Herberto Helder (1930 -2015) : Lieu (1) / Lugar (1)
Lieu
1
Une nuit je trouvai une pierre
pierre, oh pierre !
verte ou bleue, sur le côté, comme morte.
Je trouvai la nuit semblable à une pierre penchée
sur mon corps
pur, de la profondeur d’une cloche.
Je vis en moi une pensée
innocente, une pierre
quand on vient la nuit par son versant
désert.
Ou bien était-ce la cloche d’un silence plus
vaste, à venir, d’un
silence si vaste qu’on ne saurait l’habiter que par gestes.
Je pourrais me hisser sur la pointe
des pieds et rester là à jamais : flamme
que la nuit viendrait nourrir de sa
propre substance ardente. Nuit –
- ce bois pout notre légèreté d’homme. Je trouvai
une chose tombée, mûre peut-être, enterrée
à demi.
Une de ces choses issues de l’immobile, objet
que le sommeil façonne,
où doucement je passais des doigts transis d’effroi.
Son ou degré pour mon baiser,
s’élevant de la terre, non comme un arbre
ou une femme
épanouie en son climat de douceur
et d’émoi lancinant. Une chose
venue de racines autrement miraculeuses,
inexprimable par la brève
ténuité des feuillages, ou la chaude acuité de doigts tendus.
Une chose non entièrement désentravée de l’obscurité
d’une vie ensevelie,
non point un gisant par-dessus qui des myriades d’étoiles
rouleraient leurs ailes gelées.
Une chose au cœur d’une existence suspendue entre
l’extase et ce pouvoir obscur
des saisons.
Je trouvai une pierre pierre
qui n’était pas une colline au temps où mars bat la campagne
Non plus que la bouche maternelle desserrée
sous les fleuves sans rides.
Une chose où appuyer la tête, non
pour mourir, non. Mais qu’on puisse gravir,
et d’où il serait impossible de crier. Une pierre
privée de feuilles, une cloche
privée de pensée. Je trouvai quelque chose qui n’allait pas
par les montagnes, qu’aucune flèche
ne transpercerait. Qui ne saignait pas.
Qu’on ne pouvait entendre si elle chantait. Une chose froide
peut-être,
ou vivant sur la braise des chimères.
Elle était verte dans la nuit, quand on vient de loin,
ou bleue, ou bien verte encore par le miracle
qui n’est pas. A moins qu’elle n’eût
cette clarté qu’on voit à certaines fleurs fléchies.
Qu’elle ne fût haute, foulée, décapitée
au milieu du silence où tout est plongé.
En moi je trouvai cette clairière broussailleuse dans la sève,
comme si raisonnait un puits lointain,
ou comme
si, les jours ayant rapproché mon âge
éclatant,
je m’étais tu ou bien avait tourné mon visage béant
à la lumière pour la violence abstraite
de la solitude.
Je trouvai
une bête dans son sommeil, une fleur fascinée,
une guitare farouchement taciturne.
Jaune seulement si je levais la tête, ou
tellement obscure dans l’expansion de l’enfance.
Je trouvai une pierre verte enfoncée dans notre monde
à tous, au seuil de la candeur,
et que ce bleu de la terre en elle rendait si admirable.
Une chose incomprise à l’instant
où mourir est devant soi.
Je trouvai vagues sur vagues roulant contre moi, comme si
j’avais été
un mort parmi des mots.
Champs d’orge inspirés dans le feu cinglant
le dos de mes mains,
campagnes entières chantant leur innocence
presque démente. Et je trouvai enfin le lieu
où reposer ma tête et n’être plus personne
qui se connaisse. Une pierre
pierre sèche, une vie comblée de dons.
Avec des racines de qui divague.
Une pierre insonore comme quelqu’un marche
sur les aliments.
J’ai trouvé comme quelqu’un traîne dans la nuit
un symbole ardent et lourd.
Ou l’idée
d’une mort plus légère que le coeur sans rien
de l’amour.
Si l’on m’interroge, je dis : j’ai trouvé
la lune, le soleil.
Seul mon silence médite.
- Si c’était une pierre, une cloche. La vraie vie.
