Josée Lapeyrère (1944 – 2007) : L’autre – Entre là et ici
L’autre – Entre là et ici
(1972)
à Joaquin Pacheco
Un soleil de justice
juste aujourd’hui
au monde seul et seule et tous
et l’on dit sans savoir que
c’est ainsi
soit-il lui autre pour
donner cela non le dissoudre
lui pour l’espace
(ainsi on avance aux dépens des maisons)
œil s’ouvre au prix de
se révolte s’arrache fait deuil de
quelques voiles laisse derrière
malles dans les greniers valises
dans les hôtels meublés
(mais
se souvient lesquels l’obscure lumière
de la sieste un enlisement moite
et aucune envie de sortir)
puis mais emporte un deux trois livres
la chaleur échangée sur le corps
la trace impressions dans la peau
formes du corps donnèrent forme au corps
identité au mot
voyage là ou la mort présente et
clarté
l’horizon unanime
plus de fête
et de ses lumières la croyance en lambeaux n’en
veut plus retenir que le clignotement immuable de l’étoile
polaire épars sur le voyage
la clairvoyance ne serait plus publique elle se souvient
de son enlisement d’alors mais elle est désespoir dont la
violence à dénuder se souvient des mots sa place
plus de fête
mais la reconnaissance et le partage d’un beau visage
jamais vu jamais à voir
douloureusement le regard s’entrevoit en se dépassant
ils aiment par ce qu’ils voient n’être que dans l’absence
le plus proche est celui qui sut regarder ailleurs
et la fête qui vit d’être seulement l’horizon laisse à
contempler l’abîme où vient naître le mot
l’approche mue
la peur fait halte considère la distance
les traces d’un délit le corps de
ce désir ce qui revient de là
où l’autre
et la douleur en fraude
(les obstacles déposés par la main aveugle
aussi)
l’histoire fiat des plis qui se frôlent
tremblements – comme à la terre
quand s’ouvre à nouveau
un vide s’enfante en souvenir
de qui
des cris s’absentent
les préparatifs du voyage
vers l’autre
ce qui ordonne hier à
demain
les lèvres notre blessure
nue bordée par
les mots bulles
avant d’éclater blessés
déjà
ont accroché la lumière
traces de ce passage
sur l’autre reflets
de son pouvoir
ainsi le dialogue
parfois les mots se terrent
ni buée ni halo
le silence s’emplit naît de
ce qu’il retient
du doigt montre le temps
(l’ange passe mais ne s’arrête pas)
la fidélité aux aguets
on retient sa respiration pour
ne pas priver l’écoute de
ce que croise le silence
muette la bouche manifeste
un secret plus sa frontière
et
l’absence du traître
pour quelque temps
se taire ainsi
à la limite de la peau
le silence témoigne de
ce qui ne sera
si
quand au secret
il a pour lui pour être une paume frontière
clos comme un œuf intact
se laisse voir en ses limites seules
les contours de l’envers ce qui
sera parce que là-bas
(et l’astrologue en cartes en a peur)
à déclarer ses taies l’œil
non serein se rouvre se reconnaît
et se serre la main
la séparation
seul et silence
quelque part se tait pour
là où s’écoute le malentendu
c’est
la place de l’adieu
ce que n’emporte pas le temps
retenue au-dessus du flot
la marque de
ce qui s’en va
comme un point à
la ligne ouvre à
l’autre aussi
une rencontre différée
dont un seul à la fois
connaît le lieu
de l’autre qui ne sait
peut-être pas
L’autre
à s’emparer de ses seuls murs
on y dépose
ce qui ne sera pas
à notre insu
à ne pas voir ce qui est
là
seul un corps inexiste
exilé du regard
tant peuplé d’étrangers
qui n’ont pu y entrer
(ainsi le mort les yeux couverts
seule la peau se donne
la paupière emmure
ce qui est parti
où )
mais Ulysse revenant
nu
non repérable si ce n’est en
sa seule présence
hors des habits et masques dont
l’avait revêtu l’absence
La limite des mots
après la bouche l’oreille
autre
(le désir agit mais cherche les mots
à niveau)
la parole porte le souvenir
de plénitude et le danger
mêlés
(il n’y a pas de simultanéité
les mots avancent avec le temps
et comptent sur un autre
parfois
en résonance)
à dire
on se présent au risque
(ainsi on dénature entre
bouche et oreille)
entendre
savoir ce qui engage
nous lie
ils se séparent présence absoute
pour enfin se parler de l’espace
ce qui est non paru jusque-là
le regard
loin
comme hors frontière vraiment là-bas
mais plus proche de que jamais
nus
un impossible à voir tel
(il ressemble à un visage que je ne connais pas)
à posséder leurs propres territoires
ils ne seront jamais plus près
le centre à partit d’où accueille et va
le lieu qui ne cesse de (
faire le vide un espace pour )
couper autour des mots
fantômes qui ne rendent gorge
car aucun ne suffirait pour explorer
ce qui se contredit
un soir quelqu’un une heure
arrache à la faim ouvre aux flancs
éclate les ramifications de la phrase
offre les silences
(les chemins ne mènent nulle part
détournent l’ombre au-delà de la peau)
et sous la lumière blanche la retenue ce désert
qui déclare que l’horizon est né et
change et le mot
sentir ce qui fait creux menant là où
l’œil se quitte sous le soleil droit
avec lequel il lutte ni l’un ni l’autre
pour gagner mais donner champ à
ce qui se contredit ensemble
à l’aube
l’évidence de la fidélité
contre les feux étagés du ciel
les arbres brûlent
Là est ici
In, « Cahiers de poésie, 2 »
Editions Gallimard, 1976
De la même autrice :
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