Henri Droguet (1944 -) : Pour l’exemple
Pour l’exemple
Un œil se givrerait dans la gerçure des nuages
la mer toussait rauque peu loin
celui qui sait, passant, troussait
la main des brumes et ses voyures
le froid faisait / fera ses manigances
dans le sein des eaux mortes
on devinait l’amen plutôt câlin des choses
la mâchure immobile du temps
le vent qui pleure
le vent qui rit torche sans fin
ni terme la rouille des forêts
Une saison quelconque pue
la parole s’abrège de celui / moi
qui a su l’agonie des soleils
la flanelle des vagues crépusculaires
l’herbe fraîchie
la liberté provisoire des songes
le lai de délaissée des pluies
la terre crue violente
aux féroces petits matins dominicaux
ma parole somme toute équarissoir
Petite âme enfin, petite âme,
la pluie viendra de plus loin et moi
je suis cette main seulement
qui t’a donné leçon de la caresse
la vie sera comme un chant
permanent des mésanges.
2- 15 novembre 1972
*
La belle averse bat la campagne
J’étais aux falaises à fougères
coeur barbelé, coeur vacant
mains nettes, perdues vides,
pèlerin d’insolite voyage
voyeur foulé de bonheurs étrangers
et j’ai laissé se dire un chant hors-venu
les oiseaux se taisaient le vent froissait
la mer et l’herbe à l’ordinaire
Saurez-vous qui je suis ?
Ni belle âme sensible, ni moi ni je
quelqu’un d’autre
dans le rut clandestin des aurores
et l’absence au petit malheur
J’entends la petite musique des nuits crues
et la dégoulinure du ciel, à six heures précises
j’ouvre le sac à maléfices
de la césure solitude
je me raconte des histoires
reviens demain à voile blanche
blanche
blanche...
comme les nuits
les jours qu’on marque, facilement, de pierres noires.
19 novembre 1972
*
et des vents indulgents entonnèrent
sous les haies
dans l’odeur de coiffure et de pêcheries
et de morts encore
morts
et les crachins chuintèrent
rafraîchissant l’ombre
coupante et dans l’ortie d’anciens
préservatifs
à préface d’eau
- perdus les mots et
le sauge des songes –
il y eut
la laryngite des corbeaux
à épuiser un labour neuf
une jument noire et tranquille
il chercha ses mots
consacra le chant des charpentiers
(ils ont la main patiente)
le ressac nul des eaux pleines
apaisées
la toux des tourterelles au fond voisin d’un clos
le cosmétique de l’averse
à l’heure du vent tombé
sur la suie des banlieues et
les pavois périmés des Thulé froiduleuses
il n’osa pas dire je
sa joie, ni les fuligineux
remparts des cités fabuleuses
ces étranges feuilles fermentées
que j’observai purement sur les sables
ni le banc mouillé
où son enfance le troubla.
13-15 septembre 1974
*
Je me tais
l’eau passe sous les arches
je me tais
ici l’on ne fait plus le pain
et toi tu cherches, dis,
nuageux,
le tweed des rivières pérennes
et toi tu cherches, dis,
l’odeur des granges remembrées
la pluie en long
en large en travers
et moi je cherche, dis,
la très ancienne enfance
le chant interminé de l’archipel
et de la mort envisagée
et moi je cherche, dis,
là-bas l’oliveraie
et tu te tais, dis,
tu te tais.
9 – 10 novembre 1974
*
Les pluies jouissaient dans l’herbe dénouée
Le ciel se changeait
et la fougère belle et claire
tu prenais tes repères dans le secret du village
la source vers le nord - fermée –
à l’est les tombeaux
au couchant d’autres sources, et la gare
tu vivais tu savais
vivre
dans les celliers l’odeur de lie ancienne
et dure
le trou de l’âtre.
L’horloge mesurait.
Le soir tu regardais l’unique étoile
sur la citerne vide et sonore
à gauche le mur, inutile, défait,
rien n’avait lieu
que le bonheur
et l’inquiétude des greniers
l’écorchure du vent
la plate lune et les nuages inévitables
la lenteur annulait paisiblement des jours...
janvier- février 1976
*
Le vent ça mange
la mort dodue le reste
ça mangera ton chant
la ville le bonheur et les larmes
le vent ça mange
la mer c’est la patiente
gourmande et chevelue
ça chantonne à l’heure connue
ça revient blanc trop tard
la mer c’est la patiente
le ciel c’est de l’épais
dans l’arbre qui fut sage
c’est de l’oiseau coupé
l’orge et le seigle
où s’occupe un nuage
passant
le ciel ça passe
l’homme
ça jouit.
Puteaux, 27mars 1976
*
Il a dit les mêmes
ce sont comme des dents les murs
les arbres crus
au crépuscule les cieux semblables
et les étoiles
ce sont les chemins immobiles
bientôt. Jamais. Tu ne les prendras
plus.
Marie Etasse a passé 83 années
Derrière le cellier est fermé
tu ne flaireras pas les fûts vacants
les outils périmés dans l’odeur
du soufre, de la lie, des poussières
et du foin moisi
et puis le décombre des haies
toujours croissantes
la carcasse d’acier d’un lit sur la soue
où restait un très ancien parfum de son
les clapiers effondrés
le jardin regagné par l’herbe et la ronçaie lisibles
sur la citerne (devant) l’étoile rognée par les crachins
il a dit tes repaires
Dans le bas-ventre du village
les sapins abattus
et la fraîcheur récupérée de la fontaine
où elles battaient le linge
il y a cinq mille et cinq jours
à peu près
et la chanson des oiseaux étrangers
le même train pourtant là-bas, vers les cinq heures
et le chien fou
dans les joncs
tranchés
Il a dit demain la beauté du pays froid superbe
comme une pluie d’hiver
la claque des vents de jouissance
demain une ferme, un orme
l’église brute d’Omonville
(la Rogue)
et des haies reconnues
- comme ta poche –
(Il a dit demain ta mère crie
qu’elle a perdu
son temps)
la beauté inépuisable des galets
devant le phare et le soleil tombant
au bout du monde.
demain les barbelés
il dit beaucoup pour ne pas dire
sa mort
« Je suis dans les petits papiers du Temps
le merle le savait qui chantait
dans l’aurore. »
Fayence, 12 juillet 1976
*
Les Dieux se levaient tôt
dans la coulisse bleue des collines
le soleil fut
très simplement sur la pénombre
et la fraîcheur des fermes présumées
l’homme lisant s’étonnait
dans la sueur de l’arbre
de l’étrange familiarité de l’herbe
observait patiemment les oiseaux qui feulaient
il rêvait du mot pain
pour toutes les raisons, même les pires
il prononçait
les pierres ont la vie dure.
Fayence, 17 juillet 1976
Chant rapace
In, Revue « Cahier de poésie, 3 »
Editions Gallimard, 1980
Du même auteur :
Sans paroles (12/03/2019)
Salut (12/03/2020)
Bout de monde (12/03/2021)
Gwerz / Amen (12/03/2023)
Scopie 1 / « ...Indéfiniment ma joie... » (11/03/2024)