L’épopée de Gilgameš (2100 avant J.C.) : Tablette I : les deux héros
Représentation possible,de Gilgamesh, en maître des animaux, tenant un lion dans son bras gauche et un serpent dans sa main droite. Relief de palais assyrien (713-706 avant J.C.) de Dur-Sharrukin, conservé au Louvre
L’épopée de Gilgameš
(Version ninivite)
TABLETTE I
Les deux héros
Présentation du héros
Je vais présenter au monde
Celui qui a tout vu,
Connu la terre entière,
Pénétré toutes choses,
Et partout exploré
Tout ce qui est caché !
Surdoué de sagesse,
Il a tout embrassé du regard
Il a contemplé les Secrets,
Découvert les Mystères ;
Il nous en a même appris
Sur avant le Déluge !
Retour de son lointain voyage,
Exténué, mais apaisé
Il a gravé sur une stèle
Tous ses labeurs !
Rappel de son œuvre encore subsistante
C’est lui qui fit édifier les murs
D’Uruk-les-clos
Et du saint Eanna,
Trésor sacré !
Regarde-moi cette muraille,
Serrée comme un filet à oiseaux !
Considère ce soubassement
Inimitable !
Palpe cette dalle du seuil
Amenée de si loin !
Avance-toi vers l’Eanna,
Résidence d’Istar,
Que nul roi ultérieur, personne,
N’a jamais pu contrefaire !
Monte
Déambuler sur les remparts d’Uruk ;
Scrutes-en les fondations,
Contemples-en le briquetage :
Tout cela n’est-il pas
Brique cuite ?
Et les Sept Sages, en personne,
N’en ont-ils pas jeté les bases ?
Trois cent hectares de ville, autant de jardins,
Autant de terre vierge – c’est l’apanage du temple d’Istar
Avec ces mille hectares, tu couvres du regard
L’entier domaine d’Uruk !
Ses aventures, qu’il a consignées par écrit
Va maintenant chercher
La cassette en cuivre,
Manœuvres-en
L’anneau de bronze,
Ouvres-en
Le volet à secret,
Et tires-en la tablette de lazulite,
Pour y déchiffrer
Comment ce Gilgameš
A traversé tant d’épreuves !
Hommage lui est rendu : pour ses vertus
Exceptionnel monarque,
Célèbre, prestigieux,
Preux rejeton d’Uruk,
Buffle à la corne terrible,
Il précédait ses gens,
Entraîneur ;
Ou bien il les suivait,
Renfort des siens !
Puissant filet-de-guerre,
Protecteur de ses troupes,
Masse d’eau démontée
Qui démolit jusqu’aux murs de pierre :
Tel était le fils de Lugalbanda,
Gilgameš à la force accomplie,
L’enfant de la Vache sublime :
Ninsuna-la-Buflesse,
Tel était Gilgameš
Parfait, éblouissant !
et pour ses hauts faits
Lui qui ouvrit
Les passes des montagnes,
Creusa des puits
Sur la nuque des monts,
Passa la mer,
La Mer immense,
Jusque là d’où sort le Soleil,
Et explora l’univers entier
En quête de la vie-sans-fin,
Poussant, avec hardiesse,
Jusqu’à Utanapištî-le-lointain
Restaurateur des Sanctuaires
Qu’avait anéantis le Déluge !
Entre la multitude des hommes,
Il n’y en a pas eu un
Qui pût rivaliser avec lui
En souveraineté,
Et déclarer comme lui :
« Le Roi, c’est moi, moi seul ! »
Sa personne
Ce Gilgameš,
Dès sa naissance,
Etait prestigieux !
Dieu aux deux tiers,
Pour un tiers homme,
La forme de son corps,
Maḫ l’avait dessinée,
Elle en avait agencé la figure
..................................................
Et superbe sa prépotence !
Il était
De vigueur accomplie
Ses excès de pouvoir
Entre les clos d’Uruk,
Il allait et venait ;
Tête haute, pareil à un buffle,
Il étalait sa force ;
Sans pareil
A brandir ses armes ;
Son escorte toujours sur pieds,
A ses ordres !
