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Le bar à poèmes
28 novembre 2024

Gérard Le Gouic (1936 -) : Pommier

Gérard Le Gouic, sur ses terres de Rosporden (Finistère), Photo : OUEST-FRANCE

Pommier

 

Aucune pluie

ne s’évapore

 

sans laisser

un pommier.

 

 

Un jeune pommier

qui se perche dans le ciel,

 

qui sent couler la pluie

sous ses aisselles,

 

réussit autant de galipettes

qu’un poulain  dans les confettis

de son premier herbage.

 

 

Quant un paysage

n’est pas clos,

 

il manque un pommier

pour bloquer sa fuite.

 

 

Trois pommiers, deux vaches,

des bergeronnettes...

 

Une main n’ajouterait

que ses tremblements.

 

 

La première amitié

traverse souvent

 

un pommier.

 

 

Sans pommier une maison

ne serait pas plus supportable

 

qu’un puits sans poules autour,

qu’une cheminée sans oiseaux.

 

 

Ce sont les pommiers

qui ajoutent aux prairies

 

un regard,

un poids de tendresse.

 

 

On marche dans le brouillard

et soudain d’un fossé

surgit un pommier

 

La route ne sera plus

solitaire.

 

 

Le vent serait

un phénomène invisible

 

si le pommier

ne mettait à nu ses empreintes.

 

 

Pour se bien voir

le pommier essuie

 

le ciel.

 

 

Quand se perche une étoile

dans ses branches

 

le pommier croit

ses pommes factices.

 

 

A quoi reconnaître un pommier ?

Au vent dans ses persiennes.

 

Et le poète ?

Aux pommiers dans sa voix.

 

 

Qu’attendre

de la verticalité

 

si elle ne mène

nulle part ?

 

Le pommier respire

entre ce qu’on touche

 

et ce qu’on ignore

 

 

D’abord le bruit sec

de la branche qui se redresse

 

et longtemps après

le bruit sourd de la pomme

 

comme si la branche

avait lancé une flèche.

 

De la branche

au sol,

 

la pomme accomplit

son voyage cosmique.

 

 

Les bourgeons

apparaissent soudain

 

comme des balles

à lente trajectoire.

 

 

Le pollen est l’invisible

 

qui revient

sur sa parole.

 

 

Le pommier qui s’ouvre

délivre

 

l’odeur du printemps de la mer.

 

 

On reconnaît la silhouette

d’un homme solitaire

qui traverse à contre-vent

les labours de la plaine

 

mais c’est un pommier bourru

qui descend lourdement

l’escalier de ses branches d’hivers.

 

 

Au printemps

les rides du pommier tombent

 

comme des allumettes

qui s’éparpillent.

 

 

Les branches du pommier cachent

Le premier échelon

vers Dieu

 

ou la dernière marche

avant l’homme.

 

 

Adossé à la plaine des blés brûlants,

un pommier

 

comme une oasis

pour les yeux

 

ou la lucarne par où s’évader

sur les toits de l’infini.

 

 

Le pommier qui passe

d’une rive à l’autre,

 

ne s’abreuve plus

aux mares sédentaires

 

mais aux pluies

de son errance.

 

 

Tout est poitrine

dans le pommier

 

si bien que tout projectile

fait mouche.

 

 

On a besoin de repères,

de pommiers

 

pour s’apercevoir

que tout a peur.

 

 

Le pommier marche pour de bon

 

mais la pression d’un pied

inverse chaque appui.

 

 

Sur la façade du paysage

le verger dessine une fenêtre

 

dont les pommiers

ouvrent les volets.

 

 

On ne se voit plus

on se tourne le dos

 

mais demeure entre nous

le pommier

 

comme une boîte aux lettres.

 

 

La toile d’araignée

du vent

 

avec au centre

le trou de mémoire du pommier.

 

 

 

in, Jean Wagner « Gérard Le Gouic, ou la Bretagne universelle »

Editions du Rouergue (Visages de ce temps), 1987

Du même auteur :

 « Quand ma chienne me regarde… » (29/11/2014)

Hôtel des îles (29/11/2015)

Cairn de Barnenez (29/11/2016)

« La campagne semble morte… » (29/11/2017)

Pierres (29/11/2018)

Ici (29/11/2019)

La terre aux manoirs d’herbes (1) (29/11/2020)

Le Marcheur d’Afrique (29/11/2021)

La terre aux manoirs d’herbes (2) (29/11/2022)

La terre aux manoirs d’herbes (3) (29/11/2023)

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