Jaufre Rudel (1110/1130 – 1148/1170) : « Lorsque les jours sont longs en mai... » / « Lanquan li jorn son lonc en may... »
Lorsque les jours sont longs en mai,
Doux me sont chants d’oiseaux lointains,
Et quand j’ai fini d’écouter
Me souviens d’un amour lointain.
Je vais courbé par le désir,
Sans que chants ni fleurs d’aubépine
Me plaisent plus que l’hiver glacé.
Que le Seigneur, certes, je crois,
Me fera voir l’amour lointain.
Mais pour un bien qui m’en échoit
J’ai deux maux, tant il m’est lointain.
Ah, qu’il me fasse pèlerin
Pour que ma cape et mon bâton
Par ses beaux yeux soient contemplés !
Que de joie à lui demander,
Par amour de Dieu, l’abri lointain,
Et s’il lui plaît je logerai
Près d’elle, moi qui suis lointain.
Quel doux parler on entendra
Quand le lointain on verra bien.
A quel beaux dits on se plaira !
Triste et joyeux, m’en reviendrai
Si je le vois, l’amour lointain.
Mais qui sait quand je la verrai,
Car trop sont nos pays lointains,
Que de chemins et de passages,
Et pour savoir ne suis devin...
Mais que tout soit comme à Dieu plaît.
Jamais d’amour ne n’aurai joie,
Sinon de cet amour lointain,
Car plus gente ni meilleure ne sais
En nul endroit proche ou lointain.
Elle est si belle et franche et pure
Que voudrais être aux Sarrasins
Pour avoir droit de l’acclamer.
Dieu qui fit tout ce que l’on voit
Et forma cet amour lointain,
Me fasse don, que n’ai au cœur,
Que je vois cet amour lointain,
Réellement, en tel asile,
Que la chambre et que le jardin
Me semblent toujours un palais.
Il dit vrai celui qui m’accuse
De désirer amour lointain,
Car autre joie tant ne me plaît
Comme jouir d’amour lointain.
Mais mon désir est repoussé,
Mon parrain m’a jeté le sort
Que j’aime et que ne sois aimé.
Mais mon désir est repoussé :
Qu’il soit donc maudit le parrain
A qui je dois de n’être aimé !
Adaptée de l’occitan par France Igly
In, « Troubadours et trouvères »
Seghers, 1960
Lorsque les jours sont longs en mai,
Me plaît un doux chant d’oiseau lointain,
Et quand je me suis éloigné de là
Il me souvient d’un amour lointain :
Je vais, songeur, morne, tête basse
Au point que chant ni fleur d’aubépine
Ne me plaisent plus que l’hiver glacé.
Oui, je tiens pour vrai le Seigneur
Grâce auquel je verrai l’amour lointain ;
Mais pour un bien qui m’en échoit
J’en ai deux maux, tant il m’est lointain.
Ah ! Si j’étais là-bas pèlerin,
Pour que mon bâton et mon esclavine (*)
Par ses beaux yeux fussent contemplés !
Grande joie ce me sera de lui demander,
Pour l’amour de Dieu le gîte lointain ;
Et, s’il lui plaît, je prendrai gîte
Près d’elle, bien que je sois lointain.
Alors viendront les doux entretiens
Quand l’ami lointain sera si voisin
Qu’il fera fête aux beaux propos.
Triste et joyeux, je m’en irai
Si je le vois, l’amour lointain ;
Mais je ne sais quand je le verrai,
Car nos pays sont trop lointains.
Il y a trop de passages et de chemins
Et pour en venir à bout ne suis devin ;
Mais tout soit comme il plaît à Dieu.
Jamais d’amour je n’aurai joie,
Si je n’aie joie de cet amour lointain,
Car de plus gente et de meilleure je n’en connais
En nul endroit, proche ou lointain.
Son prix est si vrai et si sûr
Que là-bas, au pays des Sarrasins,
Puissé-je être appelé captif !
Que Dieu qui fit tout ce qui va et vient
Et fît naître cet amour lointain
Me donne ce pouvoir – comme le veut mon cœur -
De voir cet amour lointain,
Véritablement, en si bonnes conditions
Que la chambre et le jardin
Me semblent un palais sans fin.