En leur privé, pourtant, les gaillards d’Uruk
Ne cessaient de trembler :
« Gilgameš disaient-ils ne laisse pas
Un fils à son père !
Jour et nuit, avec arrogance
Il ................................ !
Tout Pasteur soit-il
D’Uruk-les-clos
Puissant et glorieux
Sagace et averti,
Gilgameš ne laisse pas
Une adolescente à sa mère,
Fût-elle fille d’un preux,
Même déjà promise ! »
poussent les dieux à lui préparer un rival
A force d’ouïr leur complainte,
Les Grand dieux,
Les dieux célestes,
Interpellèrent le Seigneur d’Uruk :
« N’est-ce pas toi qui as mis en place
Gilgameš, ce buffle arrogant,
Sans pareil
A brandir ses armes ;
Son escorte toujours sur pieds,
A ses ordres ?
Ce Gilgameš qui ne laisse pas
Un fils à son père,
Qui, jour et nuit, avec arrogance,
...............................
Et tout Pasteur soit-il
D’Uruk-les clos,
Tout Pasteur soit-il
Et Roi de ses sujets,
Puissant et glorieux
Sagace et averti,
Il ne laisse pas
Une adolescente à sa mère
Fût-elle fille d’un preux,
Même déjà promise ? »
Tant et si bien qu’Anu
Ayant fini par ouïr leur complainte,
Ils interpellèrent Aruru-la-grande :
« Aruru, toi qui as formé l’Homme,
Forme, à présent, ce qu’Anu te dictera,
Sur le patron de l’Ouragan par lui imaginé.
Lui et Gilgameš s’empoigneront,
Et Uruk retrouvera le calme ! »
Ayant ouï
Cette requête,
Aruru se pénétra
De ce que lui dicta Anu.
S’étant alors
Lavé les mains,
Elle prit un lopin d’argile
Et le déposa dans la steppe
Enkidu : sa personne et ses moeurs
Et c‘est là, dans la steppe,
Qu’elle forma Enkidu-le preux.
Mis au monde en la Solitude,
Aussi compact que Ninurta.
Abondamment velu
Par tout le corps,
Il avait une chevelure
De femme,
Aux boucles foisonnant
Comme un champ d’épis.
Ne connaissant ni concitoyens,
Ni pays,
Accoutré
A la sauvage,
En compagnie des gazelles.
Il broutait ;
En compagnie de sa harde,
Il fréquentait l’aiguade ;
Il se régalait d’eau
En compagnie des bêtes.
Découvert, il fait peur
Or, un chasseur
- Un poseur de pièges,
Tomba sur lui
Au bord de l’aiguade,
Une première fois
Une autre, une troisième
Au bord de l’aiguade,
Il tomba sur lui.
Quand le chasseur l’eut vu,
Il en fut médusé ;
Et lorsqu’avec sa harde,
Enkidu eut regagné son gîte,
Le chasseur demeura troublé,
Perplexe et sans mot dire,
Le cœur serré
Le visage assombri
De l’inquiétude
Qui lui était entré au ventre :
Il avait le visage
D’un qui revient de loin...
Dénoncé, on lui prévoit un piège pour l’attirer
Le Chasseur, ayant alors ouvert la bouche,
Prit la parole
Et s’adressa
A son père :
« Mon père, il y a un gaillard,
Venu du désert :
C’est le plus fort du pays,
Le plus vigoureux ;
Sa musculature est aussi puissante
Qu’un bloc venu du Ciel !
Constamment,
Il vagabonde au désert ;
Constamment,
Il broute avec sa harde ;
Il hante constamment
Les abords de l’aiguade ?
J’en ai eu si peur
Que je ne l’ai pas approché !
Il a comblé les trapes
Que j’avais moi-même creusées ;
Arraché les filets
Que j’avais tendus,
Et détourné de moi
Gros et menu gibier !
