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Le bar à poèmes
5 avril 2022

Herberto Helder (1930 -2015) : Lieu (1) / Lugar (1)

Herberto_Helder[1]

 

Lieu

 

1

Une nuit je trouvai une pierre

pierre, oh pierre !

verte ou bleue, sur le côté, comme morte.

Je trouvai la nuit semblable à une pierre penchée

sur mon corps

pur, de la profondeur d’une cloche.

Je vis en moi une pensée

innocente, une pierre

quand on vient la nuit par son versant

désert.

Ou bien était-ce la cloche d’un silence plus

vaste, à venir, d’un

silence si vaste qu’on ne saurait l’habiter que par gestes.

Je pourrais me hisser sur la pointe

des pieds et rester là à jamais : flamme

que la nuit viendrait nourrir de sa

propre substance ardente. Nuit –

- ce bois pout notre légèreté d’homme. Je trouvai

une chose tombée, mûre peut-être, enterrée

à demi.

Une de ces choses issues de l’immobile, objet

que le sommeil façonne,

où doucement je passais des doigts transis d’effroi.

 

Son ou degré pour mon baiser,

s’élevant de la terre, non comme un arbre

ou une femme

épanouie en son climat de douceur

et d’émoi lancinant. Une chose

venue de racines autrement miraculeuses,

inexprimable par la brève

ténuité des feuillages, ou la chaude acuité de doigts tendus.

Une chose non entièrement désentravée de l’obscurité

d’une vie ensevelie,

non point un gisant par-dessus qui des myriades d’étoiles

rouleraient leurs ailes gelées.

Une chose au cœur d’une existence suspendue entre

l’extase et ce pouvoir obscur

des saisons.

 

                    Je trouvai une pierre pierre

qui n’était pas une colline au temps où mars bat la campagne

Non plus que la bouche maternelle desserrée

sous les fleuves sans rides.

Une chose où appuyer la tête, non

pour mourir, non. Mais qu’on puisse gravir,

et d’où il serait impossible de crier. Une pierre

privée de feuilles, une cloche

privée de pensée. Je trouvai quelque chose qui n’allait pas

par les montagnes, qu’aucune flèche

ne transpercerait. Qui ne saignait pas.

Qu’on ne pouvait entendre si elle chantait. Une chose froide

peut-être,

ou vivant sur la braise des chimères.

 

Elle était verte dans la nuit, quand on vient de loin,

ou bleue, ou bien verte encore par le miracle

qui n’est pas. A moins qu’elle n’eût

cette clarté qu’on voit à certaines fleurs fléchies.

Qu’elle ne fût haute, foulée, décapitée

au milieu du silence où tout est plongé.

En moi je trouvai cette clairière broussailleuse dans la sève,

comme si raisonnait un puits lointain,

ou comme

si, les jours ayant rapproché mon âge

éclatant,

je m’étais tu ou bien avait tourné mon visage béant

à la lumière pour la violence abstraite

de la solitude.

 

                    Je trouvai

une bête dans son sommeil, une fleur fascinée,

une guitare farouchement taciturne.

Jaune seulement si je levais la tête, ou

tellement obscure dans l’expansion de l’enfance.

Je trouvai une pierre verte enfoncée dans notre monde

à tous, au seuil de la candeur,

et que ce bleu de la terre en elle rendait si admirable.

Une chose incomprise à l’instant

où mourir est devant soi.

 

Je trouvai vagues sur vagues roulant contre moi, comme si

j’avais été

un mort parmi des mots.

Champs d’orge inspirés dans le feu cinglant

le dos de mes mains,

campagnes entières chantant leur innocence

presque démente. Et je trouvai enfin le lieu

où reposer ma tête et n’être plus personne

qui se connaisse. Une pierre

pierre sèche, une vie comblée de dons.

Avec des racines de qui divague.

Une pierre insonore comme quelqu’un marche

sur les aliments.

 

J’ai trouvé comme quelqu’un traîne dans la nuit

un symbole ardent et lourd.

                                               Ou l’idée

d’une mort plus légère que le coeur sans rien

de l’amour.

Si l’on m’interroge, je dis : j’ai trouvé

la lune, le soleil.

                            Seul mon silence médite.

 

 - Si c’était une pierre, une cloche. La vraie vie.

