Lorand Gaspar (1925 – 2019) : Sefar
Sefar
Le massif du Sefar est un des hauts lieux, au Sahara central,
de la civilisation dite bovidienne. Les chasseurs-éleveurs pasteurs
qui vivaient en ces lieux - aujourd’hui déserts – entourés de paysages
verdoyants et de rivières sont les auteurs des admirables peintures
rupestres du Tassili.
Halte du soir, langue durcie –
et tu peux battre ta mémoire
dans l’aire d’un si grand mutisme –
fraîcheur d’un visage défait
au théâtre nu de l’histoire
pages brûlées où s’accrochent
des odeurs de bétail et d’herbe
les ocres jaunes et les verts –
j’entends les bêtes qui ruminent
quelque part dans l’obscurité –
ocres levées dans la brume
du matin et le soleil brille
déjà sur la lyre des cornes
rend veloutée la peau sombre
des femmes aux seins pointus –
un homme sourit aux figures
écloses au bout de ses doigts –
de tout le mouvoir de son corps
c’est lui la danse des archers
et ses yeux caressent précis
la ligne tendue des membres
il ressent la douceur d’un mufle
son haleine humide à l’épaule
un pied réveille dans un creux
les pétales d’un jour précoce –
que de rumeur jamais perçue
dans le souffle offert à l’image
ou quand soudain s’envole un trait –
puis la rafale du galop
les chars le vol pur des chevaux
trempés de sueur et de mort.
Dans les grottes dort la mémoire
de l’eau, des barques et des danses
d’un chuchotement de verdure
ombrant la hâte du ruisseau,
de l’âme par le fer marquée –
je parle à un homme qui n’a
jamais vu d’herbe, de ruisseau
ne me souviens plus de ses mots
seulement du vert de ses yeux
regardant les braises et la flamme
du feu bâti dans la fraîcheur –
je m’endors et rêve qu’autour
c’est déjà la rougeur de l’aube
grappes de voix claires qui roulent
par les collines en sommeil
et sortent les bœufs, leurs naseaux
ornés des vapeurs de leur souffle –
C’est peu d’une nuit pour refaire son regard
toute une aube à séparer le pain de la flamme –
à quoi bon une barque à présent au désert
mais la joie en nous de ces vies qui revivent !
les yeux étonnés du poreux des pierres
bourdonnement de lampes minuscules
et toute la nuit mes rêves remuent
la paille brisée du rayonnement –
Patmos et autres poèmes
Gallimard éditeur, 2001
Du même auteur :
La maison près de la mer, II (29/03/2016)
Patmos (29/03/2017)
Nuits (29/03/2018)
La maison près de la mer, I (29/03/2019)
Amandiers (29/03/2020)
Sidi-Bou-Saïd / Raouad / Linaria (29/03/2021)
Genèse (29/03/2022)
Nuits et neiges (29/03/2023)
Poèmes d’été à Sidi-Bou-Saïd 07/09/2023)
Fantaisie chromatique (29/03/2024)
Poussière de Judée (29/03/2025)