Il ne me laisse plus
Battre la steppe ! »
Son père, ayant ouvert la bouche
Prit la parole
Et s’adressa
Au chasseur
« Mon fils, à Uruk
Demeure Gilgameš.
Personne
N’est plus fort que lui ;
Sa musculature est aussi puissante
Qu’un bloc venu du Ciel !
Va le trouver,
Mon fils,
Et l’informer
De la vigueur de cet être-humain.
Il te donnera
La Courtisane Lajoyeuse,
Que tu emmèneras
Avec toi à la chasse,
Lui expliquant
Combien ce gaillard est robuste.
Lorsque sa harde
Arrivera à l’aiguade,
Elle ôtera
Ses vêtements,
Elle dévoilera
Ses charmes,
Et quand il la verra ainsi,
Il se jettera sur elle.
Alors sa harde, élevée avec lui,
Lui deviendra hostile ! »
Gilgameš averti,
Ayant prêté l’oreille
Au conseil de son père,
Le Chasseur
S’en fut trouverGilgameš.
Il prit chemin,
Et mit pied
En Uruk.
Ecoute-moi, Gilgameš.
Prête l’oreille à mes paroles :
Il y a un gaillard,
Venu du désert,
C’est le plus fort du pays,
Le plus vigoureux ;
Sa musculature est aussi puissante
Qu’un bloc venu du Ciel.
Constamment
Il vagabonde au désert ;
Constamment
Il broute avec sa harde ;
Il hante constamment
Les abords de l’aiguade.
J’en ai eu si peur
Que je ne l’ai pas approché !
Il a comblé les trapes
Que j’avais moi-même creusées ;
Arraché les filets
Que j’avais tendus,
Et détourné de moi
Gros et menu gibier.
Il ne me laisse plus
Battre la steppe ! »
fait exécuter la machination prévue
Gilgameš.
S’adressa à lui, le Chasseur :
« Va-t-en, Chasseur, et emmène avec toi
La Courtisane Lajoyeuse.
Lorsque sa harde
Arrivera à l’aiguade
Elle ôtera ses vêtements,
Elle dévoilera ses charmes,
Et quand il la verra ainsi,
Il se jettera sur elle.
Alors sa harde, élevée avec lui,
Lui deviendra hostile ! »
Rencontre d’Enkidu avec la Courtisane
Le Chasseur s’en fut donc, emmenant avec lui
La Courtisane Lajoyeuse.
Ils prirent route
Et tirèrent chemin,
Et, au bout de trois jours,
Arrivèrent au bon endroit.
Chasseur et Courtisane,
Installés en leur coin,
Restèrent là, un jour, deux jours,
Aux abords de l’aiguade.
Puis la harde arriva
Pour s’y abreuver :
Arrivèrent les bêtes
Pour se régaler d’eau.
Enkidu en personne,
Naturel du désert,
Broutait
En compagnie des gazelles ;
En compagnie de sa harde,
Il s’abreuvait à l’aiguade,
Et se régalait d’eau
En compagnie des bêtes.
Lajoyeuse le vit,
Cet être-humain sauvage,
Ce redoutable gaillard
D’en pleine steppe :
« Le voilà, lui dit le Chasseur
Dénude-toi, Lajoyeuse,
Découvre-toi le sexe
Pour qu’il y prenne ta volupté
Et n’aie crainte
De l’épuiser !
Lorsqu’il te verra ainsi,
Il se jettera sur toi :
Laisse alors choir ton vêtement
Pour qu’il s’allonge sur toi,
Et fais-lui, à ce sauvage,
Ton affaire de femme !
Alors, sa harde, élevée avec lui,
Lui deviendra hostile,
Pendant que de ses mamours,
Il te cajolera ! »
Enkidu tombe dans le piège amoureux
Et Lajoyeuse
D’écarter ses voiles
Et de se découvrir le sexe,
Pour qu’il y prît sa volupté,
Sans crainte
De l’épuiser.
Quand elle eut laissé choir son vêtement,
Il s’allongea sur elle,
Et elle lui fit, à ce sauvage,
Son affaire de femme,
Tandis que, de ses mamours,
Il la cajolait.
