Salah Stétié (1929 - 2020) : Dormition de la neige
Dormition de la neige
I
Stèle dormante ombrée de neige
Dans le vent vide où se dévêt le froid
Comme ombre d’homme ombrée de neige
Et couronnée de tous lambeaux du froid
Buée ombrée simplifiée par la neige
Dans ce pays brûlé de soudain froid
Cet homme, et qui sera, viendra mourir
Dans le repli d’une rose de froid
Ayant donné son nom à toute neige
Née de la terre et revenue vers elle
Comme eau nocturne agréée par le cœur
Cet homme ayant à tout sommeil donné
Son corps d’amour et son oubli, un peu
De neige vive apeurée par le froid
Cet homme ayant au vent donné ses membres
Le voici cavalier des nudités
Lui-même et son cheval devenus frères
Buvant tous deux le même lait du vent
Qui est d’astre perdu et lait de pauvre
Si pauvre femme établie dans le songe
Qu’elle est assise et ses deux mains brûlées
D’avoir touché le froid des nudités
Il a enfin enfin touché la neige
Son membre d’homme à la fin dénudé
Et sa mère à genoux le purifie
Puis la voici, sa main devenue songe
Contre son cœur dont l’aorte est un arbre
Cet homme ayant perdu son nom de neige
Il y a dehors sa mère et son cheval
Mais lui s’attarde à s’abreuver d’un lait
Qui est le lait de la plus sombre fille
De la plus nue avec ses étamines
Assise vive et ses linges de sang
Rêvant cela et l’eau sur ses épaules
Faisant briller de ses épaule l’ombre
Il est à sa toilette aidant sa mort
Méditative et qui lui tend un fruit
Il prend deux fruits pour son cheval - il sort
Et nul cheval devant sa porte, mais
Comme un millier soudain d’immenses lyres
La flamme avec la flamme avec la pluie
II
Mais l’absolu l’absolu de la neige
Est une flamme au cheval attachée
Plus pur cheval que tout cheval de terre
Admis à des jardins, à des nuages
Qui sont, nuages, des figures de la vie
Brûlées le soir dans des théâtres d’air
Afin que ne soit plus que la nuit vive
Or le cheval et l’arbre
Portent tous deux le signe qui fulgure
Dans le retrait et la dénudation promise
D’eux rien ne restera mais le plus pur
De l’arbre sera figuré dans l’esprit
Et recouvert nuitamment par les nuages
De fleurs avec leurs fruits qui sont ensemble
Un peu d’éternité devenue jour
Ils sont tous deux de ce côté du jour
Avec l’éternité comme un cheval
Buvant d’un trait l’éternité du jour
Douce et présente inlassablement dans l’arbre
Comme urne déchirée et brûlé vive
Devenue femme et toutefois brûlante
Si installée dans la limpidité
Qu’elle est jardin et tous ses fruits de neige
Comme un jardin de neige et tous ses fruits
Est cette femme allégée par la flamme
Donnant de ses deux mains le don de neige
A la douleur de ce qu’elle est, au froid
Qui brille aigu comme acuité d’étoile
A peine traversée par le nuage
De la pensée à peine réfléchie
Par cette femme endolorie de monde
Elle est sous la nuée d’inconnaissance
Femme et blessure et blessée qui gémit
Comme colombe éblouie par la lenteur
De la brûlure de son être inextinguible
Qui n’est personne et seulement il est
Un peu de mort contre la femme vive
Qui est dormante incendiée d’images
Elle est dormante et seulement elle est
Rapatriée en ce pays de neige
Avec ses longs violons de transparence
Obscurcis par la traversée des nuages
Et ses raisins sont raisins absolus
Son cœur de femme étant colombe faite
Et son visage un peu d’ardente neige
Offert à toute nuit par toute nuit
III
Et son raisin est lavé par la mer
Et relavé et brûlé par l’écume
Comme racine d’eau dans le charbon
Qui est beauté de ce théâtre d’ombre
Elle est cendre légère elle est vivante
Dans la poussière des vivants avec leurs yeux
Sous la douceur qui les fit naître cendre
Théâtre osseux, beau corps de labyrinthe
Eclairé par une lampe de bleuets
Dans le miroir lumineux de la terre
Où brûle un arbre ensoleillé de temps
Et qui se fait violence de colombe
Au-dessus de l’amour dont le visage
Est dans la neige une arme reposée
Beau corps, ô corps enfanté par les arbres
Et si dressé dans la lumière d‘arbre
Que ton visage abandonné implore
De seulement sur lui embraser l’herbe
Pour que la terre vienne après la neige
Et qu’elle brille ensemencée d’un feu
Qui n’aime que le plus ardent, le rouge-gorge
Oiseau perdu sous la nuée d’incandescence
Cernant de sa fragilité les liserons
Qui flambent seuls en amont de la mort
Près d’une lampe enténébrée de jour
Et lente – si lente à brûler dans l’esprit
Que toute pierre lui est signe et présage
Que toute pierre soit ce peu de terre
Sortie de l’eau comme une épaule brille
Avec la femme avec son ventre fille
Sa chair blessée éblouissant l’esprit
Comme une étoile égarée par les fleuves
D’une autre terre ancienne où ceux qui vont
Outre le blé seront criblés de pierres
Comme une étoile égarée par les fleuves
Est cette femme indiquée par l’oiseau
Avec le sang qui coule d’elle et fait
De ce qu’elle est la blessée des roseaux
Obscure pierre et ses cuisses colombes
Très longue flamme étable dans le froid
Pour que les hommes de sang deviennent songe
Elle est ici l’amie du feu, elle a
Une ombre sans poussière avec des main
Et son visage est l’enfant de la neige
Comme une flamme endormie dans la flamme
Elle passe avec son corps ombré de sang
Entre le fleuve et l’autre fleuve – dans
Cela ici qui est mort et maison
IV
Et quelle neige ? Ici, dans la maison
Il n’y a plus que l’idée de la neige
Et l’homme aussi avec son ombre seule
Et le grand fleuve dans sa chambre : il le voit
Briller très loin comme une lampe de théâtre...
L’homme est assis à sa toilette aidant sa mort
Méditative et qui lui tend un fruit
Il prend deux fruits pour son cheval - il sort
Et nul cheval devant sa porte, mais
Comme un millier soudain d’immenses lyres
La flamme avec la flamme avec la pluie
Dormition de la neige
Editions de Vallongues , 83150 Bandol, 1996
Du même auteur :
« Sur le plateau pierreux… » (17/07/2014)
La terre avec l’oubli (05/11/2021)
Longue feuille du cristal d’octobre (09/05/2022)
L’enfant de cendre (05/11/2022)
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