Gil Jouanard (1937- 2021) : La maison de demain
La maison de demain
« Simple et tranquille », l’image va son train,
nourrie d’herbes, de vent, distillant sa propre mémoire.
La vitre n’est pas un obstacle ;
elle atténue l’air trop puissant des profondeurs.
L’heure des yeux est descendue
fraîche sonnée sur les pavés de l’aube ;
au loin, soi se répand dans l’irraison globale,
et Brueghel ouvre grand les chants inépuisables
de l’ocre et du bistre et de l’or
et du vert primordial.
Puisque voici là-bas
enfin venu au secours du silence,
allons,
le pays est présent
aux gestes de l’espoir ;
il faut croire à l’appel guttural
qui nous tire vers ce puits d’ombre,
lentement,
jusqu’à l’instant noué
où,
gerbes incandescentes,
il y aura.
Autre zone de l’habitat,
mais qui délivre la présence,
tels livres entassés, où flambe le désir,
où se nourrit la confiance
en celui descendu aux galeries du labyrinthe,
par en-dessous la palissade,
tenter l’adéquation avec la folle course des avoines,
la comptine des eaux courantes,
la main tendue par-dessus les montagnes
pour aider à franchir l’asphyxie.
L’escalier aussi, la poignée d’étain,
et la fonte, le grès,
l’odeur alcaline des coins d’obscurité ;
de quoi tomber tout droit
sur ce chant qui n’attend
que notre mélodie.
A pic, la chambre noire
où le rêve projette ses lueurs
sur un mur transparent ;
et puis aussi la pluie sur les carreaux,
qui n’a rien oublié
des fleuves et des lacs,
même des simples mares
où nous irons, enfants,
pousser des cris de joie
parmi les animaux, les saules,
parmi les vieux instruments musiciens.
Encore n’ai-je interpellé
que les secteurs habituels de la demeure,
vieilles manies complices,
où la fumée et le souffle
ont déposé leur hâle gris,
rêves, espoirs, souvenirs
et envies, jaunis, écornés,
fissurés, bien en main
comme ces préceptes que l’on récite
à bon escient,
et ces excuses toutes prêtes
pour le retard, la confusion,
l’oubli même parfois ;
mais il y aurait lieu aussi
de convoquer l’imprévu,
qui n’est pas moins fidèle à la patience
que les images du calendrier ;
ce n’est pas autrement que vit la vérité,
un pan ici d’exactitude
et là ce faux pas
précipitant d’un coup dans l’essentiel
- dont la journée pourtant
s’efforce de nous préserver –
Et puis, n’oublions pas :
le plus fort du regard
se vit les yeux fermés,
dans l’immobile mouvement
où se consume notre ici.
Pourtant, voici le cuivre
d’un ustensile de cuisine,
le bois du lit, et, même mortes,
les anémones dans le vase ;
voici la justesse d’un pas
dans l’autre monde d’à-côté,
et puis les mots, qui nous entraînent
comme si tout allait de soi.
Et puis enfin, à côté de la langue,
échappant à la langue,
voici le poème,
qui parle d’autre chose,
qui vient frapper en plein cœur de la cible,
et nous fait vibrer jusqu’aux racines.
Jusqu’à ce que,
de la mémoire,
s’envolent
d’un coup d’aile,
d’un coup sec,
les oiseaux bariolés
qui inondent d’enfance
la forêt de nos yeux.
Chronique du bois d’eucalyptus
Guy Chambelland éditeur, 1974
Du même auteur :
« Au bout de chaque jour… » (05/03/2015)
Hautes chaumes (I) (05/03/2016)
Sonnailles (05/03/2017)
Al-Kimiya, (05/03/2018)
« Fibres... » (04/03/2019)
Hautes chaumes (II) (05/03/2020)
Le chaudron de cuivre de Chardin (I) (05/03/2021)
Le chaudron de cuivre de Chardin (II) (05/03/2022)
Chronique du bois d’eucalyptus (1et 2) (05/03/2024)