Il dit vrai celui qui m’appelle avide
Et désireux d’amour lointain,
Car nulle autre joie ne me plaît autant
Que jouissance d’amour lointain.
Mais ce que je veux m’est refusé,
Car ainsi m’a remercié mon parrain
Que j’aime sans être aimé.
Mais ce que je veux m’est refusé.
Que maudit soit le parrain
Qui m’a jeté le sort de n’être pas aimé !
(*) pèlerine
Traduit de l’occitan par Suzanne Julliard
In, « Anthologie de la poésie française »
Editions de Fallois, 2002
Lorsque les jours sont longs en mai
m’est beau le doux chant d’oiseau de loin
et quand je me suis éloigné de là
je me souviens d’un amour de loin
je vais courbé et incliné de désir
si bien que chant ni fleur d’aubépine
ne me plaisent comme l’hiver gelé
Je tiens vraiment le Seigneur pour vrai
Par qui je verrai l’amour de loin
mais pour un bien qui m’en échoit
j’ai deux maux car elle m’est si loin
ah que je voudrais être là-bas pèlerin,
pour que mon bâton mon esclavine (*)
soient contemplés par ses deux beaux yeux
Je verrai la joie quand je lui demanderai
pour l’amour de Dieu l’amour de loin
et s’il lui plaît j’hébergerai
près d’elle moi qui suis de loin
alors viendra l’entretien fidèle
amant lointain je serai proche
de ses paroles je savourerai la jouissance
Triste et joyeux, je la quitterai
quand je verrai cet amour de loin
mais je ne sais quand je la verrai
car trop sont nos terres loin
il y a tant de passages de chemins
et moi je ne suis pas devin
mais que tout soit comme il plaît à Dieu.
Jamais d’amour je ne jouirai
si je ne jouis de cet amour de loin
car mieux ni meilleure je ne connais
en aucun lieu ni près ni loin
tant est son prix vrai et sûr
que là-bas au royaume des Sarrasins
pour elle je voudrais être captif
Dieu qui fit tout ce qui vient et va
et forma cet amour de loin
me donne le pouvoir j’en ai le cœur
de bientôt voir l’amour de loin
véritablement en tel lieu
que la chambre et le jardin
me paraissent tout le temps palais
Il dit vrai qui me dit avide
et désirant l’amour de loin
car aucune autre joie ne me plaît autant
que jouir de l’amour de loin
mais ce que je veux m’est dénié
car ainsi m’a doté mon parrain
que j’aime et je ne suis pas aimé.
Mais ce que je veux m’est dénié
qu’il soit donc maudit le parrain
qui m’a fait tel que je ne sois pas aimé
(*) pèlerine
Adapté de l’occitan par Jacques Roubaud
in, « Les Troubadours. Anthologie bilingue »
Seghers éditeur, 1980
Lorsque les jours sont longs en mai,
j’aime le doux chant des oiseaux, lointains ;
et quand suis loin de là,
il me souvient d’un amour lointain ;
je vais courbé et incliné, plein de désir,
si bien que chant et fleurs d’aubépine
me plaisent moins qu’hiver gelé.
Certes je tiens le Seigneur pour vrai
par qui verra l’amour lointain ;
mais pour un bien qui m’en échoit
j’éprouve deux maux, tant il m’est lointain ;
Ah ! que ne suis-je là-bas pèlerin
pour que mon bourdon et mon esclavine
soient de ses beaux yeux contemplés.
Quelle sera ma joie, quand lui demanderai,
pour l’amour de Dieu, d’héberger l’amour lointain ;
et s’il lui plaît serai son hôte
à elle, moi qui suis lointain ;
alors ce sera le doux entretien
quand, amant lointain, je serai si proche
que de ses paroles je m’enivrerai.
