Cesare Pavese (1908 – 1950) : Eté – Eté 1 / Estate – Estate I
Eté
Il est un jardin clair, herbe sèche et lumière,
entouré de murets, qui réchauffe sa terre
doucement. Lumière qui évoque la mer.
Tu respires cette herbe. Tu touches tes cheveux
et tu en fais jaillir le souvenir.
J’ai vu
bien des fruits doux tomber sourdement sur une herbe
familière. Ainsi tressailles-tu toi aussi
quand ton sang se convulse. Ta tête se meut
comme si tout autour un prodige impalpable avait lieu
et c’es toi le prodige. Dans tes yeux,
dans l’ardent souvenir, la saveur est la même.
Tu écoutes
Les mots que tu écoutes t’effleurent à peine.
Il y a sur ton calme visage une pensée limpide
qui suggère à tes épaules la lumière de la mer.
Il y a sur ton visage un silence qui oppresse
le cœur, sourdement, et distille une douleur antique
comme le suc des fruits tombés en ce temps-là.
Traduit de l’italien par Gilles de Van
In, Cesare Pavese : « Travailler fatigue. La mort viendra
et elle aura tes yeux ».
Editions Gallimard, 1969
Eté
Clôturé de murs bats, il est un jardin clair,
D’herbe sèche et lumière, qui mitonne
Sa terre. C’est une clarté au goût de la mer.
Cette herbe, toi, tu la humes, Tu touches tes cheveux
Et tu en secoues un souvenir.
J’ai vu choir
Avec un bruit étouffé, sur un garçon que je connais,
De nombreux fruits qui étaient doux. C’est ainsi
Que tu tressailles, toi aussi, au sursaut de ton sang.
Tu hoches la tête comme si autour de toi
Se produisait un prodige aérien,
Mais le prodige c’est toi. Dans tes yeux
Et dans ton souvenir il y a une pareille saveur.
Tu écoutes.
Les paroles que tu écoutent te touchant à peine,
Sur ton visage calme tu as une pensée claire
Que ta clarté de la mer façonne derrière toi.
Tu as sur le visage un silence qui oppresse le cœur
Avec un bruit sourd, et il en suinte un vieux chagrin
Comme le jus des fruits qui viennent de choir.
Traduit de l’italien par Sicca Vernier
in, « Poètes d’Italie. Anthologie, des origines à nos jours »
Editions de la Table Ronde, 1999
Eté I
La femme aux yeux mi-clos et au corps recueilli
est apparue à nouveau, elle marchait dans la rue.
Regardant fixement, elle a tendu la main
dans la rue immobile. Et tout a resurgi.
Dans la lumière immobile du jour lointain
le souvenir s’est brisé. La femme a relevé
son front simple, et le regard d’alors
est apparu à nouveau. La main s’est tendue vers la main
et l’étreinte angoissée était celle d’alors.
Le regard recueilli et la bouche mi-close
ont redonné aux choses des couleurs de la vie.
L’angoisse a resurgi depuis ces jours lointains
lorsque tout un été immobile, aux couleurs
et aux ferveurs soudaines, naissait sous le regard
de ces yeux tranquilles. L’angoisse a resurgi
que nulle douceur de lèvres décloses
ne peut apaiser. Un ciel immobile
s’instaure froidement dans ces yeux.
Le souvenir était calme
sous la lumière tranquille du temps, docile moribond
dont déjà la fenêtre s’embrume et s’efface.
Le souvenir s’est brisé. L’étreinte angoissée
de la main légère a ravivé les couleurs,
les ferveurs et l’été sous le ciel éclatant.
Mais la bouche mi-close et les regards tranquilles
ne font vivre qu’un silence rigoureux, inhumain.
Traduit de l’italien par Gilles de Van
In, Cesare Pavese : « Travailler fatigue. La mort viendra
et elle aura tes yeux ».
Editions Gallimard, 1969
Du même auteur :
Paysage (18/04/2016)
La terre et la mort (18/04/2017)
La mort viendra et elle aura tes yeux / Verrà la morte e avrà i tuoi occhi (18/04/2018)
Paysage VIII / Paesaggio VIII (18/04/2019)
Femmes passionnées / Donne appassionate (18/04/2020)
L’Etoile du matin / Lo steddazzu (05/10/2021)
Dépaysement / Gente Spaesata (18/04/2022)
Manie de solitude / Mania di solitudine (05/10/2022)
Le paradis sur les toits / Il paradiso sui tetti (18/04/2023)
Estate
C’è un giardino chiaro, fra mura basse,
di erba secca e di luce, che cuoce adagio
la sua terra. È una luce che sa di mare.
Tu respiri quell’erba. Tocchi i capelli
e ne scuoti il ricordo.
Ho veduto cadere
molti frutti, dolci, su un’erba che so,
con un tonfo. Così trasalisci tu pure
al sussulto del sangue. Tu muovi il capo
come intorno accadesse un prodigio d’aria
e il prodigio sei tu. C’è un sapore uguale
nei tuoi occhi e nel caldo ricordo.
Ascolti.
La parole che ascolti ti toccano appena.
Hai nel viso calmo un pensiero chiaro
che ti finge alle spalle la luce del mare.
Hai nel viso un silenzio che preme il cuore
con un tonfo, e ne stilla una pena antica
come il succo dei frutti caduti allor
Lavorare Stanca
Enaudi editore, Turino (Italia),1943
Estate I
È riapparsa la donna dagli occhi socchiusi
e dal corpo raccolto, camminando per strada.
Ha guardato diritto tendendo la mano,
nell’immobile strada. Ogni cosa è riemersa.
Nell’immobile luce del giorno lontano
s’è spezzato il ricordo. La donna ha rialzato
la sua semplice fronte, e lo sguardo d’allora
è riapparso. La mano si è tesa alla mano
e la stretta angosciosa era quella d’allora.
Ogni cosa ha ripreso i colori e la vita
allo sguardo raccolto, alla bocca socchiusa.
È tornata l’angoscia dei giorni lontani
quando tutta un’immobile estate improvvisa
di colori e tepori emergeva, agli sguardi
di quegli occhi sommessi. È tornata l’angoscia
che nessuna dolcezza di labbra dischiuse
può lenire. Un immobile cielo s’accoglie
freddamente, in quegli occhi.
Era calmo il ricordo
alla luce sommessa del tempo, era un docile
moribondo cui già la finestra s’annebbia e scompare.
Si è spezzato il ricordo. La stretta angosciosa
della mano leggera ha riacceso i colori
e l’estate e i tepori sotto il vivido cielo.
Ma la bocca socchiusa e gli sguardi sommessi
non dan vita che a un duro inumano silenzio.
« Poésie del disamore e altre poesie disperse »
Einaudi, Torino, 1951
Poème précédent en italien :
Salvatore Quasimodo : Vent à Tyndaris / Vento a Tindari (15/04/2021)
Poème suivant en italien :
Giuseppe Ungaretti : San Martino Del Carso (13/05/2021)