Attila József (1905 – 1932) : Auprès du Danube / A Dunánál
Auprès du Danube
I
Assis sur le quai de pierre au bout du port,
je regardais passer une écorce de pastèque en souffrance.
A peine entendis-je, plongé en mon sort :
la surface susurre, mais le fond garde le silence.
Comme s’il s’était écoulé d’à même ce cœur,
le Danube troublé s’avançait, sage en son abrupte grandeur.
Semblable au jeu des muscles de l’homme à l’œuvre,
lorsqu’il lime, frappe, creuse ou pose du ciment,
ainsi éclataient, se tendaient et se détendaient les manœuvres
de chaque vague et de chaque remuement.
Et comme ma mère, il me berçait, me murmurait des contes,
en lavant le linge de tout le monde.
Et quelques gouttes se mirent à tomber,
mais comme si c’était tout un, l’averse s’arrêta soudain.
Pourtant, tel celui qui du fond d’une caverne
regarde la longue pluie – je scrutais les confins :
fade, il tombait à la manière d’une éternelle pluie d’humeur lassée,
ce qui fut pourtant diapré, le passé.
Le Danube coulait simplement.
Enfant au sein de la mer féconde
dont la pensée divaguerait un instant,
jouaient et folâtraient, me souriant, les ondes.
Au fil du temps elles allaient frémissant,
comme des cimetières aux tombeaux chancelants.
II
Je suis ainsi fait que je regarde depuis des millénaires
ce dont tout à coup je m’aperçois.
Un instant, et le temps retrouve sa forme plénière
que des milliers d’ancêtres contemplent avec moi.
Je vois ce qu’ils n’ont guère vu, car ils labouraient la terre,
s’entre-tuaient et s’enlaçaient, faisaient ce qu’il fallait.
Ils voient, eux, plongés dans la matière,
ce que je ne vois point, s’il faut avouer ce qui est.
Nous nous connaissons comme plaisir et peine.
J’ai le passé et eux détiennent le présent.
Avec eux je tiens mon crayon – nous composons un poème,
et je les ressens me souvenant.
III
Ma mère fut cumane, mon père sicule à moitié,
ou roumain tout à fait, peut-être, qui sait.
Pris de la bouche de ma mère, doux fut le manger,
de la bouche de mon père, beau fut le vrai.
Lorsque je m’émeus, ils s’étreignent en moi.
Je m’en attriste parfois –
c’est le dépérissement – ce dont je me compose. « Tu verras,
- m’interpellent-ils – quand nous ne serons plus là !... »
Ils m’interpellent, car à présent je les suis déjà, ces ombres,
en ma faiblesse, ainsi suis-je fort avec eux,
moi qui me souviens être davantage que le grand nombre,
étant jusqu’à la cellule primitive tous les aïeux, -
je suis l’Aïeul même, qui se partage pour se multiplier d’amour :
bienheureux, je deviens mon père et ma mère aimés,
et mes parents se scindent eux-mêmes, à leur tour,
afin que je puisse me reproduire en Un Seul animé !
Je suis le monde – tout ce qui fut, ce qui est là :
les nombreux lignages qui s’affrontent.
Les conquérants du pays natal, morts, triomphent en moi
et la peine des vaincus me tourmente,
Arpád et Zalán, Werboeczi et Dózsa –
Turc, Tartare, Slovaque et Roumain tournoient
en ce cœur, qui doit à ce passé déjà
un avenir aimable – Magyars d’à présent !
... Moi, je veux me mettre à l’œuvre. Cela devrait suffire
pour tout combat qu’il faille avouer le passé.
Du Danube, tout entier passé, présent et avenir,
les tendres flots viennent à s’enlacer.
Malgré le combat que se livrèrent nos défunts,
avec le souvenir, la paix saura les rejoindre.
Arrange enfin nos affaires en commun,
c’est notre tâche, et non la moindre.
Traduit du hongrois par Gábor Kardos
In, Attila József : « Le miroir de l’autre »
Editions Unesco / La Différence (Orphée), 1997
Auprès du Danube
Au bas du quai sur une pierre j’étais assis.
Je regardais les pelures de pastèques s’en aller.
A peine, dans mon destin plongé, si j’entendis
Que la surface babillait, que le fond restait muet.
Comme si hors mon cœur coulait au loin son flux,
Trouble, sage, immense était le Danube.
Tels les muscles, lorsque l’homme travaille,
Bêchant, martelant, faisant du torchis, limant,
Ainsi craquait, ainsi se tendait, ainsi tombait en faille
Chaque ondulement, chaque mouvement.
Et, telle ma maman, l’eau me berçait, me contait
Des contes tout en lavant chaque souillure de la cité.
Et vint la pluie avec quelques gouttelettes,
Puis, comme si rien ne changeait, elle se rompit.
Moi pourtant, semblable à qui d’une grotte guette
La pluie longue, je regardais l’au-delà du pays :
A la semblance d’une apathique, éternelle ondée tombait
Sans couleur, lui qui fut tout en couleurs, le Passé.
Le Danube n’était qu’onde. Et tel, dans la fécondité
Un marmot sur le sein de sa mère ailleurs distraite,
Telles avec joliesse s’ébattaient
Et me faisaient risette les vaguelettes.
Sur le courant du Temps elles avaient des tremblements
De cimetières où les pierres tombales vont croulant.
*
Je suis ainsi que depuis cent mille ans
Je regarde ce que soudain je vois.
Une seconde ! et j’ai là l’entier Temps
Que cent mille aïeux contemplent avec moi.
Ce qu’eux ne voyaient pas, je le vois, car eux
Piochaient, pourfendaient, procréaient, selon leur loi.
