Monchoachi (1946 -) : Manteg
Manteg
à Daniel Boukman
1
Les jours las
las de secouer leur joug.
Ils ont ôté leur habit de mort et avalé leur soif
avec le sel d’une étoile de mer.
Debout ! L’espoir est ancré dans l’encre de la nuit
telle une langue de feu dans une calebasse.
Debout ! Délaisse les jours pesants
qui traînent
qui triment
jour
après jour.
Sans amour. Dans l’empois.
Poids des jours englués.
Tout était si dur.
Le temps était figé sous un soleil immobile.
La robe mauve des glycines couvre Janvier
d’un fin voile de mélancolie.
Le soleil s’est brisé en mille échardes dans la chair de la terre avant de
reparaître
comme une mer d’or.
Les jours suffoquent dans un habit de chaleur.
Debout ! Nous marcherons sur le sommet des mornes
Nous nagerons au bord d’une mer de rêves. Nous courrons éperdument
dans un bain de sel. Nous brasserons à cent brasses au fond d’un amour de sel.
2
La fleur s’est éclose avant le jour
et dans la clarté toute nue de l’aube
venu d’on ne sait où
mais à cheval sur les épaules des siècles
telle une croix, blotti dans les entrailles de l’homme,
dans son corps, sous sa misère,
- sous ses petites misères –
à la pointe de ses combats, dans toutes ses révoltes
au milieu de son rêve de liberté...
Coup de vague en coup de vague
tel un écueil qui reparait semblable à un innocent,
tel un vol d’oiseaux noirs qui étire son ombre sur la terre,
ou alors comme une mer de jours amers
au bord d’une nuit de flamboyants...
... Une colline de marbre dressée sur un horizon
de sueur et de sang !
Qui me dira de quelle mort ces malheureux
portent le deuil ?
Quelle malédiction les afflige ?
Quel masque, de la sorte, empèse leur visage ?
De joug en joug – dans un jour plus profond
que l’écho des cimetières, dans des pierres
plus épaisses que les jours étrangers –
une seule et même grand-roue folle
qui tourne folle
entourée d’une foule de démons prêts à vous bondir dessus
comme des chiens voraces
Qui sait ?
Car l’homme était à la mesure de l’homme,
même si son regard ne dépassait pas
les frontières de sa vie !
Car le temps ne comptait pas encore le temps
comme un défilé de petites tombes,
comme une procession de petites morts !
C’est l’homme de misère qui est le devenir de l’homme
avec sa couleur de terre brûlée, et dans ses yeux
une désolation infinie.
3
Homme sans âme, homme inhumain,
souche d’arbre sur un tapis de cendres
cadavre de rivière sur son lit de roches rondes
sable en grain ou en sable dans un rêve en béton armé
ravine d’ombres moisies, ravine de sources sèches
jouet d’argile dans une main de plomb
statue de chair dans une cathédrale de soufre
pantin égaré au milieu d’un carnaval de ferraille
maille de temps en chaîne, feuille de temps dans le vent
habit de loi sur les couleurs de l’arc-en-ciel
musique d’araignée sur les fils de sa toile
pipiri d’un seul jour : Profondeur d’une nuit immobile !
Fleur d’un seul amour : Profondeur de misères dressées !
Pagre en nasse dans un cercueil d’eau grise
Maître asservi à son propre pouvoir
Qu’as-tu fait de l’homme, Mort dévoreuse ?
4
Si la vie dans la vie trouve sa promesse
- et la promesse de la vie est une ronde sans fin,
un commencement commencé à chaque instant
dans chaque semence, dans chaque fleur
comme une ronde d’étoiles dans un rêve d’enfant –
Si la terre dans la terre porte sa floraison
et jusqu’en sa source
arrache au frémissement de sa chair
un chapelet de musique cristalline
Si le vent dans le vent court après le temps,
sur la volée de la feuille,
et le saisit dans les stigmates de la pierre
Si le feu est flamme dans les entrailles de la terre
et éclair dans la déchirure du ciel
Si la mer dans la mer roule son écume de sel –
Et que moi-même
au fond de la mer de sel
veuille plonger
et renaître avec des ailes
et plus loin, et plus haut
tournoyer.
