José Ángel Valente (1929 – 2000) : Patrie, dont je ne connais pas le nom / Patria, cuyo nombre no sé
Patrie, dont je ne connais pas le nom
Je ne sais si je te regarde
Avec amour ou avec haine
Ni si tu es autre chose que terre
Pour moi.
Mais avec toi seule,
Jusqu’à la mort, je dois
Me lever et vivre.
Ici ta peau se tend
Sur la carte de l’âme,
Cruelle et flagellée ;
Là, très douce,
Elle se brise en rivières de pluie,
Inclinée vers la mer.
Là tu es pas perdu
Ou pied pur parcourant le rêve ;
Ici crâne qu’embrase
Le poids de Dieu.
Et me voici, te regardant
D’un oeil qui vient
A peine de naître au regard.
Car je suis arrivé hier
Et ne sais encor qui tu es,
Bien que peut-être tu ne sois
Rien de plus véritable
Que cette brûlante question
Que je cloue sur toi.
Je suis venu lorsque le sang
Etait encor là sur les seuils
Et j’ai demandé la raison.
J’étais, moi, le fils de ce sang,
Et pour cela uniquement
Capable d’exister en toi.
Je suis venu lorsque les morts
Palpitaient encore tout proches
Du niveau de la vie,
Et j’ai demandé la raison.
Ils gisaient sous la terre :
Et tu étais leur vérité.
Le soleil croulait, inutilement
Le pain croulait,
Renversée, la foi
Croulait entre la nuit
Et l’ombre de personne.
Et cependant j’ai su
Que tu étais présente.
Presque solitaire,
Entre l’air et la mort,
Une pousse nouvelle
Se risquait à peine à grandir ?
Seule, parmi l’espoir
Stérile, l’espoir
Gagné, les mots
Déchus, les mots
Pareils à d’aveugles drapeaux
Dressés, une pousse nouvelle
Se risquait à grandir.
Oh, comme parmi les collines
L’air survivant
L’environnait et s’empressait.
Vous auriez dû la protéger.
Vous ne l’avez pas fait.
Tremblez.
Car cette pousse aurait dû croître
Pour la lumière, non
Pour l’ombre, pour la haine
Et pour la négation.
La terre avait été
Remuée et labourée
Avec le sang de tous,
Avec le sang. La joie
Etait devenue difficile ;
Il nous fallait
D’abord la vérité.
Nous sommes venus. Et nous sommes
Seuls. Je demande :
Qui donc détient ta vérité ?
Et toi tu es cette réponse.
Ô patrie et patrie
Et patrie la dressée
Pour vivre, là dressée
Sur la blancheur
Mutilée de la neige :
Qui donc détient ta vérité ?
Traduit de l’espagnol par Claude Couffon
In, « Anthologie bilingue de la poésie espagnole »
Editions Gallimard (Pléiade), 1995
Du même auteur : Matière / Materia (27/02/20243)
Patria, cuyo nombre no sé
Yo no sé si te miro
con amor o con odio
ni si eres más que tierra
para mí.
Pero contigo sólo,
a muerte, debo
levantarme y vivir.
Aquí es tu piel tirante
sobre el mapa del alma,
azotada y cruel;
allí suave,
rota en ríos de lluvia,
inclinada hacia el mar.
Allí paso perdido,
pie puro que anda el sueño;
aquí cráneo abrasado
por el peso de Dios.
Estoy así mirándote
con un ojo que apenas
ha nacido a mirar.
Porque he venido ayer
y no sé aún quién eres,
aunque tal vez no seas
nada más verdadero
que esta ardiente pregunta
que clavo sobre ti.
Vine cuando la sangre
aún estaba en las puertas
y pregunté por qué.
Yo era hijo de ella
y tan sólo por eso
capaz de ser en ti.
Vine cuando los muertos
palpitaban aún próximos
al nivel de la vida
y pregunté por qué.
Yacían bajo tierra:
tú eras su verdad.
Caía el sol, caía
inútilmente el pan,
caía entre la noche
y la sombra de nadie
derribada la fe.
Y sin embargo supe
que tú estabas allí.
Apenas, casi a solas,
entre el aire y la muerte,
un brote nuevo
se atrevía a pujar.
Solo, entre la esperanza
estéril, la esperanza
ganada, las palabras
caídas, las palabras
como ciegas banderas
levantadas, un brote
se atrevía a pujar.
Oh, cómo en las colinas
sobreviviente el aire
se animaba en él.
Debías protegerlo.
No lo hicisteis.
Temblad.
Porque debió crecer
para la luz, no para
la sombra, el odio, para
la negación.
La tierra había sido
removida y arada
con la sangre de todos.
Con la sangre. Era
difícil la alegría;
necesitábamos
primero la verdad.
Hemos venido. Estamos
solos. Pregunto,
¿quién tiene tu verdad?
Tú eres esa pregunta.
Oh patria y patria
y patria en pie
de vida, en pie
sobre la mutilada
blancura de la nieve,
¿quién tiene tu verdad?
A modo de esperanza
Adonais, Madrid, 1955
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