 

 

Traduit du portugais par Magali et Max de Carvalho

in, « Anthologie de la poésie portugaise contemporaine 1935 -2000 »

Editions Gallimard (Poésie), 2003

 

Lieu

 

I

Une nuit je trouverai une pierre

oh cette pierre !

verte ou bleue, de côté, comme si elle était morte.

Je trouvai la nuit comme une pierre inclinée

sur mon corps

pur, profond comme une cloche.

Je vis qu’il y avait en moi une pensée

innocente, une pierre

quand on entre dans la nuit du côté où

il y a moins de gens.

Ou c’était une cloche d’un futur

plus grand silence, si

grand silence pour n’être habités qu’en gestes.

 

Là je pourrais me dresser sur la pointe

des pieds et rester pour toujours : flamme

que la nuit viendrait alimenter de sa

matière même qui se brûle. Nuit –

 - bois pour notre légèreté humaine. Je trouvai

une chose tombée, peut-être mûre, un peu

enfoncée dans la terre.

Une chose de ces choses de l’immobilité, objet

exécuté par le sommeil,

où je passais les doigts épouvantés et doux.

 

Son ou marche que j’embrasserais,

s’élevant de la terre, non comme un arbre

ou une femme

déployée dans son atmosphère de douceur

et de douloureuse exaltation. Une chose

montée de racines plus miraculeuses, qui ne s’

exprimait pas avec la brièveté

subtile de feuilles, ou la chaude acuité de doigts éparpillés.

Quelque chose non entièrement élevé de l’obscurité

d’une vie ensevelie,

et non gisant avec par-dessus des milliers d’étoiles qui

rouleraient leurs ailes de glace.

Une chose dans une existence tardive entre

l’extase et la force sombre

des saisons.

 

                     Je trouvai une pierre pierre

qui n’était pas une colline avec le mois de mars alentour.

Ce n’était pas non plus la bouche maternelle ouverte

sous les fleuves lisses.

Une chose pour appuyer la tête, oh non

pour mourir. Pour que quelqu’un monte

et d’où il n’était pas possible de crier. Une pierre

sans feuilles, une cloche

sans pensée. Je trouvai quelque chose qui ne marchait pas

à travers les montagnes et ne serait pas traversé

par une flèche. Et elle ne saignait pas.

Et on n’entendait pas si elle chantait. Peut-être était-elle froide

ou vivait-elle embrasée au-dessus de l’illusion.

 

Elle était verte dans la nuit quand on vient de loin,

ou bleue, ou verte par le miracle

qui n’existe pas. Ou alors

elle avait la clarté de certaines fleurs qui se courbent.

Ou alors elle était haute, ou écrasée, ou décapitée,

au milieu d’un silence global

Je trouvai en moi cette clairière en désordre dans la sève,

comme si un puits distant résonnait,

ou comme

si les jours s’étaient peu à peu rapprochés de mon âge

triomphant,

et que je me fusse tu et que j’eusse remué le visage ouvert

dans la lumière vers l’abstraite violence

de la solitude.

 

                           Je trouvai

un animal endormi, une fleur hypnotisée,

une guitare férocement tacturne.

Elle était jaune seulement si je levais la tête, ou elle était

si sombre dans la grande enfance.

Je trouvai une verte pierre enchâssée dans le monde

des gens, à l’entrée de la candeur,

si admirable par le bleu de la terre à l’intérieur.

Une chose incomprise à l’instant

de mourir vers l’avant.

 

Je trouvai des vagues et des vagues contre moi, comme si j’étais

un homme mort entre des mots.

Des champs d’orge inspirés par le feu qui frappaient

le dos de mes mains,

des villages entiers chantant leur pureté

presque folle. Je trouvai ensuite le lieu

ou poser la tête et n’être plus personne

qu’on connaisse. Une pierre

pierre sèche, une vie parmi de nombreux dons.

Avec les racines de qui divague.

Une pierre sans bruit comme qui se meut

sur les aliments.

 

Je trouvais comme qui traîne dans la nuit

un symbole lourd et brûlant.

                                                Ou l’idée

de la mort plus légère que le cœur sans rien

de l’amour.

Si on m’interroge, je dis : je trouvai

la lune, le soleil.

                                    Seul mon silence pense.

 

 - Si c’était une pierre, une cloche. Une vie véritable.

