Ibrahim Jabra Jabra (1919 – 1994) / جَبرا إبراهيم جَبرا : Murailles
Murailles
Au-dessous des murailles
D’autres murailles
Et puis, plus bas, d’autres murailles encore.
Ur et Jéricho, Ninive et Nemrod
Sur les ruines où s’évanouirent
Les derniers soupirs des amants
Et les grincements des dents
Des esclaves dénudés
Des collines que hantent fourmis et grillons
Verdissent au printemps
Le berger vient s’y réfugier à l’ombre,
Livrant son corps moitié nu
A la fraîche rosée du matin :
Il foule une tête
Devant laquelle des millions de genoux ont fléchi
Et que parfumèrent les mains des belles.
Malheur, O malheur,
Cache les lamentations de ton cœur en chantant
Ton fils est descendu dans la vallée
Parcourir les ruines
Où de belles, drapées de poussière
Marchent sur des murailles
Qui cachent d’autres murailles
O nuit, O malheur, les chanteurs ont disparu
Derrière les collines qui hantent fourmis et grillons
Et les Rois de marbre attendent sans espoir,
Et le crottin des mules couvre
L’histoire des géants,
Et le souvenir des conquérants, et l’effusion du sang.
Ur et Nemrod, et les prostituées sacrées,
Dans les temples de Babel et de Byblos
Offrent leurs corps aux étrangers
Pour que fleurissent les collines
(sur les enceintes des villes)
Pour que les épis d’or et les coquelicots tremblent
Sous la dent du corbeau et du milan
Les lèvres des vierges et des adolescentes ont soif.
(Cache ta faim, cache là)
La nuit sera longue sur les murailles,
Au-dessous d’elles d’autres murailles,
Et plus bas, d’autres murailles encore.
Traduit de l’arabe par Simon Jargy
In, Revue « Vagabondages, N°13, Juin 1981 »
Association Paris-Poète,1981