Six jours et sept nuits,
Enkidu, excité,
Fit l’amour à Lajoyeuse !
et se trouve coupé de sa compagnie animale
Une fois soûlé
Du plaisir qu’elle lui avait donné,
Il se disposa
A rejoindre sa harde.
Mais à la vue d’Enkidu
Gazelles de s’enfuir,
Et les bêtes sauvages,
De s’écarter de lui.
Son corps vidé de force,
Il voulut s’élancer :
Ses genoux trop paralysés
Pour talonner ses bêtes,
Enkidu était affaibli,
Incapable de courir comme avant.
Il s’attache donc à la Courtisane
Mais il avait mûri
Il était devenu intelligent !
Aussi revint-il s’asseoir,
Aux pieds de la Courtisane.
Les yeux rivés
Sur son visage,
Il comprenait
Tout ce qu’elle lui disait.
qui lui propose de l’emmener à Uruk
La Courtisane
S’adressa donc à lui, Enkidu :
« Tu es beau, Enkidu !
Tu ressembles à un dieu !
Pourquoi galoper dans la steppe
Avec les bêtes ?
Laisse-moi t’emmener
A Uruk-les-clos,
A la sainte Demeure,
Résidence d’Anu et d’Istar,
Là où se trouve Gilgameš
A la vigueur accomplie,
Qui, pareil à un buffle,
L’emporte sur les plus gaillards ! »
Et tandis qu’elle l’exhortait,
Il acquiesçait à ses dires :
Clairvoyant,
Il se pressentait un ami.
Il accepte, voulant démontrer sa supériorité sur Gilgameš
Enkidu
S’adressa donc à la Courtisane :
« Allons ! Lajoyeuse,
Entraîne-moi,
A la sacro-sainte Demeure,
Résidence d’Anu et d’Istar,
Là où se trouve Gilgameš
A la vigueur accomplie,
Qui, pareil à un buffle,
L’emporte sur les plus gaillards !
Je me mesurerai avec lui,
Et la lutte sera sévère !
Et je proclamerai, en plein Uruk :
« Le plus puissant, c’est moi ! »
Une fois entré là-bas
J’y changerai le cours des choses !
Le natif de la steppe
Sera le plus fort, le plus vigoureux ! »
La Courtisane cherche à le calmer, par la perspective d’une amitié avec Gilgameš
« Viens, dit la courtisane, partons :
Allons le trouver en personne !
Je te montrerai Gilgameš
Car je sais
Où il est !
Viens, Enkidu,
A Uruk-les-clos,
Où les gaillards,
Sont ceinturés d’écharpes ;
Où chaque jour
On fait fête ;
Où ne cessent
De retentir les tambourins ;
Où les filles de joie,
Beautés irréprochables,
Lascives,
Pleines de cris voluptueux,
Voient les plus hauts personnages
Quitter leur couche nocturne !
Toi, Enkidu,
Qui ne savais pas vivre,
Je te montrerai Gilgameš
Cet homme imperturbable !
Tu le regarderas,
Et tu verras, en face,
Comme dans la force de l’âge, il est bien fait,
Il a de la prestance
Il respire la séduction
Par tout lui-même,
Et l’emporte sur toi
En vigueur :
Infatigable,
Jour et nuit !
Mets de côté ta hargne,
Enkidu :
Cet Gilgameš
Samas l’a pris en affection
Et Anu, Enlil et Ea
Lui ont dilaté l’intelligence.
Elle lui raconte deux songes que Gilgameš a faits à son sujet, et qui laissent prévoir,
de sa part, une attitude amicale.
Avant même que, de ton désert,
Tu sois arrivé jusqu’à lui,
A Uruk,
Il a rêvé de toi,
Et, à peine sur pieds,
S’adressant à sa mère,
Il lui a raconté ses rêves.
Premier songe
« Ma mère, voici le rêve,
Que j’ai fait cette nuit :
Tandis que m’entouraient
Les Etoiles célestes
Une façon de bloc venu du Ciel
Est pesamment tombé près de moi.