Triste et joyeux le quitterai
Quand le verrai, l’amour lointain ;
mais ne sais quand la verrai,
car trop sont nos pays lointains
et tant il y a de passages et de chemins ;
et pour ce ne suis pas devin ;
mais que tout soit comme il plaît à Dieu
Jamais d’amour ne jouirai
si je ne jouis de cet amour lointain
car meilleure ni plus belle ne connais,
en nul lieu, proche ou lointain ;
son mérite est si vrai et sûr
que, là-bas, au royaumes des Sarrasins,
pour elle je voudrais être appelé captif.
Que Dieu qui fit tout ce qui vient et va
et forma cet amour lointain,
me donne le pouvoir – j’ai ai le désir -
de bientôt voir l’amour lointain ;
en telles demeures
que la chambre et le jardin
en tout temps me semblent palais.
Il dit vrai qui me dit avide
et désirant l’amour lointain ;
car autre joie ne me plaît tant
que jouir de l’amour lointain ;
mais ce que je veux m’est refusé
car ainsi m’a doté mon parrain
que j’aime et ne sois pas aimé.
Mais ce que je veux m’est refusé ;
qu’il soit donc maudit le parrain
à qui je dois de n’être pas aimé !
Traduit de l’occitan par Marie-Louise Astre et Françoise Colmez
In, « Poésie française. Anthologie critique »
Editions Bordas, 1982
Du même auteur :
« Ne sait chanter qui ne dit rien... » / « No sap chantar qui so non di... » (22/10/2020)
« Quand le ru de la fontaine... » / « Quan lo rius de la fontana... » (22/10/2021)
Lanquan li jorn son lonc en may
M'es belhs dous chans d'auzelhs de lonh,
E quan mi suy partitz de lay
Remembra-m d'un amor de lonh. :
Vau de talan embroucx c clis
Si que chans ni flors d'albespis
No-m platz plus que l'yverns gelatz.
Be tenc lo Senhor per veray
Per qu’ieu veirai l’amor de lonh ;
Mas per un ben que m'en eschay
N'ai dos mals, quar tant m’es de lonh.
Ai! quar me fos lai pelegris,
Si que mos fustz e mos tapis
Fos pels sieus belhs huelhs remiratz !
Be'm parra joys quan li querray,
Per amor Dieu, l'alberc de lonh ;
E, s'a lieys platz, alberguarai
Pres de lieys, si be-m suy de lonh,
Adoncs parra-l parlamens fis
Quan drutz lonhdas et tan vezis
Qu'ab bels digz jauzira solatz.
Iratz e gauzens m'en partray,
S'ieu ja la vey, l’amor de lonh ;
Mas non sai quoras la veyrai,
Car trop son nostras terras lonh,
Assatz hi a pas e camis,
E per aisso no'n suy devis ;
Mas tot sfa cum a Dieu platz !
Ja mais d'amor no-m jauziray
Si no-m jau d'est' amor de lonh,
Que gensor ni melhor no n sai
Ves mulha part, ni pres ni lonh.
Tant es sos pretz verais e fis
Que lay, el reng dels Sarrasis,
Fos hieu per lieys chaitius clamatz !
Dieus que fetz tot quant ve ni vai
E formet sest'amor de lonh
Mi don poder, que cor ieu n'ai,
Qu'ieu veya sest'amor de lonh,
Verayamen, en tals aizis,
Si que la cambra e-l jardis
Mi resembles tos temps palatz !
Ver ditz qui m'apella lechay
Ni deziron d'amor de lonh,
Car nulhs autres joys tan no-m play
Cum jauzimens d'amor de lonh.
Mas so qu'ieu vuelh m'es atahis,
Qu'enaissi-m fadet mos pairis
Qu'ieu ames e non fos amatz.
Mas so qu'ieu vouill m'es atahis
Totz sfa mauditz lo pairis
Que-m fadet qu'ieu non fos amatz !
Poème précédent en occitan :
Guillaume, duc d’Aquitaine, comte de Poitiers: « À la douceur du temps nouveau... » / « Ab la dolchor del temps novel... » (19/09/2022)
Poème suivant en occitan :
Bernart de Ventadorn: « Bien m’ont perdu là-bas... » / « Be m’an perdut lai... » (13/02/2023)