Constance de Salm (1767 – 1845) : « Ô femmes, c’est pour vous... »
Ô femmes, c’est pour vous que j’accorde ma lyre ;
Ô femmes, c’est pour vous qu’en mon brûlant délire,
D’un usage orgueilleux, bravant les vains efforts,
Je laisse enfin ma voix exprimer mes transports.
Assez et trop longtemps la honteuse ignorance
A jusqu’en vos vieux jours prolongé votre enfance ;
Assez et trop longtemps les hommes, égarés,
Ont craint de voir en vous des censeurs éclairés ;
Les temps sont arrivés, la raison vous appelle :
Femmes, réveillez-vous, et soyez dignes d’elle.
Si la nature a fait deux sexes différents,
Elle a changé la forme, et non les éléments.
Même loi, même erreur, même ivresse les guide ;
L’un et l’autre propose, exécute, ou décide ;
Les charges, les pouvoirs entre eux deux divisés,
Par un ordre immuable y restent balancés.
Tous deux pensent régner, et tous deux obéissent ;
Ensemble ils sont heureux, séparés ils languissent ;
Tour à tour l’un de l’autre enfin guide et soutien,
Même en se donnant tout ils ne se doivent rien.
L’homme injuste pourtant, oubliant sa faiblesse,
Outrageant à la fois l’amour et la sagesse,
L’homme injuste, jaloux de tout assujettir,
Sous la loi du plus fort prétend nous asservir ;
Il feint, dans sa compagne et sa consolatrice,
De ne voir qu’un objet créé pour son caprice ;
Il trouve dans nos bras le bonheur qui le fuit :
Son orgueil s’en étonne, et son front en rougit.
Esclave révolté des lois de la nature,
Il ne peut, il est vrai, consommer son injure ;
Mais que, par les mépris dont il veut nous couvrir,
Il nous vend cher les droits qu’il ne peut nous ravir !
Nos talents, nos vertus, nos grâces séduisantes,
Deviennent à ses yeux des armes dégradantes,
Dont nous devons chercher à nous faire un appui,
Pour mériter l’honneur d’arriver jusqu’à lui ;
Il étouffe en nos cœurs le germe de la gloire ;
Il nous fait une loi de craindre la victoire ;
Pour exercer en paix un empire absolu,
Il fait de la douceur notre seule vertu…
Qu’ai-je dit, la douceur ? Ah, nos âmes sensibles
Ne lui refusent pas ces triomphes paisibles ;
Mais ce n’est pas assez pour son esprit jaloux :
C’est la soumission qu’il exige de nous…
Ingrat ! Méconnais-tu la sagesse profonde
Qui dirige en secret tous les êtres du monde ?
Méconnais-tu la main qui traça dans ton cœur
De ton amour pour nous le principe vengeur ?
Voyons-nous dans nos bois, nos vallons, nos montagnes,
Les lions furieux outrager leurs compagnes ?
Voyons-nous, dans les airs, l’aigle dominateur
De l’aigle qu’il chérit réprimer la grandeur ?
Non ; tous suivent en paix l’instinct de la nature :
L’homme seul est tyran, l’homme seul est parjure.
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Epitre aux femmes, par Constance D. T. Pipelet
Chez Desenne, libraire, 1797