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Le bar à poèmes
29 novembre 2022

Gérard Le Gouic (1936 -) : La terre aux manoirs d'herbes (2)

 

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La terre aux manoirs d’herbes

 

..............................................................................

 

J’ai vécu avec une ouvrière

qui ne lisait pas par-dessus mon épaule

quand j’écrivais un poème,

qui ne m’écoutait pas

quand je lui jouais du piano ;

mais suivait tristement

les collines rousses et les plaines

du papier peint de sa chambre.

 

J’ai vécu avec cette femme de lourds travaux

qui ne rêvait pas

quand je rêvais à voix haute,

quand je peignais les arbres du voyageur,

des villages de feuilles,

des îles bleues dans les mers chaudes.

 

J’ai vécu vingt ans avec une ouvrière.

Avait-elle un nom ? Elle était ma mère

 

*

à ma mère

Je tremble à l’idée

que ton cœur prenne l’eau,

que le monde d’en face

est aussi un paysage de chair,

un voyage en arc-en-ciel

autour de la terre

où tu reconnais de loin

les concierges obèses de la rue Daguerre,

les pharmaciens méfiants et palpeurs,

les boulangers, les marchands de vin,

je tremble à l’idée

que tu ne te retrouves ailleurs

en pays de connaissance

où t’attendent les parquets,

les pailles de fer,

et les mains rouges de tes trente ans.

 

*

Brûlante est la mort d’un poète,

et belle ensuite la cérémonie :

la chapelle pleine à chavirer,

les amis descendus de partout

comme des bergers,

les poèmes qui rougeoient

entre les cantiques.

 

Tu n’étais pas poète, mon père,

et ta mort fut comme je les aime :

inutile et naturelle,

elle n’interrompit rien

tel un bateau sans cargaison

sur la haute mer interchangeable du vide.

 

LETTRE A MA MERE

Je t’écris pour te dire

qu’ici tout va bien.

Tes plantes ont repris goût

aux paumes moites de la lumière,

tes chiennes bâillent dans les lits,

ton horloge a été remontée, encaustiquée,

mais on dirait que le temps

ne la visite plus que par intermittence.

 

Je t’écris pour te dire

que rien ne change ici.

Il a beaucoup plu cet automne,

de ces pluies qui me font sortir

et marcher la tête sombre

dans les chemins noirs du vent,

comme pour effrayer toute âme

qui me rencontrera.

 

Je t’écris pour te dire

que les hommes sont toujours à la peine,

ils comptent sans espoir ni désespérance

les jours et les saisons

qui filent entre leurs doigts

comme l’argent de poche

au comptoir des tavernes.

 

Je t’écris pour te dire,

pour te dire...

Mais il n’y a rien,

du fond des îles bretonnes de la mort,

que tu ne saches déjà.

 

*

Pays voisin qui se voudrait le mien,

je cherche ce que tu m’as transmis

et je ne trouve rien.

Rien que des guerres

qui ne furent pas les miennes

que je ne comprenais pas,

même si je les suivais les yeux ouverts,

choisissant entre la vie et la mort

naturellement la peur.

 

Tu m’as tendu des armes

que je ne savais contre qui tourner,

il ne me venait pas à l’esprit

de les braquer vers toi,

sinon pour te les rendre,

culasses ouvertes, chargeurs rouillés,

tu m’as remis pour ton compte

un fusil, des grenades

et je n’ai pour combattre

ce que je veux combattre,

pour ma maison et sa rangée d’arbres,

que mes poings et ma mort.

 

Pays cousin qui m’arrache du mien

tu m’as planté entre les dents

tes mots, ta grammaire, tes tournures,

tout comme on prend de force

les main tendres de l’apprenti,

quand je me contentais de la langue que père et mère

dans notre logis de la rue Daguerre

parlaient entre eux

et dont la rugueuse douceur coulait sur mon visage

telle une eau de mer tiède.

 

Glao, avel, hent, dilhad, iliz...

Qui me redonnera ce parler des repas de fête,

des nuits de clairvoyance,

des veillées alimentées

par les ultimes confidences des morts,

qui me délivrera ce parler quotidien

et aussi de légende ?

