Paul Fort (1872 – 1960) : Philomèle
Philomèle
Chante au cœur du silence, ô rossignol caché ! Tout le jardin de roses écoute
et s'est penché.
L'aile du clair de lune à peine glisse-t-elle. Pas un souffle en ces roses où
chante Philomèle ?
Pas un souffle en ces roses dont le parfum s'accroît de ne pouvoir jeter leur
âme à cette voix !
Le chant du rossignol est, dans la nuit sereine, comme un appel aux dieux de
l'Ombre souterraine,
mais non, hélas ! aux roses dont le parfum s'accroît de ne pouvoir mourir, d'un
souffle, à cette voix !
N'est-ce pas le silence qui chante avec son cœur?... Un rosier qui s'effeuille
ajoute à la torpeur.
Silence traversé d'éclairs comme un orage, puis bercé mollement comme un
léger nuage,
par cet hymne voilé, pur, strident, modulé, qu'exhale, au clair de lune, l'âme
de Philomèle !
Est-elle d'un oiseau, cette voix immortelle ? Ah ! — son enchantement ne
devrait pas finir.
Vient-elle des Enfers, cette voix immortelle ? Mais il n'est plus un souffle, à
présent, pour mourir.
Sans un souffle, pourtant, que de métamorphoses ! Le clair de lune assiste à
la ruine des roses.
Déjà tous les rosiers ont fléchi sur leurs tiges. Il passe une rafale de roses en
vertige
dans le rapide espace que fait l'herbe couchée, s'effrayant de ton hymne, ô
rossignol caché !
Un long frisson de crainte effeuille le jardin. La lune met des masques ; elle
brille et s'éteint.
Dans le gazon peureux, pétales grelottants, tournez- vous vers la terre et vers
ce qu'on entend.
Ecoutez : cela vient du plus profond de l'Ombre. Est- ce le cœur du monde
qui bat sous le jardin ?
On entend un coup sourd, deux coups, trois coups qui montent ; d'autres
précipités, sonores et qui montent.
Prisonnier de la terre, un cœur approche : il vient le bruit d'un cœur immense
à travers l'herbe rase.
Les pétales volètent, La terre se soulève. Et, le corps sous les roses bleuies de
clair de lune,
l'éternelle déesse, la puissante Cybèle, douce et levant le front, écoute Philomèle.
Coxcomb ou l'homme tout nu tombé du paradis
Société du mercure de France, 1906
Du même auteur :
Le chat borgne (31/05/2014)
Le bonheur 30/(05/2015)
Si le bon Dieu l’avait voulu (30/05/2016)
Le chef de saint Denys (10/10/2017)
Chanson à l’aube (05/11/2019)
Hymne dans la nuit (21/10/2021)
La ronde autour du monde (20/05/2024)