Traduit du portugais par Magali et Max de Carvalho
in, « Anthologie de la poésie portugaise contemporaine 1935 -2000 »
Editions Gallimard (Poésie), 2003
Lieu
I
Une nuit je trouverai une pierre
oh cette pierre !
verte ou bleue, de côté, comme si elle était morte.
Je trouvai la nuit comme une pierre inclinée
sur mon corps
pur, profond comme une cloche.
Je vis qu’il y avait en moi une pensée
innocente, une pierre
quand on entre dans la nuit du côté où
il y a moins de gens.
Ou c’était une cloche d’un futur
plus grand silence, si
grand silence pour n’être habités qu’en gestes.
Là je pourrais me dresser sur la pointe
des pieds et rester pour toujours : flamme
que la nuit viendrait alimenter de sa
matière même qui se brûle. Nuit –
- bois pour notre légèreté humaine. Je trouvai
une chose tombée, peut-être mûre, un peu
enfoncée dans la terre.
Une chose de ces choses de l’immobilité, objet
exécuté par le sommeil,
où je passais les doigts épouvantés et doux.
Son ou marche que j’embrasserais,
s’élevant de la terre, non comme un arbre
ou une femme
déployée dans son atmosphère de douceur
et de douloureuse exaltation. Une chose
montée de racines plus miraculeuses, qui ne s’
exprimait pas avec la brièveté
subtile de feuilles, ou la chaude acuité de doigts éparpillés.
Quelque chose non entièrement élevé de l’obscurité
d’une vie ensevelie,
et non gisant avec par-dessus des milliers d’étoiles qui
rouleraient leurs ailes de glace.
Une chose dans une existence tardive entre
l’extase et la force sombre
des saisons.
Je trouvai une pierre pierre
qui n’était pas une colline avec le mois de mars alentour.
Ce n’était pas non plus la bouche maternelle ouverte
sous les fleuves lisses.
Une chose pour appuyer la tête, oh non
pour mourir. Pour que quelqu’un monte
et d’où il n’était pas possible de crier. Une pierre
sans feuilles, une cloche
sans pensée. Je trouvai quelque chose qui ne marchait pas
à travers les montagnes et ne serait pas traversé
par une flèche. Et elle ne saignait pas.
Et on n’entendait pas si elle chantait. Peut-être était-elle froide
ou vivait-elle embrasée au-dessus de l’illusion.
Elle était verte dans la nuit quand on vient de loin,
ou bleue, ou verte par le miracle
qui n’existe pas. Ou alors
elle avait la clarté de certaines fleurs qui se courbent.
Ou alors elle était haute, ou écrasée, ou décapitée,
au milieu d’un silence global
Je trouvai en moi cette clairière en désordre dans la sève,
comme si un puits distant résonnait,
ou comme
si les jours s’étaient peu à peu rapprochés de mon âge
triomphant,
et que je me fusse tu et que j’eusse remué le visage ouvert
dans la lumière vers l’abstraite violence
de la solitude.
Je trouvai
un animal endormi, une fleur hypnotisée,
une guitare férocement tacturne.
Elle était jaune seulement si je levais la tête, ou elle était
si sombre dans la grande enfance.
Je trouvai une verte pierre enchâssée dans le monde
des gens, à l’entrée de la candeur,
si admirable par le bleu de la terre à l’intérieur.
Une chose incomprise à l’instant
de mourir vers l’avant.
Je trouvai des vagues et des vagues contre moi, comme si j’étais
un homme mort entre des mots.
Des champs d’orge inspirés par le feu qui frappaient
le dos de mes mains,
des villages entiers chantant leur pureté
presque folle. Je trouvai ensuite le lieu
ou poser la tête et n’être plus personne
qu’on connaisse. Une pierre
pierre sèche, une vie parmi de nombreux dons.
Avec les racines de qui divague.
Une pierre sans bruit comme qui se meut
sur les aliments.
Je trouvais comme qui traîne dans la nuit
un symbole lourd et brûlant.
Ou l’idée
de la mort plus légère que le cœur sans rien
de l’amour.
Si on m’interroge, je dis : je trouvai
la lune, le soleil.
Seul mon silence pense.
- Si c’était une pierre, une cloche. Une vie véritable.