J’ai voulu le soulever :
Il était trop lourd pour moi ;
J’ai tenté de le déplacer
Je ne le pouvais remuer !
Devant lui se tenait
La population d’Uruk :
Le peuple
S’était attroupé alentour ;
La foule se pressait
Devant lui ;
Les gaillards
S’étaient massés pour le voir :
Et comme à un bambin,
Ils lui baisaient les pieds ;
Moi, je le cajolais,
Comme une épouse.
Puis je l’ai déposé
A tes pieds,
Et toi,
Tu l’as traité à égalité avec moi ! »
et son interprétation
Sage et experte
La mère de Gilgameš, omnisciente,
S’est adressée à son souverain -
Sage et experte,
Ninsuna-la-Bufflesse, omnisciente,
S’est adressée à Gilgameš :
« Les Etoiles célestes,
C’est ton escorte !
Cette façon de bloc venu du Ciel
Qui t’est pesamment tombé auprès,
Que tu voulais soulever,
Trop lourd pour toi ;
Que tu tentais de déplacer,
Sans le pouvoir remuer ;
Que tu as enfin déposé
A mes pieds
Que j’ai moi-même,
Traité à égalité avec toi,
Et que tu cajolais
Comme une épouse :
C’est qu’il va t’arriver un compagnon puissant,
Secourable à son ami,
Le plus fort du pays
Le plus vigoureux,
Aussi solide
Qu’un bloc venu du Ciel !
Que tu l’aies cajolé
Comme une épouse :
C’est que lui
Ne t’abandonnera jamais !
Ton rêve est excellent
Et du meilleur augure ! »
Second rêve
Une seconde fois, Gilgameš
S’est adressé à sa mère :
J’ai fait un autre rêve
Ma mère :
A Uruk-les-clos
Avait été posée une hachette.
Objet de l’attention générale.
La population d’Uruk
Se tenait devant elle ;
Le peuple
S’était attroupé alentour ;
La foule
Se pressait pour la voir.
Et moi,
Je l’ai déposée à tes pieds
Et je l’aimais et la cajolais
Comme une épouse.
Tandis que toi,
Tu la traitais à égalité avec moi ! »
Et son interprétation
Sage et experte
La mère de Gilgameš, omnisciente,
S’est adressée à son fils -
Sage et experte,
Ninsuna-la-Bufflesse, omnisciente,
S’est adressée à Gilgameš :
« La hachette que tu as vue,
Ô homme,
Que tu aimais et cajolais
Comme une épouse,
Et que moi, j’ai traitée
A égalité avec toi
C’est qu’il va t’arriver un compagnon puissant,
Secourable à son ami,
Le plus fort du pays
Le plus vigoureux,
Aussi solide
Qu’un bloc venu du Ciel !
Assentiment de Gilgameš
Et Gilgameš, ayant ouvert la bouche,
S’est adressé à sa mère :
« Ah ! qu’il m’arrive
Une chance aussi grande,
Un tel ami et confident
Puissé-je l’obtenir !
Puissé-je obtenir, moi-même
Un tel ami et confident !
Voilà les rêves que Gilgameš,
A exposés à sa mère ! »
Et ces rêves de Gilgameš
Lajoyeuse les contait à Enkidu,
Cependant qu’installés au bord de l’aiguade,
Tous deux prolongeaient leurs caresses !
(Fin de la tablette)
Traduit de l’akkadien par Jean Bottéro
in, « L’épopée de Gilgameš, le grand homme qui ne voulait pas mourir »
Editions Gallimard 1992
L’épopée de Gilgamesh
TABLETTE I
Celui qui a vu le fond de toutes choses et tous les pays,
Celui qui a su tout pour l’enseigner à tous,
Il fera part de son expérience au profit de chacun !
Il a possédé la sagesse, la science universelle,
Il a découvert le secret de ce qui est caché !