 

Pays voisin dont les hommes

sont mes étrangers,

ne crois pas déceler dans ma bouche

des paroles d’amour blessé.

Je ne t’aime pas

parce que je ne t’ai jamais aimé.

Je suis de ce qui sont sans haine,

mais dont le cœur est recouvert

de gelée blanche.

 

*

Je revenais par le train

vers notre terre aux manoirs de pluie,

aux maisons d’herbes et de feuilles

que la mer brûle avant toute autre terre,

quand je ressentis entre Chartres et Le Mans

combien chaque homme est aussi un pays

que des trains de nuit frôlent

sans jamais les identifier.

 

Ces hommes ressemblent alors

à n’importe quel pays,

avec ses murs d’arbres,

ses portes de fougères et de cendres.

Et chacun éprouve même malaise

le jour où il le quitte

pour des provinces inconnues, d’amour ou d’exil,

puis le soir où il s’en revient, vieilli,

et ne peux plus regarder en face

ce qui n’a pas changé.

 

*

 

Que manque-t-il

aux printemps de Pont-Aven ?

 

Pas un rouge-gorge, un pistil,

pas une vieille qui tricote son jardin,

 

une roue de moulin

sous les pommiers de la pluie,

 

pas une prairie en pente

où ne chemine Gauguin.

 

Il ne manque rien

aux printemps de Pont-Aven 

 

quand on n’a pas à vivre

son propre renouveau.

 

A tout autre saison,

je préfère l’automne

sur mon pays de fougères et de pommes.

 

Les cheminées fument,

les portes restent ouvertes,

on entend le vent qui grésille

sous les bottes d’oignons, de laurier.

 

On entend le bois de hêtre

qui prend le sabotier à témoin,

l’ancien marin des mers du sud

qui crache sur son sabot par habitude.

 

Dans les cuisines et les celliers,

quand le brouillard a l’épaisseur

de ce qui n’existe pas,

 

mon pays se sent vaincu

parce qu’il n’a d’autre histoire

que celle de ses moqueuses pluies

et de ses invivables tentations.

 

*

Nous, les Bretons de l’hiver,

des nuages gris et verts comme des chats,

de la pluie qui court avec nos chiens

du vent, du sel qui mordent les tombes,

 

nous, les Bretons des mois durs,

qui enterrons un poète (1) à Tréboul,

un oiseau à Portsall,

un reflet de nous dans chaque arbre qui meurt,

et qui ne mourrons pas nous-même,

qui ne nous plions pas.

 

Qui ne baissons pas les épaules quand la foudre

crève le placenta bleu des collines,

quand les araignées de la rouille

aident un volet, un toit à s’envoler,

une amitié plus solaire qu’un amour.

 

Qui ne mourrons pas quand un cheval

s’enfonce dabs sa nuit d’un pas égal

qui fait croire que sa vie

lui fut aussi égale...

 

(1)     Georges Perros

*

Je demande qu’il y ait en Bretagne

dans chaque primevère un Breton,

je demande pour ce pays d’humus

et de colère

un Breton dans chaque maison

dans chaque ferme ou moulin

un Breton à chaque porte ou croisée.

 

je demande un Breton

dans tous les arbres de Bretagne

un Breton dans les haies, les rivières,

je demande pour cette terre

comme une poitrine qui ne parle

qu’en jurons ou en prières

un Breton au cœur de chaque pierre.

 

Je demande qu’il y ait un Breton

dans le cri de chaque Breton.

...............................................................

 

 

Les bateaux en bouteille

Edition Telen Arvor, 29000 Quimper, 1985 

Du même auteur :

 « Quand ma chienne me regarde… » (29/11/2014)

Hôtel des îles (29/11/2015)

Cairn de Barnenez (29/11/2016)

« La campagne semble morte… » (29/11/2017)

Pierres (29/11/2018)

Ici (29/11/2019)

La terre aux manoirs d’herbes (1) (29/11/2020)

Le Marcheur d’Afrique (29/11/2021)

La terre aux manoirs d’herbes (3) (29/11/2023)

Pommier (29/11/2024)

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