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Le bar à poèmes
27 février 2023

José Ángel Valente (1929 – 2000) : Patrie, dont je ne connais pas le nom / Patria, cuyo nombre no sé

josé_angel_valente_250[1]

 

Patrie, dont je ne connais pas le nom

 

Je ne sais si je te regarde

Avec amour ou avec haine

Ni si tu es autre chose que terre

Pour moi.

Mais avec toi seule,

Jusqu’à la mort, je dois

Me lever et vivre.

Ici ta peau se tend

Sur la carte de l’âme,

Cruelle et flagellée ;

Là, très douce,

Elle se brise en rivières de pluie,

Inclinée vers la mer.

Là tu es pas perdu

Ou pied pur parcourant le rêve ;

Ici crâne qu’embrase

Le poids de Dieu.

Et me voici, te regardant

D’un oeil qui vient

A peine de naître au regard.

Car je suis arrivé hier

Et ne sais encor qui tu es,

Bien que peut-être tu ne sois

Rien de plus véritable

Que cette brûlante question

Que je cloue sur toi.

 

Je suis venu lorsque le sang

Etait encor là sur les seuils

Et j’ai demandé la raison.

J’étais, moi, le fils de ce sang,

Et pour cela uniquement

Capable d’exister en toi.

 

Je suis venu lorsque les morts

Palpitaient encore tout proches

Du niveau de la vie,

Et j’ai demandé la raison.

Ils gisaient sous la terre :

Et tu étais leur vérité.

 

Le soleil croulait, inutilement

Le pain croulait,

Renversée, la foi

Croulait entre la nuit

Et l’ombre de personne.

Et cependant j’ai su

Que tu étais présente.

 

Presque solitaire,

Entre l’air et la mort,

Une pousse nouvelle

Se risquait à peine à grandir ?

Seule, parmi l’espoir

Stérile, l’espoir

Gagné, les mots

Déchus, les mots

Pareils à d’aveugles drapeaux

Dressés, une pousse nouvelle

Se risquait à grandir.

 

Oh, comme parmi les collines

L’air survivant

L’environnait et s’empressait.

Vous auriez dû la protéger.

Vous ne l’avez pas fait.

Tremblez.

Car cette pousse aurait dû croître

Pour la lumière, non

Pour l’ombre, pour la haine

Et pour la négation.

La terre avait été

Remuée et labourée

Avec le sang de tous,

Avec le sang. La joie

Etait devenue difficile ;

Il nous fallait

D’abord la vérité.

 

Nous sommes venus. Et nous sommes

Seuls. Je demande :

Qui donc détient ta vérité ?

 

Et toi tu es cette réponse.

 

Ô patrie et patrie

Et patrie la dressée

Pour vivre, là dressée

Sur la blancheur

Mutilée de la neige :

Qui donc détient ta vérité ?

 

 

Traduit de l’espagnol par Claude Couffon

In, « Anthologie bilingue de la poésie espagnole »

Editions Gallimard (Pléiade), 1995

Du même auteur : Matière / Materia (27/02/20243)

 

Patria, cuyo nombre no sé

 

Yo no sé si te miro

con amor o con odio

ni si eres más que tierra

para mí.

Pero contigo sólo,

a muerte, debo

levantarme y vivir.

Aquí es tu piel tirante

sobre el mapa del alma,

azotada y cruel;

allí suave,

rota en ríos de lluvia,

inclinada hacia el mar.

Allí paso perdido,

pie puro que anda el sueño;

aquí cráneo abrasado

por el peso de Dios.

Estoy así mirándote

con un ojo que apenas

ha nacido a mirar.

Porque he venido ayer

y no sé aún quién eres,

aunque tal vez no seas

nada más verdadero

que esta ardiente pregunta

que clavo sobre ti.

 

Vine cuando la sangre

aún estaba en las puertas

y pregunté por qué.

Yo era hijo de ella

y tan sólo por eso

capaz de ser en ti.

 

Vine cuando los muertos

palpitaban aún próximos

al nivel de la vida

y pregunté por qué.

Yacían bajo tierra:

tú eras su verdad.

 

Caía el sol, caía

inútilmente el pan,

caía entre la noche

y la sombra de nadie

derribada la fe.

Y sin embargo supe

que tú estabas allí.

 

Apenas, casi a solas,

entre el aire y la muerte,

un brote nuevo

se atrevía a pujar.

Solo, entre la esperanza

estéril, la esperanza

ganada, las palabras

caídas, las palabras

como ciegas banderas

levantadas, un brote

se atrevía a pujar.

 

Oh, cómo en las colinas

sobreviviente el aire

se animaba en él.

Debías protegerlo.

No lo hicisteis.

Temblad.

Porque debió crecer

para la luz, no para

la sombra, el odio, para

la negación.

La tierra había sido

removida y arada

con la sangre de todos.

Con la sangre. Era

difícil la alegría;

necesitábamos

primero la verdad.

 

Hemos venido. Estamos

solos. Pregunto,

¿quién tiene tu verdad?

 

Tú eres esa pregunta.

 

Oh  patria y patria

y patria en pie

de vida, en pie

sobre la mutilada

blancura de la nieve,

¿quién tiene tu verdad?

 

A modo de esperanza

Adonais, Madrid, 1955

Poème précédent en espagnol :

Gabriela Mistral : Pays de l’absence /País de la ausencia (14/02/23)

Poème suivant en espagnol :

Esperanza López Parada  :Stèle d’un marcheur inconnu / Estela de un caminante desconocido (06/04/2023)

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