Allen Ginsberg (1926 – 1997) : L’automobile verte / The green automobile
L’automobile verte
Si j’avais une automobile verte
j’irais trouver mon vieux compagnon
dans sa maison sur l’océan d’Ouest.
Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! Ha !
Je cornerais mon klaxon à sa porte virile,
à l’intérieur sa femme et trois
enfants allongés nus
sur le plancher du living room.
Il sortirait en courant
vers ma voiture pleine de bière héroïque
et criant il sauterait au volant
car il est le meilleur chauffeur.
On irait en pèlerinage vers la plus haute montagne
de nos visions d’antan des Montagnes Rocheuses
riant dans les bras l’un de l’autre
délice surpassant les plus hautes Rocheuses,
et après la vieille agonie, ivres d’ans neufs,
bondissant vers l’horizon enneigé
pétant le tableau de bord de bop original
hot rod sur la montagne
on battrait en brèche la grand-route nuageuse
où des anges d’anxiété
virevoltent entre les arbres
et poussent des cris hors du moteur.
On brûlerait toute la nuit sur le pic des sapins
vu de Denver dans la ténèbre d’été,
éclat surnaturel de la forêt
illuminant la cime :
enfance jeunesse et éternité
s’ouvriraient comme autant d’arbres charmants
dans la nuit d’un autre printemps.
et nous sidéreraient d’amour,
car ensemble nous pouvons voir
la beauté des âmes
cachée comme diamants.
dans l’horloge du monde,
comme les magiciens chinois pouvons
confondre les immortels
avec notre intellectualité
cachée dans le brouillard,
Dans l’Automobile Verte
que j’ai inventée
imaginée et eue en vision
sur les routes du monde
plus réelle que le moteur
sur une piste de désert
plus pure que Greyhound et
plus rapide qu’un avion-jet physique.
Denver ! Denver ! Nous reviendrons
rugissant à travers la pelouse du City & County Building
qui attrape la pure flamme d’émeraude.
dans le sillage de notre auto.
Cette fois-ci on va acheter la ville !
j’ai touché un gros chèque à ma banque crânienne
pour fonder un collège miraculeux du corps
sur le toit du terminus des cars.
Mais d’abord on fera les stations du bas de la ville
salle de billards piaule à clodos jazzclubs taule
bordel au bas de Folsom
juqu’aux plus sombres ruelles de Larimer
présentant nos respects au père de Denver
perdu sur les voies ferrées,
stupeur de vin et silence
sanctifiant le bouge de ses décennies,
saluons-le lui et sa sainte valise
de sombre muscatel, buvons
brisons les douces bouteilles
sur les Diesels par fidélité.
Alors on ira rouler saouls sur les boulevards
où des armées marchent et paradent encore
titubant sous la bannière
invisible de la Réalité -
lancés dans la rue
dans l’auto de notre destin
partageons une cigarette archangélique
nous disant la bonne fortune :
gloires d’illuminations surnaturelles,
blêmes trous de temps pluvieux
le grand art appris dans la désolation
et on se casse après six décades...
et à un croisement de routes d’asphalte,
traiterons l’un l’autre princièrement
gentillesse une fois de plus, souvenir
des fameux discours morts d’autres villes.
Le pare-brise est couvert de larmes,
la pluie mouille nos poitrines nues,
on s’agenouille ensemble dans l’ombre,
au milieu du trafic d’une nuit au paradis
Et maintenant renouons le vœu solitaire
que nous nous sommes faits l’un à l’autre
au Texas, une fois :
que je ne puis inscrire ici...
...................................
...................................
Combien de samedis soirs seront rendus
ivres par cette légende ?
Comment jeune Denver prendra-t-elle le deuil
de son ange sexuel oublié ?
Combien de jeunes garçons frapperont le piano noir
en imitation des excès d’un saint local ?
Ou de jeunes filles se perdront sous son spectre dans
leurs hautes études de nuit mélancolique ?
Tout ce temps en Eternité
à la lumière pâlotte de la radio de ce poème
on sera assis derrière les ombres oubliées
oyant le jazz perdu de tous les samedis.
Neal, nous serons de vrais héros maintenant
à la guerre de nos bites et du temps :
soyons les anges du désir du monde
embarquons le monde au lit avant de mourir.
Couchant seul, ou avec son compagnon,
fille ou folle mouton ou rêve
j’échouerai par manque d’amour, toi, de satiété :
tous les hommes tombent, nos pères tombent avant,
Mais la résurrection de cette chair perdue
n’est qu’un moment du travail d’esprit :
un monument sans âge à l’amour
en imagination :
monument construit de nos corps
consumés par le poème invisible -
Nous frissonnerons en Denver et endurerons
même si sang et rides aveuglent nos yeux.
Donc cette automobile verte
je t’offre n vol
un cadeau, un cadeau
de mon imagination.
