Oskar Kokoschka (1886 – 1980) : Les garçons qui rêvent / Die träumenden Knaben
Oskar Kokoschka, Autoportrait, 1917, Wuppertal, Von der Heydt Museum, © Fondation Oskar Kokoschka/Adagp, Paris, 2022
Les garçons qui rêvent
petit poisson rouge
rouge petit poisson
je te pique à mort avec le couteau à trois lames
te déchire en deux avec mes doigts
pour mettre fin à ton tournoiement silencieux
petit poisson rouge
rouge petit poisson
mon petit couteau est rouge
mes petits doigts sont rouges
dans un bol baigne un petit poisson mort
et je tombais et rêvais
le destin est plein de poches
j’attends auprès d’un arbre de pierre péruvien
ses branches à rameaux feuillus accrochent
comme des bras minces et des doigts frêles
des figures jaunes
qui remuent imperceptiblement dans les buissons
de fleurs étoilées
sans qu’une traînée claire
s’évanouissant dans l’air sombre n’attire
les animaux muets sous les tombantes fleurs étoilées
des furies de sang
par quatre et cinq s’échappent
des vertes et haletantes forêts marines
où il pleut
silencieusement
des vagues déferlent au-delà des forêts lointaines
et traversent d’innombrables rameaux d’air
aux fleurs rouges
sans racines
qui plongent comme des cheveux dans l’eau de mer
là-bas s’écoulent les verts flots
et la terrible mer abyssale
des poissons carnivores
s’empare de la barque surchargée
dont les mâts balancent des cages de petits
oiseaux bleus
la mer attrape ses cheveux de fer et danse avec elle
dans la tornade, où
des colonnes d’eau traversent la mer rugissante
comme des serpents invisibles
j’entends les appels des marins
qui veulent rejoindre le pays des oiseaux parleurs
les voiles se balancent de-ci de-là
un air froid les agite et secoue leurs toiles
le bateau accoste
par traits audibles
et se distinguent en cadence les processions
de ceux qui en descendent
discrètement des rôdeurs vêtus de laine brune se faufilent
et de maigres filles nues offrent aux oiseaux
des noix et des colliers de corail en souvenir
des nuits des tendresses obscures
et je tombais et rêvais la nuit malade
pourquoi dormez-vous
hommes en bleu
sous les branches des sombres noyers
au clair de lune ?
et, vous, douces femmes
qu’est-ce qui croît dans vos manteaux rouges
est-ce l’attente dans vos entrailles de membres enlacés
depuis hier, depuis toujours ?
sentez-vous la chaleur excitante des tremblements
de l’air tiède
je suis le loup-garou qui rôde alentour –
quand la cloche de minuit sonne
je me glisse dans vos jardins
dans vos pâturages
je force vos paisibles enclos
mon corps déchaîné
mon cops exalté de couleur et de sang
pénètre dans vos chaumières
se répand à travers vos villages
pénètre dans vos âmes
se répand dans vos organes
du silence désolant
avant votre réveil s’élève mon hurlement
je vous dévore
hommes
femmes
enfants somnolents aux aguets
moi le fougueux
tendre loup-garou en vous
et je tombais et rêvais d’incessantes
métamorphoses
horra
sortez des jaunes
eaux stagnantes
où vous vivez comme des colonnes de corail
horra
vous autres, aux masques de pâte et
aux barbes d’éponge rouge
un vent souffle dans la ville oubliée
et dans ses chambres fermées des gens chantent
accrochés comme dans des cages d’oiseaux
horra
toi, grand village craintif
ma petite chanson d’enfant et ma prière innocente ne couvrent plus tes vices
je rêve et mes rêves sont comme le nord
où des montagnes enneigées cachent des contes anciens
des pensées traversent mon esprit
et me font grandir
comme les pierres grandissent
personne ne le sait ni ne comprend
je rêve durant des heures angoissantes et sanglote
comme les enfants
qui se lèvent pubères de leurs lits
les évènements de l’enfance ne me touchent pas
non plus ceux de l’âge mur
mais bien ceux de la jeunesse
un désir hésitant
une honte infondée devant les grands
et les compagnons de jeunesse
dans l’immersion et la solitude
je me reconnaissais et reconnaissais mon corps
et je tombais et rêvais d’amour
d’abord j’étais le danseur des rois
sur le jardin aux mille terrasses je dansais
le désir des corps
je dansais les arbustes élancés du printemps
devant toi, fille Li
ton nom tinte comme des pièces d’argent
à peine sortie des fleurs de cinabre suspendues
et des étoiles de soufre jaune
qui ornent les jardins d’épices
je te connaissais déjà et t’attendais
durant les soirées bleues sur ma nappe d’argent
