Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
25 octobre 2024

Allen Ginsberg (1926 – 1997) : Kaddish II (2)

 

II

 

..............................................................

     Grâce à Elanor elle travaillait au Cercle Prolétarien, elle s’en sortit, faisant

des enveloppes – elle achetait la soupe de tomate Campbell – économisant

l’argent que Louis lui expédiait -

     Plus tard elle se fit un ami, c’était un docteur – le Docteur Isaac qui

travaillait pour le Syndicat National Maritime – maintenant Italien chauve,

vieille poupée grassouillette – lui-même orphelin – mais ils l’ont foutu à la

porte – Vieilles cruautés –

     Plus cradoque, affalée sur un lit ou sur une chaise, rêvassant, en corset –

« j’ai chaud – Je grossis – J’avais une si belle ligne avant d’aller à l’hôpital –

Tu aurais dû me voir à Woodbine » - Ceci dit dans une chambre meublée près

du Hall du N.M.U. en 1943.

     Regardant les photos de bébés nus dans le magazine – publicités pour le

talc, aliments premier âge, carottes agneau – « Je ne penserai que de belles

choses. »

     A la fenêtre en été, sa tête dodelinante, hypnotisée, son rêve roucoulant de

souvenirs –

     « Je touche sa joue, il touche mes lèvres ave ses doigts, j’ai de belles

pensées, je touche sa joue, le bébé a de belles mains. » -

     Ou un truc-Non de tout son corps, dégoût – évocation de Buchenwald – un

flot d’Insuline circule dans sa tête – une grimace, un spasme nerveux à

l’Involontaire (le spasme lorsque je pisse) – mauvais chimie dans son cortex –

« On ne pense pas à cela. C’est un rat. »

     Naomi : « Et quand nous mourons nous devenons oignon, chou, carotte,

courgette, légume. » Je viens dans la basse ville, de Columbia, et je suis

d’accord. Elle lit la Bible, a de belles pensées toute la journée.

     « Hier, j’ai vu Dieu. Comment était-il ? Eh bien dans l’après-midi j’ai

grimpé sur une échelle – il y a une cabane miteuse à la campagne, comme

Monroe, N.Y., des élevages de poulets dans les bois. C’est un vieillard solitaire

avec une barbe blanche.

     « Pour lui j’ai préparé le souper. Un bon souper – Soupe de lentilles,

légumes, pain & beurre – miltz – il s’est assis et a mangé, il était triste.

     « Je lui ai dit. Regarde toute cette bagarre, toutes ces tueries en bas, Qu’y a-

t-il ? Pourquoi ne les arrêtes-tu pas ?

     « J’essaie, dit-il – C’est tout ce qu’il pouvait faire, il avait l’air épuisé. Il a

été célibataire si longtemps, et il aime la soupe aux lentilles. »

     Entre-temps me servant un plat de poisson froid – choux crus hachés

dégoulinant de l’eau du robinet – tomates puantes – nourriture style La Vie

Claire vieille d’une semaine – betteraves et carottes râpées baignant dans le

suint tiède – De plus en plus de graille – Je ne peux rien manger, nausée

quelquefois – la Charité de ses mains puantes de Manhattan, folie, ou désir de

me plaire, poisson froid, mal cuit – rouge pâle près des arâtes. Ses odeurs – et

souvent nue dans la chambre je regarde ailleurs, je feuillette un livre,

l’ignorant.

     Une fois j’ai pensé qu’elle voulait que je la baise – elle flirtait avec elle -

même devant l’évier – couchée sur l’énorme lit qui occupait presque toute la

pièce, robe levée autour des hanches, grande fendasse poilue, cicatrices

d’opération, pancréas, blessures ventrales, avortements, appendice, points de

suture étirant les bourrelets comme d’épaisses fermetures-éclairs hideuses –

longues lèvres loqueteuses entre les jambes – Quoi, même l’odeur d’un cul ?  

J’avais froid – plus tard un peu écoeuré, mais pas trop – semblait peut-être une

bonne idée d’essayer – connaître le Monstre du Commencement de la Matrice

- Peut-être – de cette façon. S’en ferait-elle ? Elle a besoin d’un amant.

     Yisborach, v’yistabach, v’yispoar, v’yisroman, v’yisnaseh, v’yishador,

v’yishalleh, v’yishallol, sh’meh, d’kudsho, b’rich hu.

     Et Louis se réinstallant à Paterson dans un taudis du quartier nègre – vivant

dans des chambres noires – mais ayant trouvé une fille qu’il épousa plus tard,

encore amoureux – séché et timide – pendant 20 ans blessé par le fol idéalisme

de Naomi.

     Longtemps après je suis revenu de New York, il est seul assis dans la

chambre à coucher devant son bureau se retourna et me vit – et pleura yeux

rougis derrière ses lunettes –

     Que nous l’ayons quitté – Gene bizarrement dans parti l’armée - elle toute

seule à New York, presque infantile, dans son garni., Alors Louis descendait en

ville prendre son courrier à la poste et enseigner au lycée – restait devant son

bureau de poésie, misérable – mangeant le chagrin à Bickford toutes ces

années – sont parties.

