffle

ont déposé leur hâle gris,

rêves, espoirs, souvenirs

et envies, jaunis, écornés,

fissurés, bien en main

comme ces préceptes que l’on récite

à bon escient,

et ces excuses toutes prêtes

pour le retard, la confusion,

l’oubli même parfois ;

 

mais il y aurait lieu aussi

de convoquer l’imprévu,

qui n’est pas moins fidèle à la patience

que les images du calendrier ;

ce n’est pas autrement que vit la vérité,

un pan ici d’exactitude

et là  ce faux pas

précipitant d’un coup dans l’essentiel

- dont la journée pourtant

s’efforce de nous préserver –

 

 

 

Et puis, n’oublions pas :

le plus fort du regard

se vit les yeux fermés,

dans l’immobile mouvement

où se consume notre ici.

 

 

 

Pourtant, voici le cuivre

d’un ustensile de cuisine,

le bois du lit, et, même mortes,

les anémones dans le vase ;

voici la justesse d’un pas

dans l’autre monde d’à-côté,

et puis les mots, qui nous entraînent

comme si tout allait de soi.

 

Et puis enfin, à côté de la langue,

échappant à la langue,

voici le poème,

qui parle d’autre chose,

qui vient frapper en plein cœur de la cible,

et nous fait vibrer jusqu’aux racines.

 

Jusqu’à ce que,

de la mémoire,

s’envolent

d’un coup d’aile,

d’un coup sec,

les oiseaux bariolés

qui inondent d’enfance

la forêt de nos yeux.

 

 

Chronique du bois d’eucalyptus

Guy Chambelland éditeur, 1974

Du même auteur :

« Au bout de chaque jour… » (05/03/2015)

Hautes chaumes (I) (05/03/2016)

Sonnailles (05/03/2017)

Al-Kimiya, (05/03/2018)

« Fibres... » (04/03/2019)

Hautes chaumes (II) (05/03/2020)

Le chaudron de cuivre de Chardin (I) (05/03/2021)

Le chaudron de cuivre de Chardin (II) (05/03/2022)

Chronique du bois d’eucalyptus (1et 2) (05/03/2024)

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