Nous irons rouler
dans les Rocheuses
nous roulerons
toute la nuit jusqu’à l’aube,
puis retour à ton chemin de fer, la SP
ta maison et tes enfants
et destinée jambe cassée
tu descendras dans les plaines
au matin : et retour
à mes visions, mon bureau
mon appartement dans l’Est
je rentre à New York
NY 1953
(Poèmes de jeunesse)
Traduit de l’anglais par Robert Cordier et Jean-Jacques Lebel
In, Allen Ginsberg : « Howl and other poems»
Christian Bourgois éditeur, 2005
Du même auteur :
Kaddish I (25/10/2016)
Howl (25/10/2017)
Tournesol soutra / Sunflower sutra (25/10/2018)
Transcription de musique d’orgue / Transcription of organ music (25/10/2019)
Song (25/10/2020)
Ode à l’échec / Ode to failure (25/10/2022)
Kaddish II (1) (25/10/2023)
Kaddish II (2) (25/10/2024)
The green automobile
If I had a Green Automobile
I'd go find my old companion
in his house on the Western ocean.
Ha! Ha! Ha! Ha! Ha!
I'd honk my horn at his manly gate,
inside his wife and three
children sprawl naked
on the living room floor.
He'd come running out
to my car full of heroic beer
and jump screaming at the wheel
for he is the greater driver.
We'd pilgrimage to the highest mount
of our earlier Rocky Mountain visions
laughing in each others arms,
delight surpassing the highest Rockies,
and after old agony, drunk with new years,
bounding toward the snowy horizon
blasting the dashboard with original bop
hot rod on the mountain
we'd batter up the cloudy highway
where angels of anxiety
careen through the trees
and scream out of the engine.
We'd burn all night on the jackpine peak
seen from Denver in the summer dark,
forestlike unnatural radiance
illuminating the mountaintop:
childhood youthtime age & eternity
would open like sweet trees
in the nights of another spring
and dumbfound us with love,
for we can see together
the beauty of souls
hidden like diamonds
in the clock of the world,
like Chinese magicians can
confound the immortals
with our intellectuality
hidden in the mist,
in the Green Automobile
which I have invented
imagined and visioned
on the roads of the world
more real than the engine
on a track in the desert
purer than Greyhound and
swifter than physical jetplane.
Denver! Denver! we'll return
roaring across the City & County Building lawn
which catches the pure emerald flame
streaming in the wake of our auto.
This time we'll buy up the city!
I cashed a great check in my skull bank
to found a miraculous college of the body
up on the bus terminal roof.
But first we'll drive the stations of downtown,
poolhall flophouse jazzjoint jail
whorehouse down Folsom
to the darkest alleys of Larimer
paying respects to Denver's father
lost on the railroad tracks,
stupor of wine and silence
hallowing the slum of his decades,
salute him and his saintly suitcase
of dark muscatel, drink
and smash the sweet bottles
on Diesels in allegiance.
Then we go driving drunk on boulevards
where armies march and still parade
staggering under the invisible
banner of Reality —
hurtling through the street
in the auto of our fate
we share an archangelic cigarette
and tell each others' fortunes:
fames of supernatural illumination,
bleak rainy gaps of time,
great art learned in desolation
and we beat apart after six decades... .
and on an asphalt crossroad,
deal with each other in princely
gentleness once more, recalling
famous dead talks of other cities.
The windshield's full of tears,
rain wets our naked breasts,
we kneel together in the shade
amid the traffic of night in paradise
and now renew the solitary vow
we made each other take
in Texas, once:
I can't inscribe here... .
...................................
...................................
How many Saturday nights will be
made drunken by this legend?
How will young Denver come to mourn
her forgotten sexual angel?
How many boys will strike the black piano
in imitation of the excess of a native saint?
Or girls fall wanton under his spectre in the high
schools of melancholy night?
While all the time in Eternity
in the wan light of this poem's radio
we'll sit behind forgotten shades
hearkening the lost jazz of all Saturdays.
Neal, we'll be real heroes now
in a war between our cocks and time:
let's be the angels of the world's desire
and take the world to bed with us before we die.
Sleeping alone, or with companion,
girl or fairy sheep or dream,
I'll fail of lacklove, you, satiety:
all men fall, our fathers fell before,
but resurrecting that lost flesh
is but a moment's work of mind:
an ageless monument to love
in the imagination :
memorial built out of our own bodies
consumed by the invisible poem —
We'll shudder in Denver and endure
though blood and wrinkles blind our eyes.
So this Green Automobile :
I give you in flight
a present, a present
from my imagination.
We will go riding
over the Rockies,
we'll go on riding
all night long until dawn,
then back to your railroad, the SP
your house and your children
Aand broken leg destiny
you'll ride down the plains
in the morning : and back
to my visions, my office
and eastern apartment
I'll return to New York.
NY 1953
(Earlier Poems)
Howl and other poems
City Lights Booksellers & Publishers, San Fransisco, 1956
Poème précédent en anglais :
Leanne O’Sullivan (1983 -) : Naissance / Birth (10/10/2021)
Poème suivant en anglais :
David Gascoyne : Amor Fati (03/11/2021)