Lorand Gaspar (1925 – 2019) : Poussière de Judée
Lorand Gaspard © Radio France
Poussière de Judée
Comme si le temps prêté au vivant
moulu dans la sombre épaisseur des pierres
donnait aux crépusculex de Judée
leur porosité respirante, lumineuse –
Terre dévêtue
Terre usée
Lumière friable
Saveur sans fond
Etrange saveur de chair nue
Ruinée, moulue
Comme un blé nouveau
Déjà mûr de sa musique-
Qui monte dans les tiges du couchant –
Paysages dont seul persiste l’élan
La montée des sèves dans la soif
Les plus nues collines de l’esprit
La seule respiration de la fugue –
Le toucher rond d’un geste maternel
Comme si le souffle ouvrant le poème
Pouvait dans la douleur tenir le cap
De notre certitude dispersée –
Commentaire
à Jean Grosjean
Quelqu’un a ôté la pierre
et le désir à jamais inapaisé –
la sombre querelle que vous savez
au printemps d’une Genèse
chapitre XXVI à propos de puits.
Et qui ne sait combien difficile
est d’atteindre l’eau vive sous le torrent ?
Abraham le savait, aussi chantait-il
en piochant la terre obscure,
l’épaisseur rétive où monte
le bourdonnement glorieux des jaunes
pâmés dans le désordre des herbes.
Et le combat entre Fils de Lumière
et de Ténèbres reste indécis.
Odeur acide de terre en travail
ici et là agonie mais fleurs
mais abeilles du grand bleu
ici et là timbale d’un rire
dans la fenêtre des chambres où l’on meurt.
Et des jeunes filles passent
les seins nus sous la tunique
des couteaux bougent dans les nappes
de musique, la pénombre, la douleur
des poussières dansent –
Patmos et autres poèmes
Gallimard éditeur, 2001
Du même auteur :
La maison près de la mer, II (29/03/2016)
Patmos (29/03/2017)
Nuits (29/03/2018)
La maison près de la mer, I (29/03/2019)
Amandiers (29/03/2020)
Sidi-Bou-Saïd / Raouad / Linaria (29/03/2021)
Genèse (29/03/2022)
Sefar (07/09/2022)
Nuits et neiges (29/03/2023)
Poèmes d’été à Sidi-Bou-Saïd (07/09/2023)
Fantaisie chromatique (29/03/2024)