Le chemin de l’homme n’est pas dans l’homme
mais au-delà
5
Et peut-être faudra-t-il embrasser la terre de cendres
et descendre les escaliers de marbre ;
peut-être faudra-t-il chevaucher le cheval de misère
jusqu’au bord de la dernière mer ;
peut-être faudra-t-il combattre et tourner en rond
derrière son ombre !...
Aléliron ! Aléliron pour une ronde !
La ronde de l’homme-cerf-volant
qui virevolte après le vent.
Et vent sont les mots,
Et vent est la musique
et vent tout ce qui donne des ailes, Aléliron !
Aléliron pour l’homme-serpent
car il est celui qui sait s’enrouler sur lui-même et se mordre la queue ;
car il est celui qui sait changer de peau
et sait danser comme une flamme.
Aléliron !
Aléliron pour l’homme-cabri !
Car il est celui qui a le pied léger
et qui peut sauter de roche en roche
sur les roches des falaises ;
car il est celui qui peut vivre suspendu entre soleil et tuf,
Aléliron !
L’homme-du milieu du jour c’est celui qui sait
le temps de toute chose
« Aléliron !
L’home est seul dans une ronde.
Aléliron !
L’home est tout seul dans une ronde »,
Dit l’homme du milieu du jour. Dit encore :
« Fuis ! Fuis loin de tous les chemins qui mènent
dans le ventre de la Mort dévoreuse !
Car le pouvoir est ombre. L’ombre de l’homme. »
6
Maître de l’ombre ! Si près
qu’il advint que notre vie se contempla
dans sa plus belle mort, la plus profonde
à l’ombre de toute mort.
Plus d’une fois
nous crûmes à la naissance de l’homme.
Et puis l’ombre avançait et recouvrait tout.
Combien de morts pour une vie ?
Combien d’hommes pour l’Homme ?
Du moins subsiste-t-il des traces,
jours figés, temps suspendus au fil du sens,
bouches amères de trop croire, bouches en cœur de trop savoir,
trace dans la trace,
nuit dans la nuit,
comme un autre combat à mener
pour arracher l’homme à son humanité.
7
Plonge avec moi, frère, au fond de la mer de sel
et renais avec des ailes ;
lâche l’homme de misère sur la terre de cendres
et couvre ton corps d’un manteau de cristal.
Les jours clairs ont goût de cannelle et habit de muscade ;
Là où tu es, il est un pays qui ne s’arrête pas.
Ose ! il est midi, frère !
Ah ! Comme je t’aime lorsque tu marches sur ton ombre,
Lorsque le soleil descend au-dessus de ta tête
comme un anneau de cuivre,
lorsque ta bouche devient âcre comme râpe.
Les jours clairs ont goût de cannelle et habit de muscade ;
Là où tu es, il est un pays qui ne s’arrête pas.
Fils de l’aube ! Je t’ai attendu droit sous la calebasse d’or
avec, dans le creux de la main,
mer et mancenillier.
Pour naître à la vie, il faut monter les marches célestes.
Jamais encore je n’ai joint plus belle heure
que l’heure de la solitude.
Les jours clairs ont goût de cannelle et habit de muscade ;
Là où tu es, il est un pays qui ne s’arrête pas.
Alors je t’ai vu venir sur le sable nacre,
corps meurtri de molles morts, traînant sous les pieds
l’empreinte des siècles humains.
Car toi aussi tu l’as porté, frère !
Ah ! Qui osera jamais lâcher la croix de l’homme ?
Qui osera la piétiner ?
Les jours clairs ont goût de cannelle et habit de muscade ;
Là où tu es, il est un pays qui ne s’arrête pas.
Meurs, frère ! Puisque tu n’es autre que le jouet de
la mort.
J’ai vu tes yeux
et ta misère dans tes yeux
telle une bête prise au piège.
Je viendrai dire mon chant à ta veillée.
Mais quoi ? N’est-ce pas seulement l’humain
qui en l’homme se meurt ?
Les jours clairs ont goût de cannelle et habit de muscade ;
Là où tu es, il est un pays qui ne s’arrête pas.
8
Et le plus dur, en vérité est ancré
dans la profondeur des siècles,
enraciné quelque part – mais en quelle partie de ton
rêve... ?
Je voudrais crier de rage devant l’étendue de ta bêtise,
devant l’étendue de ton infirmité...
Et puis non, que diable ! Tue-le, arrache-le,
ôte-lui sa couronne d’épines de dessus la tête.