dans les forêts du nord pleines d’oiseaux
et dans les mers du sud peuplées de poissons rouges
je sentais ta présence
je sentais le tournoiement anguleux de ton jeune corps
et comprenais les paroles obscures de ta chair
et de tes bras enfantins ornés de fils de verre
et devant toi je m’enfuyais dans les jardins
d’où je montais de marche en marche
jusqu’à la millième et dernière de mes craintes
musique
musique
jongleur mon corps
sonne des clochettes
joue des cymbales
ailleurs ! spectre de mes craintes honteuses
des feux ardents couvrent les forêts naines
je saute à terre, la robe flottante
et tel un son unique se dresse derrière moi
dans les jardins le désir
et je rêvais
mon corps est semblable à un arbre et humide comme une langue
dans les fontaines oubliées, la vie palpite et déborde en tous sens
les nuits étranges
des animaux sans nom emportent mon amour loin de moi
et de mes passions confuses
il ne me reste rien pour me pousser à saisir
d’oublieux doigts étrangers
j’attends à nouveaux dans ma hutte
venues de la rive, deux loutres courent
sur l’argiles des plaines désertes
une fille me rend visite
les maigres doigts imperceptibles devraient s’accrocher
à mes genoux comme des fleurs charnues
l’arbre vert et les mains rouges brodées sur ma couverture,
dans ma hutte, t’aiment
je le dis haut et fort
les herbiers sur lesquels tu t’allonges t’aiment
et je dis aussi fort
un homme t’aime
qui repose près de toi dans la hutte
sous l’arbre vert
n’écoute pas
ce silence calme et persistant
je te vois tout esseulé
je t’aurais peut-être cherché des coquillages
je suis le seul
à savoir de toi
ce qu’on attend du printemps
mais ne parlons pas des choses cachées
quand la chair elle-même ne sait pas encore
que nous allons devoir chercher
comme un enfant perdu
quelque chose d’indicible
comme suspendu dans l’air
et je suis tombé comme happé par le sommeil et j’ai rêvé jusqu’au matin
reste dans ma hutte
je ne veux pas dormir
je veux saisir l’air de mes mains
et t’appeler à travers les chemins
et bien que j’en aie honte
personne ne t’a vue comme je t’aie vue
je me tiens auprès de toi et vois ton bras fléchir
une telle histoire
s’arrêterait
si quelqu’un la touchait
et je vois derrière tous les mots et tous les signes
- oh comme je suis heureux –
que tu me ressembles
comme tu me ressembles
ne t’approche pas plus
mais habite chez moi
et je voudrais attendre et voir
le tremblement enfantin de tes épaules
et comme ta bouche
sans chercher ses mots
parle à ma place
dans ma chambre blanche j’étais seul
mais peut-être t’y avais-je portée afin que tu y restes
et me parles comme des grandes fleurs
ma chambre est devenue comme un contrée nouvelle
j’entre dans les forêts blanches
les sabots d’un renne retentissent et résonnent
dans toutes les forêts blanches d’étoiles de neige luisantes
de hauts jardins se dressent autour de toi
qui chevauches un renne
et le renne est une montagne
les vêtements sont un plaine enneigée
où les fleurs poussent
au toucher de tes doigts fins
et les montagnes enneigées t’entourent
comme des garçons stupéfaits
les neiges fondent vers un lac
et sur un petit poisson rouge tu étais assise
je n’ai vu que ton cou nu
à travers tes cheveux
un petit jonc touche les profondeurs
où finissent tous les êtres
le souffle te ta ronde poitrine survole
le lac bleu
oh ! comme est calme l’apparence de tous les êtres
je rejoins le lac et plonge dans tes cheveux
comme un songeur je suis dans l’amour de toutes choses
et je tombais à nouveau et rêvais
une chaleur accablante s’est emparée de moi durant la nuit
tandis que dans les forêts le serpent qui s’accouple
perd sa peau sur la pierre chaude et le cerf d’eau
frotte ses cornes
aux branches des canneliers
je sentis le parfum musqué des animaux
dans les arbrisseaux
tout est étrange autour de moi
quelqu’un devrait répondre
tout suit son propre chemin
et le chant bourdonnant des moustiques couvre tous les cris alentour
qui pense aux visages ricanants des dieux et appelle
le chant des sorciers et des vieillards
quand ils accompagnent les marins
qui vont chercher des femmes
et j’étais une bête rampante
quand je cherchais les animaux et les suivais
mon petit
que voulais-tu des vieillards
lorsque tu rendais visite au dieu-magicien
et j’étais étourdi
lorsque je découvrais ma chair
et j’étais en adoration
lorsque je m’adressais à une jeune fille
