Ronald Stuart Thomas (1913 – 2000) : Un paysan / A Peasant
Un paysan
Son nom Iago Prytherch mais, convenons-en, rien
Qu’un homme ordinaire des montagnes pelées de Galles
Qui pousse quelques moutons dans une brèche de nuages.
Arracher les betteraves en prenant soin de détacher
De l’os jaune la peau verte, un sourire idiot
De satisfaction sur les lèvres, barater la terre brute
Et la changer en une mer empesée de nuages scintillant
Dans le vent : ainsi passe-t-il ses jours, sa joie postillonnante
Plus rare que le soleil qui lézarde les joues
Du ciel décharné une fois par semaine peut-être.
Et quand vient la nuit voyez-le vissé à sa chaise,
Immobile, sauf quand il se penche pour cracher dans le feu.
La vacuité de son esprit a de quoi effrayer,
Le naturel, l’âpreté des ses habits rancis par des années
De sueur et de commerce avec les bêtes
De quoi heurter les âmes sensibles les mieux disposées.
Pourtant voilà notre prototype qui, saison après saison,
Face au siège de la pluie et aux assauts du vent,
Défend son troupeau, forteresse imprenable
Que même la mort dans sa confusion ne saurait renverser.
Aussi souvenez-vous, car des guerres, lui aussi en a remporté,
Lui qui tient bon tel un arbre sous le curieux ciel étoilé.
Traduit de l’anglais par Jean-Yves Le Disez
In, R.S. Thomas : « Qui ? »
Editions Les Hauts-Fonds, 29200 Brest
Paysan
Iago Prytherch il s’appelle, bien qu’il soit, sauf votre respect,
Juste un homme ordinaire des collines nues de Galles,
Qui parque une poignée de moutons dans une trouée de nuage ;
Qui étête les raves, et de petits coups secs sépare la peau verte
Des os jaunes avec un rictus idiot
De satisfaction, ou qui laboure la terre brute
En une mer raide de mottes qui étincellent dans le vent -
Ainsi s’écoulent ses jours, son allégresse parsemée de crachats,
Plus rare que le soleil qui gerce les joues
Du ciel décharné, une fois par semaine peut-être.
Puis, la nuit tombée, le voilà cloué sur sa chaise,
Immobile sauf quand il se penche pour mollarder dans le feu.
Il y a quelque chose d’effrayant dans le vide de son esprit.
Ses vêtements, aigres de tant d’années de sueur
Et de contact animal, heurtent les sens raffinés
Mais affectés, avec leur naturel cru.
Voilà pourtant votre prototype qui, saison après saison,
Contre le siège de la pluie et l’usure du vent,
Préserve son cheptel, forteresse imprenable,
Inattaquable, même dans la confusion de la mort.
Ne l’oubliez donc pas, car il est lui aussi, un guerrier conquérant,
Qui perdure comme un arbre sous les astres curieux.
Traduit de l’anglais par G.Morgan et Paul Bensimon
In, « Anthologie bilingue de la poésie anglaise »
Editions Gallimard, (La Pléiade), 2005
Du même auteur :
Dans les collines galloises / The welsh hill country (18/06/2020)
Mort d’un paysan / Death of a Peasant (14/06/2022)
Quatre-vingt dixième anniversaire / Ninetieth Birthday (14/06/2023)
Ce qu’on voit par la fenêtre / The View from the window (14/06/2024)
A Peasant
Iago Prytherch his name, though, be it allowed,
Just an ordinary man of the bald Welsh hills,
Who pens a few sheep in a gap of cloud.
Docking mangels, chipping the green skin
From the yellow bones with a half-witted grin
Of satisfaction, or churning the crude earth
To a stiff sea of clods that glint in the wind -
So are his days spent, his spittled mirth
Rarer than the sun that cracks the cheeks
Of the gaunt sky perhaps once in a week.
And then at night see him fixed in his chair
Motionless, except when he leans to gob in the fire.
There is something frightening in the vacancy of his mind.
His clothes, sour with years of sweat
And animal contact, shock the refined,
But affected, sense with their stark naturalness.
Yet this is your prototype, who, season by season
Against siege of rain and the wind’s attrition,
Preserves his stock, an impregnable fortress
Not to be stormed even in death’s confusion.
Remember him, then, for he, too, is a winner of wars,
Enduring like a tree under the curious stars.
Poème précédent en anglais :
David – Herbert Lawrence : Enfant dans la discorde / Discord in childhood (10/06/2021)
Poème suivant en anglais :
Derek Mahon : Epitaphe pour Robert Flaherty / Epitaph for Robert Flaherty (22/06/2021)