Mais, dans la matière descendus, ils voient, eux,
Ce que moi (l’heure étant aux aveux) point ne vois.
Nous avons savoir de nous comme joie et chagrin ;
Le passé m’appartient, le présent leur appartient ;
Nous écrivons ces vers, mon crayon dans leur main :
En mes sens j’ai leur présence et je me souviens.
*
Ma mère était cumane, mon père mi-sicule
Mi-roumain ou peut-être roumain tout à fait.
Sur la bouche de ma mère douce était la nourriture.
Sur la bouche de mon père belle était la vérité.
Quand je bouge, ce sont eux qui s’embrassent ;
J’ai des moments de chagrin, c’est pour cela.
Là, tout s’écoule. D’eux je suis fait. « Tu verras
Quand nous ne serons plus là ! », telle était vers moi leur voix.
Oui, leur voix vers moi ! car eux, c’est déjà moi ;
Ainsi je suis fort, tout débile que soit mon être,
Moi qui, dans le passé, plus que le nombre me vois,
Car jusqu’au Premier des Premiers je suis chaque ancêtre.
Je suis l’Ancêtre qui pour se multiplier se fait bribes ;
En mon père, en ma mère avec bonheur je me modifie
Et mon père, ma mère, à leur tour se dédoublent
Et c’est ainsi, Un animé, que je prolifie.
Je suis tout ce qui fut, qui est – je suis le monde :
Les générations en nombre s’entrechoquant.
Avec moi les conquérants triomphent dans leur tombe
Et les tourments des vaincus sont mes tourments.
Arpad, Zalan, Verbösczi, Dôzsa, Turcs, Tatars,
Slovaques, Roumains, pêle-mêle vont tournoyant
Dans ce cœur-là qui déjà à ces anciens jours
Un doux avenir... Hongrois de ce temps !
.. Moi, c’est travailler que je veux. Suffisante
Lutte est d’avoir à prendre en charge le passé.
Sur le Danube vont s’entrebaisant les houles tendres
Qui sont temps passé, temps qui passe, temps à passer.
Les luttes que mes ancêtres ont livrées,
En sérénité la mémoire dénoue leurs nœuds.
Et mettre enfin dans nos affaires communes une clarté
Est notre travail ; et ce n’est pas peu.
Traduit du hongrois par Armand Robin
in, « Poésie sans passeport »
Editions Ubacs, 35010 Rennes, 1990
Du même auteur :
Sans espoir / Reménytelenül (12/01/2018)
Ce n’est pas moi qui clame / Nem én kiáltok (02/06/2020)
Nuit d’hiver /Téli éjszaka (02/06/2021)
A Dunánál
I
A rakodópart alsó kövén ültem,
néztem, hogy úszik el a dinnyehéj.
Alig hallottam, sorsomba merülten,
hogy fecseg a felszin, hallgat a mély.
Mintha szivemből folyt volna tova,
zavaros, bölcs és nagy volt a Duna.
Mint az izmok, ha dolgozik az ember,
reszel, kalapál, vályogot vet, ás,
úgy pattant, úgy feszült, úgy ernyedett el
minden hullám és minden mozdulás.
S mint édesanyám, ringatott, mesélt
s mosta a város minden szennyesét.
És elkezdett az eső cseperészni,
de mintha mindegy volna, el is állt.
És mégis, mint aki barlangból nézi
a hosszú esőt - néztem a határt:
egykedvü, örök eső módra hullt,
szintelenül, mi tarka volt, a mult.
A Duna csak folyt. És mint a termékeny,
másra gondoló anyának ölén
a kisgyermek, úgy játszadoztak szépen
és nevetgéltek a habok felém.
Az idő árján úgy remegtek ők,
mint sírköves, dülöngő temetők.
II
Én úgy vagyok, hogy már száz ezer éve
nézem, amit meglátok hirtelen.
Egy pillanat s kész az idő egésze,
mit száz ezer ős szemlélget velem.
Látom, mit ők nem láttak, mert kapáltak,
öltek, öleltek, tették, ami kell.
S ők látják azt, az anyagba leszálltak,
mit én nem látok, ha vallani kell.
Tudunk egymásról, mint öröm és bánat.
Enyém a mult és övék a jelen.
Verset irunk - ők fogják ceruzámat
s én érzem őket és emlékezem.
III
Anyám kún volt, az apám félig székely,
félig román, vagy tán egészen az.
Anyám szájából édes volt az étel,
apám szájából szép volt az igaz.
Mikor mozdulok, ők ölelik egymást.
Elszomorodom néha emiatt –
ez az elmulás. Ebből vagyok. „Meglásd,
ha majd nem leszünk!...” - megszólítanak.
Megszólítanak, mert ők én vagyok már;
gyenge létemre így vagyok erős,
ki emlékszem, hogy több vagyok a soknál,
mert az őssejtig vagyok minden ős –
az Ős vagyok, mely sokasodni foszlik:
apám- s anyámmá válok boldogon,
s apám, anyám maga is ketté oszlik
s én lelkes Eggyé így szaporodom!
A világ vagyok - minden, ami volt, van:
a sok nemzedék, mely egymásra tör.
A honfoglalók győznek velem holtan
s a meghódoltak kínja meggyötör.
Árpád és Zalán, Werbőczi és Dózsa –
török, tatár, tót, román kavarog
e szívben, mely e multnak már adósa
szelíd jövővel - mai magyarok!
... Én dolgozni akarok. Elegendő
harc, hogy a multat be kell vallani.
A Dunának, mely mult, jelen s jövendő,
egymást ölelik lágy hullámai.
A harcot, amelyet őseink vivtak,
békévé oldja az emlékezés
s rendezni végre közös dolgainkat,
ez a mi munkánk; és nem is kevés.
1936. június