Robert Marteau (1925 – 2011) : Là-bas
Là-bas
L’horloge sur des tas de coquilles décalque
Le temps. Le foin bleuit. Nous allons vers la mer
Et soudain il n’y a plus d’arbres mais des bœufs
Qui tirent des chariots de varech sur le sable.
Une bande d’étourneaux s’égrène dans les vignes.
Un cri comme une noix ! Des touffes de méduses
(Leur ventre violet éclate sous le fer)
A la crête du flux font d’énormes rosées
De pleurs et de poisons. La carcasse d’un chien
(Les crabes ont mangé la viande), cage d’os
Ensablée, oscille au rythme de la marée.
O pays de tristesse où la tourbe mûrit,
Tu saignes lentement comme un faisceau d’entrailles,
Ou bien comme un oiseau que le vent a cassé.
La lune des marées se lève sur nos cœurs,
Lèche les peupliers. C’est l’ouest, là-bas, dans l’herbe
Que le vent couche ; et voilà que l’osier en gerbe
Rougit, et le frelon s’enfonce dans la fleur
Du tournesol. On a mis à l’abri les herses.
Le roulage du fumier change la couleur
Des chaumes. Les corbeaux s’emparent des hauteurs.
La dernière alouette encore se renverse
En haut du ciel – (en vain). Les blés deviennent bleus
Dans la pelle du vitrioleur. On voit des feux
De bergères. Flocons, qui ne sont de neige,
Mais bourre le gibier, tortils que désagrège
L’eau, pendent aux buissons. Les feuilles de maïs
Se courbent vers le sol, s’enroulent et pourrissent.
Travaux sur la terre
Editions du Seuil, 1966
Du même auteur :
« Ne fais pas de ta vie un désert… » (27/08/2014)
« C’est ce que j’aime… » (27/08/2015)
« Un arbre éperdument… » (27/08/2016)
Brindilles au ciel (24/01/2018)
« Quelque chose au ras de l’eau... » (01/06/2019)
« J’aime au linge... » (01/06/2020)