Traduit du portugais par Marie-Claire Vromans
In, Revue « Polyphonies, N°20, hiver 1995 – 1996 »
Editions de la Différence, 1996
Du même auteur :
Source (2,3,6) (05/04/2019)
Elégie multiple (1,3) (05/04/20)
Lettre de la passion / A carta da paixão (05/04/2021)
Lugar
1
Uma noite encontrei uma pedraoh pedra pedra!
verde ou azul, de lado, como se estivesse morta.
Encontrei a noite como uma pedra inclinada
sobre o meu corpo
puro, profundo como um sino.
Vi que havia em mim um pensamento
inocente, uma pedra
quando se entra na noite pelo lado onde
há menos gente.
Ou era um sino de um futuro
maior silêncio, tão
grande silêncio para se habitar só em gestos.
Aí eu poderia erguer-me na ponta
dos pés e ficar para sempre: chama
que a noite viesse alimentar com sua
própria matéria que se queima. Noite –
– lenha para nossa leveza humana. Encontrei
uma coisa caída, talvez madura, um pouco
metida pela terra dentro.
Alguma coisa dessas coisas da imobilidade, objecto
executado pelo sono,
onde eu passava os dedos apavorados e doces.
Som ou degrau que eu beijaria,
elevando-se da terra, não como uma árvore
ou uma mulher
desenvolvida em sua atmosfera de doçura
e dolorosa exaltação. Alguma coisa
subida de raízes mais milagrosas, que se não
exprimia com a brevidade
subtil de folhas, ou a quente agudeza de dedos espalhados.
Algo não levantado inteiramente da obscuridade
de uma vida sepulta,
e não jacente por sobre o qual milhares de estrelas
rodassem as asas de gelo.
Uma coisa numa existência demorada entre
o êxtase e a força sombria
das estações.
Encontrei uma pedra pedra
que não era uma colina com o mês de março em volta.
Nem, era a boca materna aberta
debaixo dos rios lisos.
Uma coisa para se encostar a cabeça, oh não
para morrer. Para alguém subir
e de onde não era possível gritar. Uma pedra
sem folhas, um sino
sem pensamento. Encontrei algo que não andava
pelos montes nem seria atravessado
por uma flecha. E não sangrava.
Que não se ouvia se cantava. Talvez fosse fria
ou vivesse abrasada sobre a ilusão.
Era verde na noite quando se vem de longe,
ou azul, ou verde pelo milagre
que não existe. Ou então
era clara de certas flores que se dobram.
Ou então era alta, ou esmagada, ou degolada,
no meio de um silêncio global.
Encontrei em mim essa clareira desarrumada na seiva,
como se um poço distante ressoasse,
ou como
se os dias se fossem aproximando da minha idade
triunfante,
e eu me calasse e movesse o rosto aberto
pela luz para a abstracta violência
da solidão.
Encontrei
um animal adormecido, uma flor hipnotizada,
uma viola ferozmente taciturna.
Era amarela só se eu levantasse a cabeça, ou era
tão escura na infância grande.
Encontrei uma verde pedra cravada no mundo
das pessoas, à entrada da candura,
tão admirável pelo azul da terra dentro.
Uma coisa incompreendida no instante
de morrer para a frente.
Encontrei ondas e ondas contra mim, como se eu fosse
um homem morto entre palavras.
Campos de cevada inspirados no fogo que batiam
nas costas das minhas mãos,
aldeias inteiras cantando sua pureza
quase louca. Encontrei depois o lugar
onde deitar a cabeça e não ser mais ninguém
que se saiba. Uma pedra
pedra seca, uma vida entre muitos dons.
Com as raízes de quem divaga.
Uma pedra sem som como quem se move
sobre os alimentos.
Encontrei como quem arrasta para a noite
um símbolo pesado e ardente.
Ou a ideia
da morte mais leve que o coração sem nada
do amor.
Se me perguntam, digo: encontrei
a lua, o sol.
Somente o meu silêncio pensa.
– Se era uma pedra, um sino. Uma vida verdadeira.
Lugar
Guimarães Editores, Lisboa, 1962
Poème précédent en portugais :
Antonio Ramos Rosa : Le bœuf de la patience /O boi da patiência (19/02/2022)
Poème suivantt en portugais :
Fernando Pessoa :Poèmes désassemblés (I) / Poemas Inconjuntos (I) (20/06/2022)