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Le bar à poèmes
26 octobre 2021

Pierre Unik (1910 – 1945) : L’oubli

thumb_large[1]Photo de Pierre Unik par Man Ray, vers 1930 .Négatif au gélatino bromure d'argent sur verre. Centre Pompidou, Paris

 

L’oubli

 

A l’heure où les pavés deviennent d’obscures vitres

foulées par le pas laiteux des libellules à corps de louves

où les grandes allées de platanes de l’inanition surgissant du vide

conduisent les battements du cœur vers les perspectives de marbre des places

     angoissantes

l’homme se retourne vers les portes des boutiques diurnes

et jette un regard affolé

où la tristesse dessine une nervure rougeâtre

vers les vêtements démodés de la vie

Comme un rire

les grilles se ferment sur l’eau matérielle

les traces chaudes  des buées familières se décolorent

est-ce que l’homme regrette les méduses du jour

va-t-il se diluer dans le soulèvement rauque des laves glaciales

le jour battant n’est plus qu’une cloche de pollen

qui s’effondre au souffle de la femme

et s’écrase sous le poids de sa tête sauvage

quand passent chargés de ruines les trains du déjà

Aux grilles

homme

est-ce que tu regrettes les méduses

arrache les vantaux

tords les vitres

ton regret n’est plus qu’un feu follet de cloche

et la bouche de la femme le broie dans un cri

vois

les œillets brûlent comme des ficelles sèches

lacère troue arrache

les épaves aux couleurs d’eau vive

dans leur lit brodé de sang

piétine

les adorables convulsions des fins de matinée

prends les morceaux de grille en feu

comme une massue de rouvre

pour pulvériser les veloutés débris d’épaves

arrache la vie avec ce qui adhère encore à la vie

les perspectives de marbre reviennent sur elles-mêmes

Là-bas

sur toi

sur les paupières de la femme

sur l’espace de rêve entre le cerne et l’aile du nez

la nuit se lève comme une enfant

qui peut voir le jour se lever

L’homme se retournera

pour regarder les vitrines saccagées

et la nuit très pure rougeoyer du sang utilement répandu.

 

In, revue « Le surréalisme au service de la Révolution. N° 5, 15 mai 1933 »

Edition des Cahiers Libres, 1933

Du même auteur :

Les égaux (26/10/2018)

La société sans hommes (26/10/2019)

Appel (26/10/2020)

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