     Eugène démobilisé est revenu transformé et seul – s’est arrangé le nez dans

une opération juive - il arrêtait les filles dans Broadway pour une tasse de café

et pour mieux se faire foutre – Est allé à l’Université de N.Y., très sérieux, pour

finir son Droit –

     Et Gene a vécu avec elle, mangeant son pâté de poisson nu, bon marché, de

plus en plus folle – Il maigrissait, ou se sentait impuissant, Naomi prenait des

poses de 1920 et faisait des références à la lune, à moitié nue dans lit à côté,

     rongeait ses ongles  et étudiait – était l’infirmier-fils insolite – L’année

suivante il déménagea près de Columbia – bien qu’elle désirât vivre près de ses

enfants –

     « Ecoute je t’en supplie je suis ta mère » - Louis lui envoyait toujours ses

chèques – Et moi dans une maison de dingues cette année-là, pendant 8 mois –

mes propres visions absentes de cette Lamentation –

     Mais est devenue à moitié folle – Hitler dans sa chambre, elle voyait sa

moustache dans l’évier – peur du Docteur Isaac, le soupçonnant d’être un

membre du Complot de Newark – Est allée dans le Bronx vivre près du Cœur

Rhumatisant d’Elanor –

     Et l’Oncle Max ne se levait jamais avant midi, Naomi dès 6 heures du matin

écoutait la radio pour déjouer les espions – ou fouillait la fenêtre,

     car dans le terrain vague rampait un vieillard avec son sac qui bourrait son

manteau noir pendeloquant de paquets d’ordure.

     Edie la sœur de Max travaille – 17 ans employée aux écritures à Gimbels –

vivait en bas, divorcée – Edie prit Naomi chez elle Avenue Rochambeau –

     Woodlawn  Cemetery de l’autre côté de la rue, grande vallée de tombeaux

où Poe – Tête de ligne du Bronx – Beaucoup de communistes dans ce quartier.

     Qui s’est inscrite aux cours du soir de peinture au Lycée Adulte du Bronx –

marchant seule sous le Van Cortland Metro Aérien pour se rendre en classe –

elle peignait des Naomismes –

     Des être humains assis dans l’herbe dans un Camp Sans Souci, étés de jadis

- Des saints aux figures flasques sortis de l’hôpital, en pantalons qui depuis

longtemps leur vont mal –

     Des mariées devant le Lower East Side avec des petits mariés – des Trains

Aériens perdus roulant sur les toitures babyloniennes du Bronx –

     Peintures tristes – mais elle s’exprimait. Sa mandoline partie toutes les

cordes cassées dans sa tête, elle essayait. Vers la Beauté ? quelques Vieux

Messages de la vie ?

     Commença à donner des coups de pieds à Elanor, et Elanor était cardiaque –

monta les escaliers pour la questionner sur l’Espionnite, pendant des heures –

Elanor à bout de nerfs, Max dans son bureau faisait des comptes pour les

magasins de cigares, tard dans la nuit.

     « Je suis une grande dame – suis une vraie belle âme – et à cause de cela ils

(Hitler, Grand-Mère, Hearst, les Capitalistes, Franco, Le Daily News, les

Années20, Mussolini, les morts-vivants) veulent m’enfermer. – Buba est à la

tête d’un réseau-araignées. » -

     Donnant des coups de pied aux filles, Elanor & Edie – réveilla Edie à minuit

pour lui dire qu’elle était une espionne, Elanor un rat. Edie travaillait toute la

journée et ne pouvait supporter cela – Elle organisait le Syndicat. – Et Elanor

commençait à se mourir, en haut, au lit.

     Les parents me téléphonent., elle est au plus mal – j’étais le seul qui restait –

Ai pris le Métro avec Eugène pour la voir, nous mangeâmes du vieux poisson –

     « Ma sœur chuchote à la radio – Louis doit être dans l’appartement – sa

mère lui dit quoi dire – MENTEURS ! – j’ai fait la cuisine pour mes deux

enfants – J’ai joué de la mandoline » -

     Hier soir le rossignol me réveilla / hier soir tout était calme / il chantait dans

le clair de lune doré / de la colline hivernale. Elle l’a fait.

     Je l’ai poussée contre la porte et j’ai crié « NE DONNE PLUS DE COUPS

DE PIED A ELANOR ! » - elle me dévisagea – Mépris – meurs – ne croyait

pas que ses fils étaient si naïfs, si bêtes – Elanor est la pire espionne ! Elle

reçoit des ordres ! »

     « - Il n’y a pas de micros dans cette pièce ! » - Je l’engueule – dernier fossé,

et Eugène sur le lit écoutant -  que peut-il faire pour échapper à cette Mama

fatidique – Ca fait des années que tu as quitté Louis – Grand-Mère trop vieille

pour marcher » -

     Alors nous sommes tout à coup vivants – même moi Gene &Naomi dans

cette unique pièce Cousinesque Mythologie – s’invectivant les uns les autres

dans l’Eternité – Moi en jaquette Columbia, elle a moitié déshabillée.

     Je tente de la dissuader cette tête de marbre qui voyait des Radios, Bâtons,

Hitlers – la gamme des Hallucinations – pour de vrai – son seul univers – où

un chemin ne va nulle part – vers le mien – Aucune Amérique, pas même un

monde –

     Comme tous ces hommes vous allez, comme Van Gogh, comme la folle

Hannah, tous identiques – vers le Jugement – Tonnerre, Esprits, Foudre !

     J’ai vu ta tombe ! O étrange Naomi ! La mienne – tombeau dingue – Shema

Y’Israël – je suis Svul Avrum – toi – dans la mort ?

...............................................................................

 

 

Traduit de l'américain par Mary Beach et Claude Pélieu

Christian Bourgois éditeur, 1976

Du même auteur :

Kaddish I (25/10/2016)

Howl (25/10/2017)

Tournesol soutra / Sunflower sutra (25/10/2018)

Transcription de musique d’orgue / Transcription of organ music (25/10/2019)

Song (25/10/2020) 

L’automobile verte / The green automobile (25/10/2021)

Ode à l’échec / Ode to failure (25/10/2022)

Kaddish II (1) (25/10/2023)

 

 

Commentaires
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
107 abonnés