Traduit de l’allemand par Lucilla Taddei et Samir Hobeica
Oscar Kokoschka : « Les garçons qui rêvent »
Editions Pagine d’Arte, 6950 Capriasca (Suisse)
Die träumenden Knaben
rot fischlein
fischlein rot,
stech dich mit dem dreischneidigen messer tot
reiß dich mit meinem fingern entzwei
daß dem stummen kreisen ein ende sei
rot fischlein
fischlein rot,
mein messerlein ist rot
meine fingerlein sind rot
in der schale sinkt ein fishlein tot
und ich fiel nieder und träumte
viele taschen hat das schicksal
ich warte bei einem peruanischen steinernen baum
seine vielfingrigen blätterarme greifen wie geängstigte arme und finger dünner
gelber figuren
die sich in dem sternblumigen gebüsh unmerklich wie blinde rühren
ohne daß ein heller
verziehender streifen in der dunklen luft von fallenden sternblumen die stummen
tiere lockt
blutraserinnen
die zu vieren und fûnfen aus den grünen
atmenden seewäldern
wo es still regnet
wegschleichen
wellen schlagen über die wälder hinweg und gehen durch die wurzellosen
rotblumigen
unzähligen luftzweige
die wie haare im meerwasser saugend tauchen
dort heraus winden sich die grünen wogen
und das schreckliche meer der untiefen und menschenfressenden fische
faßt die überfüllte galeere
oben an den masten schwingen käfige mit klienen blauen vögeln
zieht an den eisernen ketten und tantz mit ihr hinein in die teifune,
wo wassersäulen wie geisterschlangen auf dem brüllenden meer gehen
ich höre die rufe des schiffer
die in die länder der sprechenden vögel wollen
die segel schwankten hin und schwankten her
kalke luft bewegte sie und drehte die tücher
das schiff legt an
leise gehen taktmätßig
in pausen verstândlich
dann wieder übertönt die prozessionen der vom schiff steigenden
schleicher in braunen wolkleidern winden sich durch und nackte magere mädchen
geben vogel
nüsse und korallenschnüre zur erinnerung an die nächte der dunklen zärtlichkeiten
und ich fiel und träumte die kranke nacht
was schlaft ihr
blaugekleidete männer
under den zweigen der dunklen nußbaüme im mondlicht
ihr milden frauen
was quillt in euren roten mänteln
in den leibern die erwartung verschlungener glieder seit gestern und jeher ?
spürt ihr die aufgeregte wärme der zittrigen
lauen luft – ich bin der kreisende wärwolf –
wenn die abendglocke vertönt
schleich ich in eure gärten
in eure weiden
breche ich in euren friedlichen kraal
mein abgezäumter körper
mein mit blut und farbe erhöhter körper
kriecht in eure laubhütten
schwärmt durch eure dörfer
kriecht in eure seelen
schwärt in euren leibern
aus der einsamsten stille
vor eurem erwachen gellt mein geheul
ich verzehre euch
männer
frauen
halbwache hörende kinder
der rasende
liebende wärwolf in euch
und ich fiel nieder und träumte von unaufhaltbaren änderungen
horra
heraus aus dem gelben
stehenden wasser
in dem ihr wie korallenstöcke lebt
horra
ihr wachsfarbenen mit den teigmasken und den bärten aus rotem schwamm
ein wind zieht in die vergessene stadt
in deren verschlossenen zimmern singende menschen wie in vogelkäfigen hängen
horra
du bange große gemeinde
mein schwacher knabengesang und mein gebet des unwissenden schützt
deine laster nichr mehr
in mir träumt es und meine träume sind wie der norden
wo schneeberge uralte märchen verbegen
durch mein gehirn gehen meine gedanken und machen mich wachsen
wie die steine wachsen
niemand weiß davon un begreift
bange stunden träume ich schluchzend und zuckend wie kinder
die als pubere vom lager gehen
nicht die ereignisse der kindheit gehen durch mich und nicht die der mannbarkeit
aber die knabenhaftigkeit
ein zögerndes wollen
das unbegründete schämen vor dem wachsenden
und die jünglingsschaft
das überfließen und alleinsein
ich erkannte mich und meinem körper
und ich fiel nieder und träumte die liebe
erst war ich der tânzer der könige
auf dem tausendstufigen garten tanzte ich die wünsche der geschlechter
tanzte ich die dünnen frühjahrsstraücher
ehe du mädchen li
dein name klingelt wie silberbleche
noch aus den gehängen der zinnoberblumen und gelbschwefelsterne tratest
aus den gewürzgärten
kannte ich dich schon und erwartete dich an den blauen abenden auf meiner
silberdecke
aus den werworrenen vogelwäldern des nordens und von den seen der roten
fische des südens
spürte ich dich her
fühlte die geste der eckigen drehung deines jungen leibes und verstand die