Celui qui porta en lui la connaissance de ce qui fut antérieur au Déluge,
Il a fait de longs voyages, il a souffert,
Et l’on a consigné sur une stèle ses épreuves.
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Le Piège
(Le chasseur alla vers Gilgamesh et lui dit :)
« Un gaillard est venu des montagnes,
le poids de sa force pèse sur le pays.
Comme celle d’un champion d’Anu, sa vigueur est immense ;
il se pavane sur le pays sans cesse ;
sans cesse il erre, avec ses troupeaux,
sans cesse vers les points d’eau il se dirige,
j’ai peur et je n’ose approcher de lui.
Il a rempli les fosses que j’avais creusées,
il a arraché les pièges que j’avais tendus,
il a fait échapper de mes mains les troupeaux de la plaine,
il ne m’a pas laissé chasser dans la plaine ! »
Gilgamesh s’adressa au chasseur et lui dit :
« Va, ô chasseur, prends avec toi une prostituée du temple,
quand l’homme conduira son troupeau à l’abreuvoir,
qu’elle ôte son vêtement afin de le séduire.
Dès qu’il la verra, il s’approchera d’elle pour la posséder
et son troupeau, qui a grandi dans le désert, ne le connaîtra plus.»
Le chasseur se mit en route avec une prostituée du temple, une fille de joie !
Ils pressèrent le pas et accomplirent le voyage.
Le troisième jour, ils furent à l’endroit désigné.
Le chasseur et l’hiérodule s’assirent assez loin l’un de l’autre.
Un jour et encore un jour, ils furent assis au point d’eau.
Alors le bétail atteignit le point d’eau pour y boire.
Il arriva, le troupeau, et se rassasia d’eau.
Enkidu, lui, qui était né dans la montagne,
avec les gazelles, d’herbe il se nourrissait,
avec le bétail, il buvait aux points d’eau.
Oui, avec les troupeaux il se plaisait à boire.
Elle le vit, la fille de joie, le grand gaillard,
le fort, celui qui brise tout, l’occupant de la plaine ;
« Le voici, fille de joie ! Offre ton corps,
qu’il possède ta beauté.
N’aie pas honte, prends ton souffle,
ôte ton vêtement, qu’il s’étende sur toi,
et donne lui la volupté que peut donner la femme :
alors son troupeau qui a grandi dans le désert
ne le connaîtra plus
puisqu’il t’aura tenue sur sa poitrine. »
La fille de joie dévoila ses seins,
elle montra son corps et sa beauté fut possédée.
Sans honte, elle prit son souffle.
Elle ôta son vêtement, il s’approcha pour la prendre,
elle donna la volupté que peut donner la femme
et il la serra contre sa poitrine.
Six jours et sept nuits Enkidu s’approcha de l’hiérodule
et il la posséda.
Lorsqu’il fut rassasié de plaisir
il se tourna vers son troupeau,
mais quand elle le virent, les gazelles fuirent Enkidu,
le bétail de la plaine s’écarta de lui.
Enkidu fut atterré, son corps fut comme lié,
ses genoux restèrent immobiles tandis que son troupeau fuyait.
Enkidu ne sut plus courir comme autrefois,
et il comprit le signe, son esprit s’ouvrit.
Il se rassit aux pieds de la prostituée.
Elle considère le visage d’Enkidu
et ce qu’elle dit, ses oreilles le recueillent,
elle s’adresse ainsi à Enkidu.
O Enkidu, ta beauté est d’un dieu.
Pourquoi vagabonder dans la plaine avec le bétail ?
Viens ! Je te conduirai dans Uruk aux Enclos,
au temple saint, demeure du dieu Anu et de la déesse Ishtar,
où Gilgamesh, accompli en force,
comme un taureau sauvage, surpasse en vigueur tous les habitants. »
Elle dit et son parler lui convient
car son cœur avisé cherche un ami.
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Traduction de Georges Conteneau
in, « L’épopée de Gilgamesh »
L’Artisan du Livre, 1939
Du même auteur : L’épopée de Gilgameš) : Tablette II et III (14/04/2023)