- Car il n’est pas le fils de l’homme
mais l’homme même ;
car, en vérité, c’est moi qui vous le dis,
le fils de l’homme ne viendra pas pour porter la croix
de l’homme mais pour la piétiner !-
Allons ! allons en finir avec le temps de l’homme, allons !
Allons, amis ! Un dernier effort
l’homme agonise déjà !
Allons ! Nous rirons le jour des crécelles.
Car seul celui qui a des ailes pourra aller
au-delà de l’homme
9
Anneau de mer ! C’est toi qui tireras cette histoire
sous ta couronne d’écume amère.
Tu conteras le conte de la bête qui avait honte
et qui courait pour ne pas voir son ombre.
Souviens-toi : « Je serai maître de la vie
si je suis maître de la mort. »
(Et depuis, la terre avance ventre à terre
sur des chemins de malemort) .
Voilà l’histoire que tu diras, anneau de mer,
C’est un conte de lune amère.
Et lorsque les étoiles te demanderont :
« Mais quelle est donc cette bête, anneau de mer ? »
tu répondras : « Homme est son nom ! Je les ai vus
lui et son ombre, mourir sous la calebasse d’or,
trop lourds, trop las pour avancer encore. »
Alors vous chanterez :
« La vie est une ronde, une ronde,
tant qu’on y est, mieux vaut danser.
La vie est une ronde, une ronde,
un tour de ronde, et puis allez. »
10
Voici venu le temps
où toute chose apparaîtra dans sa vérité
sans masque, sans parure, sans fard, sans écho,
cendres de misères consumées
rêves blanchissant sous le midi du jour.
Y aura-t-il des yeux pour voir ?
Le siècle hurle. Prenez garde à ceux
qui s’agenouillent pour prier !
11
Cendres et sang, où est le partage ?
Dans les cactées le temps s’est fiché
et là est demeuré accroché, attendant
le défilé des vagues sous la lune de mer.
Les jours balaient les jours ; il n’est de sens
ni de fin en rien.
Cendres et sang, où est le partage ?
La même souche moisie, le même vain espoir,
les mêmes jours fanés, la même grimace,
le même calvaire, les mêmes soirs hâtifs,
les mêmes cimetières anonymes dans les mêmes nuits
blêmes
Plus absolu le sens, plus pesant le joug
Cendres et sang, où est le partage ?
Il y a comme une mémoire qui s’est saisie
des visages
comme une odeur de mangrove
et de jours putrides
plus haut juchés, plus accablés.
Il y a l’horizon qui s’est retiré comme
un voleur
et la vague lasse qui s’étire...
Quel avenir pour ceux qui croient ?
Cendres et sang, où est le partage ?
Le ciel a brûlé ses bordages et la nuit
est descendue telle une pluie de cendres.
Et l’âme lasse vide ses mensonges.
« Mais si ton amour est une tombe ?
Et si tes rêves n’ont pas d’ailes ? »
Cendres et sang, où est le partage ?
12
Le ciel a clamé : « l’homme c’est l’homme »,
Et les hommes enclos ont répondu : « C’est vrai
l’homme c’est l’homme »
Rien ne dégage telle puanteur que les mots
qui se décomposent
Hurle ! Hurle à la mort !
Prends garde !
Le cercle se referme comme un piège !
Hurle ! hurle à la mort !
Les uns après les autres, les mots crèvent
comme des vessies .
Déjà, il ne reste pas de mots pour crier après
les mots qui meurent.
Hurle ! hurle à la mort !
Prends garde !
Le cercle se referme comme un piège !
Hurle ! hurle à la mort !
13
La main ni la parole n’était une ni nue,
et la mémoire, en des dédales, se perd à chercher
sa source de délivrance...
J’ai fait promesse de transpercer l’air rance.
... Silence de savane,
silence de haute mer et de lune mature,
plus avant, le miel des mornes, plus avant
le rivage,
plus avant l’aube et son cordage d’acacia...
J’ai abdiqué aujourd’hui du nom d’Homme.
Alors j’ai descendu l’échelle de l’arc-en-ciel,
parmi un égrènement de sons creux
et de rêves désuets,
plus loin que la face de la terre...
Alors j’ai creusé une fosse dans les entrailles
de la terre
et j’y ai exposé son corps dans son habit de lumière...
Et son nom ne trouvait pas d’écho.
Silence de mort, silence de mots qui meurent,
le plus profond...
Silence de corps enfouis dans la profondeur
du silence.