dunklen worte deiner haut und der kindlichen mit glasschnüren behängten
gelenke
und vor die flüchtete ich m in die gärten
herauf von stufe zu stufe
bis zur tausendsten und lezten in meiner scheu
muzik
muzik
10gaukler mein leib
schellenrassler
beckenschläger
weg du popanz meines sündhaften vorbehalts
helle feuer liegen an den zwergwäldern
hinab springe ich mit wehenden gewändern zur erde und wie ein hoher einziger
ton steht hinter mir auf den gärten die sehnsucht
und ich träumte
wie ein zungenfeuchter baum ist mein leib
in verlorenen brunnen läuft das leben auf und nieder und drängt zum verschütten
die nächte wunderlicher
namenloser tiere tragen meine liebe weg und aus meinem verworrenen innigkeiten
ist kein tasten zu fremden greifenden fingern
die ohne erinnerungen wären
ich warte wieder in meiner hütte
vom ufer her liefen zwei ottern über den lehm der baumlosen ebene
ein mädchen besucht mich
deine mageren ungezeichneten finger sollten an meinen knien hängen wie satte
bliumen
dich liebt der grüne baum und die roten
gestickten hände auf meiner decke in der hütte
ich sage laut
dich liebt das seegras auf dem du liegst
und ich sage wohl auch
dich liebt ein mann
der neben dir auf dem seegras ruht in der hütte unter dem grünen baum
höre es nicht
daß die lautlose stille bleibt
ich sehe dich wie ein einziger
ich hätte dir vielleicht muscheln gesucht
der einzige bin ich
der von dir weiß
was zum frühling wartet
aber es ist kein reden vom formlosen
wenn die haut noch nicht weiß
wie werden suchen müssen
wie nach einem verlorenen kind
wie nach etwas
das in der luft hängen blieb und ungesagt
und ich fiel nieder und träumte dem morgen zu
du sollst bleiben in meinem haus
ich will nicht schlafen
ich muß mit den hânden in die luft greifen und durch die gänge nach dit rufen
obgleich ich mich schäme
keiner hat dich noch so gesehen wie ich
ich stehe neben dir und sehe deinen arm sich biegen
eine geschichte so
die aufhört zu sein
wenn man an sie rührt
hinter allen worten und zeichen sehe ich
oh wie freue ich mich
daß du mir gleichst
wie du mir gleichst
komme du nicht näher
aber wohne in meinem haus und ich will das kindliche zittern deiner schultern
erwarten und sehen
wie dein mund
ohne worte zu suchen
für mich spricht
in meinem weißen zimmer war ich allein
doch vielleicht trug ich dich jetzt herein und es bleibt und spricht wie aus schweren
blumen etwas zu mir
mein zimmer wurde wie ein anderes land
in die weißen wâlder tret ich
eines renntieres huf klingt und wirft in allen weißen wäldern wiederleuchtende
schneesterne auf
wie spitzengärten ist es um dich
renntierreiterin
und das rentier ist ein berg
deine kleider sind eine schneefläche
wo blumen werden
die berührung deiner dünnen finger
und die schneewälder stehen um dich wie staunende knaben
der schnee rinnt zusammen zu einem see und auf einem roten fischlein
warst du gesessen
ich hatte von dir nur gesehen deinen nackten hals in der haaren
ein stäblein wächst ins wasser hinunter
wo ist das ende alles wesens
aus deiner runden brust geht dein atem über den blauen see
wie leise ist das wirken alles wewens
ich greife in den see und tauche in deinen haaren
wie ein versonnener bin ich in der liebe alles wesens
und wieder fiel ich nieder und träumte
zu viel hitze überkam mich in der nacht
da in den wäldern die paarende schlange
ihre haut streicht unter dem heißen stein und der wasserhirsch reibt sein gehörn
an den zimmtstauden
als ich den moschus des tieres roch in allen niedrigen sträuchern
es ist frem um mich
jemand sollte antworten
alles läuf nach seinem eigenen fährten
und die singenden mücken überzittern die schreie
wer denkt grinsende göttergesichter und fragt den singsang der zauberer und altmänner
wenn sie die bootfahrer begleiten
welche frauen holen
und ich war ein kriechend ding
als ich die tiere suchte und mich zu ihnen hielt
kleiner
was wolltest du hinter den alten
als du die gottzauberer aufsuchtest
und ich war ein taumelnder
als ich mein fleisch erkannte
und ein allesliebender
als ich mit einem mädchen sprach
Die träumenden Knaben
Wiener Werkstätte, Wien, 1908
Poème précédent en allemand :
Paul Celan : Port / Hafen (01/12/2022)
Poème suivant en allemand :
Friedrich Nietzche : « Et si nous sommes dans les ruisseaux de la vie... » / « Und ob wir in des Lebens Bächen stehen... » (03/02/2023)