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Le bar à poèmes
18 juin 2021

Ronald Stuart Thomas (1913 – 2000) : Un paysan / A Peasant

ronald-stuart-thomas[1]

 

Un paysan

 

Son nom Iago Prytherch mais, convenons-en, rien

Qu’un homme ordinaire des montagnes pelées de Galles

Qui pousse quelques moutons dans une brèche de nuages.

Arracher les betteraves en prenant soin de détacher

De l’os jaune la peau verte, un sourire idiot

De satisfaction sur les lèvres, barater la terre brute

Et la changer en une mer empesée de nuages scintillant

Dans le vent : ainsi passe-t-il ses jours, sa joie postillonnante

Plus rare que le soleil qui lézarde les joues

Du ciel décharné une fois par semaine peut-être.

Et quand vient la nuit voyez-le vissé à sa chaise,

Immobile, sauf quand il se penche pour cracher dans le feu.

La vacuité de son esprit a de quoi effrayer,

Le naturel, l’âpreté des ses habits rancis par des années

De sueur et de commerce avec les bêtes

De quoi heurter les âmes sensibles les mieux disposées.

Pourtant voilà notre prototype qui, saison après saison,

Face au siège de la pluie et aux assauts du vent,

Défend son troupeau, forteresse imprenable

Que même la mort dans sa confusion ne saurait renverser.

Aussi souvenez-vous, car des guerres, lui aussi en a remporté,

Lui qui tient bon tel un arbre sous le curieux ciel étoilé.

 

Traduit de l’anglais par Jean-Yves Le Disez

In, R.S. Thomas : « Qui ? »

Editions Les Hauts-Fonds, 29200 Brest

 

Paysan

Iago Prytherch il s’appelle, bien qu’il soit, sauf votre respect,

Juste un homme ordinaire des collines nues de Galles,

Qui parque une poignée de moutons dans une trouée de nuage ;

Qui étête les raves, et de petits coups secs sépare la peau verte

Des os jaunes avec un rictus idiot

De satisfaction, ou qui laboure la terre brute

En une mer raide de mottes qui étincellent dans le vent -

Ainsi s’écoulent ses jours, son allégresse parsemée de crachats,

Plus rare que le soleil qui gerce les joues

Du ciel décharné, une fois par semaine peut-être.

Puis, la nuit tombée, le voilà cloué sur sa chaise,

Immobile sauf quand il se penche pour mollarder dans le feu.

Il y a quelque chose d’effrayant dans le vide de son esprit.

Ses vêtements, aigres de tant d’années de sueur

Et de contact animal, heurtent les sens raffinés

Mais affectés, avec leur naturel cru.

Voilà pourtant votre prototype qui, saison après saison,

Contre le siège de la pluie et l’usure du vent,

Préserve son cheptel, forteresse imprenable,

Inattaquable, même dans la confusion de la mort.

Ne l’oubliez donc pas, car il est lui aussi, un guerrier conquérant,

Qui perdure comme un arbre sous les astres curieux.

 

Traduit de l’anglais par G.Morgan et Paul Bensimon

In, « Anthologie bilingue de la poésie anglaise »

Editions Gallimard, (La Pléiade), 2005

Du même auteur :

Dans les collines galloises / The welsh hill country (18/06/2020)

Mort d’un paysan / Death of a Peasant (14/06/2022)

Quatre-vingt dixième anniversaire / Ninetieth Birthday (14/06/2023)

Ce qu’on voit par la fenêtre / The View from the window (14/06/2024)

 

 

 

A Peasant

 

Iago Prytherch his name, though, be it allowed,

Just an ordinary man of the bald Welsh hills,

Who pens a few sheep in a gap of cloud.

Docking mangels, chipping the green skin

From the yellow bones with a half-witted grin

Of satisfaction, or churning the crude earth

To a stiff sea of clods that glint in the wind -

So are his days spent, his spittled mirth

Rarer than the sun that cracks the cheeks

Of the gaunt sky perhaps once in a week.

And then at night see him fixed in his chair

Motionless, except when he leans to gob in the fire.

There is something frightening in the vacancy of his mind.

His clothes, sour with years of sweat

And animal contact, shock the refined,

But affected, sense with their stark naturalness.

Yet this is your prototype, who, season by season

Against siege of rain and the wind’s attrition,

Preserves his stock, an impregnable fortress

Not to be stormed even in death’s confusion.

Remember him, then, for he, too, is a winner of wars,

Enduring like a tree under the curious stars.

Poème précédent en anglais :

David – Herbert Lawrence : Enfant dans la discorde / Discord in childhood (10/06/2021)

Poème suivant en anglais :

Derek Mahon : Epitaphe pour Robert Flaherty / Epitaph for Robert Flaherty (22/06/2021)

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