 

 

Traduit du portugais par Marie-Claire Vromans

In, Revue « Polyphonies, N°20, hiver 1995 – 1996 »

Editions de la Différence, 1996

Du même auteur :

Source (2,3,6) (05/04/2019)

Elégie multiple (1,3) (05/04/20)

Lettre de la passion / A carta da paixão (05/04/2021)

 

Lugar

1

Uma noite encontrei uma pedraoh pedra pedra!

verde ou azul, de lado, como se estivesse morta.

Encontrei a noite como uma pedra inclinada

sobre o meu corpo

puro, profundo como um sino.

Vi que havia em mim um pensamento

inocente, uma pedra

quando se entra na noite pelo lado onde

há menos gente.

Ou era um sino de um futuro

maior silêncio, tão

grande silêncio para se habitar só em gestos. 

 

Aí eu poderia erguer-me na ponta

dos pés e ficar para sempre: chama

que a noite viesse alimentar com sua

própria matéria que se queima. Noite –

– lenha para nossa leveza humana. Encontrei

uma coisa caída, talvez madura, um pouco

metida pela terra dentro.

Alguma coisa dessas coisas da imobilidade, objecto

executado pelo sono,

onde eu passava os dedos apavorados e doces.

 

Som ou degrau que eu beijaria,

elevando-se da terra, não como uma árvore

ou uma mulher

desenvolvida em sua atmosfera de doçura

e dolorosa exaltação. Alguma coisa

subida de raízes mais milagrosas, que se não

exprimia com a brevidade

subtil de folhas, ou a quente agudeza de dedos espalhados.

Algo não levantado inteiramente da obscuridade

de uma vida sepulta,

e não jacente por sobre o qual milhares de estrelas

rodassem as asas de gelo.

Uma coisa numa existência demorada entre

o êxtase e a força sombria

das estações.

 

 Encontrei uma pedra pedra

que não era uma colina com o mês de março em volta.

Nem, era a boca materna aberta

debaixo dos rios lisos.

Uma coisa para se encostar a cabeça, oh não

para morrer. Para alguém subir

e de onde não era possível gritar. Uma pedra

sem folhas, um sino

sem pensamento. Encontrei algo que não andava

pelos montes nem seria atravessado

por uma flecha. E não sangrava.

Que não se ouvia se cantava. Talvez fosse fria

ou vivesse abrasada sobre a ilusão.

 

Era verde na noite quando se vem de longe,

ou azul, ou verde pelo milagre

que não existe. Ou então

era clara de certas flores que se dobram.

Ou então era alta, ou esmagada, ou degolada,

no meio de um silêncio global.

Encontrei em mim essa clareira desarrumada na seiva,

 como se um poço distante ressoasse,

ou como

se os dias se fossem aproximando da minha idade

triunfante,

e eu me calasse e movesse o rosto aberto

pela luz para a abstracta violência

da solidão.

 

Encontrei

um animal adormecido, uma flor hipnotizada,

uma viola ferozmente taciturna.

Era amarela só se eu levantasse a cabeça, ou era

tão escura na infância grande.

Encontrei uma verde pedra cravada no mundo

das pessoas, à entrada da candura,

tão admirável pelo azul da terra dentro.

Uma coisa incompreendida no instante

de morrer para a frente.

 

Encontrei ondas e ondas contra mim, como se eu fosse

um homem morto entre palavras.

Campos de cevada inspirados no fogo que batiam

nas costas das minhas mãos,

aldeias inteiras cantando sua pureza

quase louca. Encontrei depois o lugar

onde deitar a cabeça e não ser mais ninguém

que se saiba. Uma pedra

pedra seca, uma vida entre muitos dons.

Com as raízes de quem divaga.

Uma pedra sem som como quem se move

sobre os alimentos. 

 

Encontrei como quem arrasta para a noite

um símbolo pesado e ardente.

Ou a ideia

da morte mais leve que o coração sem nada

do amor.

 Se me perguntam, digo: encontrei

a lua, o sol.

Somente o meu silêncio pensa.

– Se era uma pedra, um sino. Uma vida verdadeira.

 

 

Lugar

Guimarães Editores, Lisboa, 1962

Poème précédent en portugais :

Antonio Ramos Rosa : Le bœuf de la patience /O boi da patiência (19/02/2022)

Poème suivantt en portugais :

Fernando Pessoa :Poèmes désassemblés (I) / Poemas Inconjuntos (I) (20/06/2022)

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