Gérard Le Gouic (1936 -) : Pommier
Gérard Le Gouic, sur ses terres de Rosporden (Finistère), Photo : OUEST-FRANCE
Pommier
Aucune pluie
ne s’évapore
sans laisser
un pommier.
Un jeune pommier
qui se perche dans le ciel,
qui sent couler la pluie
sous ses aisselles,
réussit autant de galipettes
qu’un poulain dans les confettis
de son premier herbage.
Quant un paysage
n’est pas clos,
il manque un pommier
pour bloquer sa fuite.
Trois pommiers, deux vaches,
des bergeronnettes...
Une main n’ajouterait
que ses tremblements.
La première amitié
traverse souvent
un pommier.
Sans pommier une maison
ne serait pas plus supportable
qu’un puits sans poules autour,
qu’une cheminée sans oiseaux.
Ce sont les pommiers
qui ajoutent aux prairies
un regard,
un poids de tendresse.
On marche dans le brouillard
et soudain d’un fossé
surgit un pommier
La route ne sera plus
solitaire.
Le vent serait
un phénomène invisible
si le pommier
ne mettait à nu ses empreintes.
Pour se bien voir
le pommier essuie
le ciel.
Quand se perche une étoile
dans ses branches
le pommier croit
ses pommes factices.
A quoi reconnaître un pommier ?
Au vent dans ses persiennes.
Et le poète ?
Aux pommiers dans sa voix.
Qu’attendre
de la verticalité
si elle ne mène
nulle part ?
Le pommier respire
entre ce qu’on touche
et ce qu’on ignore
D’abord le bruit sec
de la branche qui se redresse
et longtemps après
le bruit sourd de la pomme
comme si la branche
avait lancé une flèche.
De la branche
au sol,
la pomme accomplit
son voyage cosmique.
Les bourgeons
apparaissent soudain
comme des balles
à lente trajectoire.
Le pollen est l’invisible
qui revient
sur sa parole.
Le pommier qui s’ouvre
délivre
l’odeur du printemps de la mer.
On reconnaît la silhouette
d’un homme solitaire
qui traverse à contre-vent
les labours de la plaine
mais c’est un pommier bourru
qui descend lourdement
l’escalier de ses branches d’hivers.
Au printemps
les rides du pommier tombent
comme des allumettes
qui s’éparpillent.
Les branches du pommier cachent
Le premier échelon
vers Dieu
ou la dernière marche
avant l’homme.
Adossé à la plaine des blés brûlants,
un pommier
comme une oasis
pour les yeux
ou la lucarne par où s’évader
sur les toits de l’infini.
Le pommier qui passe
d’une rive à l’autre,
ne s’abreuve plus
aux mares sédentaires
mais aux pluies
de son errance.
Tout est poitrine
dans le pommier
si bien que tout projectile
fait mouche.
On a besoin de repères,
de pommiers
pour s’apercevoir
que tout a peur.
Le pommier marche pour de bon
mais la pression d’un pied
inverse chaque appui.
Sur la façade du paysage
le verger dessine une fenêtre
dont les pommiers
ouvrent les volets.
On ne se voit plus
on se tourne le dos
mais demeure entre nous
le pommier
comme une boîte aux lettres.
La toile d’araignée
du vent
avec au centre
le trou de mémoire du pommier.
in, Jean Wagner « Gérard Le Gouic, ou la Bretagne universelle »
Editions du Rouergue (Visages de ce temps), 1987
Du même auteur :
« Quand ma chienne me regarde… » (29/11/2014)
Hôtel des îles (29/11/2015)
Cairn de Barnenez (29/11/2016)
« La campagne semble morte… » (29/11/2017)
Pierres (29/11/2018)
Ici (29/11/2019)
La terre aux manoirs d’herbes (1) (29/11/2020)
Le Marcheur d’Afrique (29/11/2021)
La terre aux manoirs d’herbes (2) (29/11/2022)
La terre aux manoirs d’herbes (3) (29/11/2023)