La main ni la parole n’était une si nue...
14
Et toujours comme une hypothèse de l’âme,
comme un frémissement de chair – comme un étourdissement
de chair –
Comme un étouffoir,
comme une anse de lune, comme un œil d’oursin noir,
comme un œil d’or dans la nostalgie du jour
comme une langue de lézard,
comme une rancœur, comme un hoquet, comme un crachat,
comme une joie insane, comme une intuition,
l’amour
comme un dernier palier dans l’échelle de l’humain.
15
Ah ! Plus tard la nuit et son peuple d’étoiles,
plus tard les contes de lune,
quand la couronne d’or de reposera dans son lit
de mer.
Midi ! Et le soleil seul a titre à gouverner.
Midi ! Dans son habit de cuivre.
Et l’être lui-même s’est figé dans le balancement
du jour. Et même la graine, dans la terre
s’est émue. « Honneur et Respect. »
(Et le soleil s’est dénudé au sommet du jour)
Que savons-nous des choses innommables ?
16
Où êtes-vous tambourinaires du petit matin,
où sont les régisseurs de la mort, où sont
les convoyeurs de l’humain... ?
Où sont vos rames et vos navires,
où sont vos armes,
où votre puissance, où votre Loi... ?
- Et qu’importe qui tient le gouvernail
si les routes sont tracées –
A quand l’ombre ? A quand la terre de cendres ?
Chaque chose sa mesure,
chaque chose son mystère. Et le soleil seul a titre
à gouverner.
17
Que cherches-tu dans ta mémoire, que cherches-tu
dans ta chair ?
« Un grand jour clair et sans rides sur la face de l’eau ;
un grand jour clair et sans rires sur le masque de l’eau... »
L’espoir est fils de misère ; l’espoir est fleur de misère.
« Un grand jour clair et sans rides dans le miroir
de l’eau. »
(Et les gens de mer nous diront ce que la mer
a apporté avec sa rumeur.)
Que cherches-tu dans ta mémoire, que cherches-tu dans tes rêves ?
« Un grand silence de l’âme, comme un grand souffle de mer ;
un grand silence de l’homme comme un grand souffle de mort... »
L’espoir est joie de malheur ; l’espoir est foi de malheur.
- Et que dirons-nous encore que le silence n’ai déjà dit... ?
(Mais les gens de mer nous diront ce que la mer
a porté sur son vent de mer.)
18
Même si le sel a fondu dans le creux de ma main
sans rencontrer jamais ni lèvres, ni terre...
- Et, en vérité, je ne sais s’il rencontra jamais
lèvres ou terre –
Il se fait tard !
Et le mer s’est retirée, mais sa rumeur est parmi nous.
Même si la vague s’est lassée de sans cesse
s’élancer...
- Mais pourra-t-elle jamais se soustraire
au tourbillon du récif... ?
Et, en vérité, ce jeu n’est pas de haute mer –
Il se fait tard !
Et la mer s’est retirée, mais sa rumeur est parmi nous.
Même si je suis seul, tout seul sous l’anneau de cuivre...
(Et pour les noces, même la femme s’est abstenue !)
- Mais en vérité, à ces noces, je n’ai point convié
de croyants, de ces gens qui s’agenouillent au pied
des autels et boivent dans des calices...
Il se fait tard !
Et la mer s’est retirée, mais sa rumeur est parmi nous.
Même si la pierre n’a point gardé trace
de ce qui fut fait, de ce qui fut dit,
et telle la roche de rivière, est demeurée lisse
et nue...
- Mais que peut le temps contre le temps ?
Et, en vérité, c’et l’homme qui porte la trace,
et l’homme passe...
Il se fait tard !
Et la mer s’est retirée, mais sa rumeur est parmi nous.
Même si j’ai erré, loin des sources,
loin des hautes et lumineuses terres qui jouxtent l’air...
... Tant de choses ne savent mourir ni vivre !
Et, en vérité, l’homme est fatigué
et ne sait ni mourir ni vivre.
Il se fait tard !
Et la mer s’est retirée, mais sa rumeur est parmi nous.
Même si l’écume a disparu dans le matin blême...
Et la mer, comme un banc de sable amer...
Il se fait tard !
Et la mer s’est retirée, mais sa rumeur est parmi nous.
In, Revue « Cahier de poésie, 3 »
Editions Gallimard, 1980
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