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Le bar à poèmes
11 novembre 2022

Hawad (1960 -) : Poésie d’embuscade (extrait)

49681Créateur : BOUREIMA HAMA Crédits : AFP

 

Poésie d’embuscade

(extrait)

 

Les airs et les sables

s’enduisent d’huile de coco

gélatine graisse fondue

haut-le-cœur

pour amadouer

les rayons du soleil.

 

Ô monde,

jusqu’à combien de rives,

âmes et corps

sens-tu le pet global

du tourisme ?

 

Là-bas comme ici

je vois la veuve Temoust,

Temoust la Touarègue,

elle dont la crevasse des yeux

ou la rocaille des pieds nus

sont nourries

des griffes du sirocco

et des dards du soleil.

L’ocre mat de l’épiderme

de ses enfants l’a cuirassée

pour affronter les scies et les faux

de ses tortionnaires.

 

Griffes du sirocco,

brasiers du soleil

sur les dards du sable,

rabots de basalte,

gueule d’un canon

bouchant l’horizon

pour coaguler le rêve

comme un obus coincé

entre le diaphragme et la luette.

Tous les outils et toutes les semences

de cette vie de grossiers faux-semblants

ont taillé le visage de Temoust.

 

Et toi, tu veux encore rêver ?

 

Armés de scies électroniques

et de poignards laser,

ils sont revenus

dans le sillage de leurs crimes.

D’une seule voix,

ils ont hurlé :

- A la racine de la luette,

il faut couper toutes les langues harpons,

de celle du poète à celle de la chèvre

et du gecko de leurs ravins.

 

Et au-dessus du col,

gecko, chèvre

et râles du choucas

perpétuent les résonances

des cordes vocales rompues.

Fouets de tornade,

les nerfs de la langue continuent

à percuter le silence.

L’écho aux accents de silex amorce

le borborygme des galets.

 

Ô terre complainte de barbare

à la langue tranchée,

Ô langue des salives de Satan,

mijotée dans la vapeur du palais

aux timbres de piment.

 

Au pays des cris de la pénombre,

pays du génie qui appelle à la montagne,

nous tous comme les rocailles de nos plateaux,

nous grommelons et griffonnons

à l’oreille de la pierre

un mélange de sons et de signes

fourchus et branchus

comme les griffes des vautours,

nos ancêtres

qui nous mangent la langue.

 

Et nous parlons

avec des langues remuantes

tels les sabots des chèvres de nos mères

que nous trayons dans les chambres d’échos

de nos bouches.

Nos bouches emplies de lames de verre

et de mots munitions

des récoltes à venir.  

 

Et à minuit quand la lune

n’est plus penchée sur la margelle,

miroir couverture d’un puits tari,

par nos moignons de langues

nous jappons

fracas de poésie aiguisée

comme la crête du silex.

 

Lame de verre

et sa lime des mots

balles braquées

à bout portant sur les tempes,

poésie silex crête affûtée

des voix se croisant et s’entrecroisant,

et encore un  nouveau heurt,

voix sourde de l’entre deux chocs

comme la météorite du cœur percutant

la pierre de détermination.

 

Au pays des langues fendues,

pays à la parole

qui va droit

vers l’axe noir,

virage rapide

et soudain demi-tour,

et la flèche revient

à l’arc de la langue.

Flèche et arc repartent

en un seul tir foudre

en quête d’un butoir,

cible niant

sa déflagration

 

Soixante-dix ombres tombent

en vomissant leurs entrailles

et un homme court à leur secours

et mord sa langue,

renversé dans le tourbillon d’une rafale

et droit il se redresse,

les reins en fumée.

Il avale sa langue

un caillot de sang

et d’un coup il part

vers le cap de non retour.

 

A l’autre bord du malheur,

sa femme rumine son placenta.

Son fils est fauché de son ventre

par le tonnerre de l’obus,

le ligotant au cordon ombilical

qui le relie jusqu’ici

aux entrailles de sa mère,

mère prise dans l’art révolte

de recycler la mort

en butin,

arme pillée à l’ennemi.

 

Ceci est la jolie face

du bas du pays

aux langues fourchues.

Quant à ses hauteurs,

C’est un autre cliché.

 

Horizon et ciel à l’infini

de la teinture laide

de l’azur

et toujours le noir du choucas

et son double, la tâche grisâtre

du vautour

qui ponctue l’absolue stridence,

notre silence.

Tout un pays de paix

écologique et hygiénique

avec son paradis minéral,

n’est-ce pas touriste ?

 

Va-t-en rapace

Ici, rien à visiter ni à raconter

Tout est nettoyé,

ethniquement correct.

Ouste ! journaliste.

Tout est propre et technologique.

Les corps sont découpés et brûlés,

les cadavres sont en cendres,

avec la coopération des Nations Unies.

 

Désert basalte

pierraille avalanche

lave de nos crânes

et rocaille

grincement des os

ricochant sur les balles.

 

Vers la décharge,

les camions ont tout pelleté,

même le vent,

et depuis avant-hier

des fumées âpres,

sueurs de l’homme,

dessinent sur le poitrail du firmament

d’énormes navires remplies de scories

au regard de pierre ponce,

traversés par le cuivre d’une roquette.

 

Navires de fumée

chargés du marc de l’alphabet,

nos ombres,

ombres présence de l’absence

de nos corps

face à la peste silence,

la gale complice

qui suce notre existence

jusqu’à la moelle.

 

Nous sommes les fourmis

ombres divagantes d’une gangrène

qui se nourrit du vagabondage

de ses molaires.

 

Maintenant sur mon épaule

la nuit défèque le jour,

et je vais percer

les testicules enflés

du hibou blême,

l’hypocrisie.

 

 

Traduit du touareg (tamajaght, Niger) par l’auteur et Hélène Claudot-Hawad

In, Revue « Moriturus, N° 2, mai2003

Fissile, 31200, Toulouse, 2003

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