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Le bar à poèmes
27 novembre 2020

Gilbert Trollier (1907 – 1980) : Métamorphoses

G_Trolliet[1]

 

Métamorphoses

 

Eclair, essence qui chavire !

L’horizon naît instantané,

L’âme silencieuse expire

Dans un soliloque acharné.

 

Eclair impitoyable, achève.

Achève de nous mettre à mort,

La terre déjà se soulève

A la rencontre de nos corps.

 

Elle germe, sa pure haleine

Nous dérobe le sol humain,

Je vois un long réseau de veines

Comme un dédale de chemins.

 

Veines du corps et de la terre,

Le sang tumultueux me fuit,

Je reçois une cuve entière

Du sang noirâtre de la nuit.

 

O silence des nuits futures,

Grandeur usurpatrice, élans

Jusqu’à mes prunelles impures

Depuis que les astres sont blancs.

 

Le sang, la chair vivent ensemble,

Réunis dans un même aveu,

C’est toute la forêt qui tremble

Dans la masse de ces cheveux...

 

Le règne des métamorphoses

Pose les yeux tout à l’entour,

Je ne sais si je vois des roses

Nager dans l’air, ou des vautours.

 

Ou l’image perpétuelle

Du chaos sans cesse échappant

A nos mains fines et cruelles,

A nos visages galopant.

 

Masques de feu, masques de cendres,

Déséquilibrés – c’est assez

D’oxygène pour nous défendre

De revivre désenlacés !

 

Connais la nuit quand elle éponge

Nos flancs qui ne s’épargnent plus,

Les mille ruelles du songe

Vont la protéger de la glu.

 

Le sang dore les mêmes places,

Des feux géants sont allumés,

Si l’aurore nous désenlace

Nous aurons néanmoins aimé !

 

Pleure ! la solitude égoutte

Les larmes feintes d’aujourd’hui.

Cheveux mouillés, plaine en déroute

Sous le fleuve, épaule où je suis.

 

Pleure ! l’homme a besoin de boire

Et l’ombre de pleurer en vain

Sur la tête qui reste noire

Quand la flamme gagne les seins.

 

(Un éclair, et la nuit m’empêche

De visiter plus avant

Une mystérieuse brèche

Taillée au rasoir dans le vent.)

 

Et l’ombre liquide m’attire,

Je suis prisonnier de la mer,

Je ne puis plus ne pas le dire

Ni regagner ce que je perds.

 

Les mots foisonnent dans la vase,

Le fleuve aliment mon corps,

Cette muette et sombre extase

Ressemble aux voiles de la mort.

 

Que l’obscurité s’épaississe,

Je n’aurai plus qu’un lent miroir

Pour écouter plonger Narcisse

A ma rencontre, et pour le voir !

 

O silence creux, l’oxygène

A cessé de rejoindre l’air,

Le sang s’arrête dans les veines,

Les yeux regardent à l’envers.

 

Au-dedans siffle l’incendie,

Couchant rouge perpétuel,

Et les feuilles sont désunies

Et participent au duel...

 

Cette flamme est sans raison d’être,

Le feu monte en paquets de sang ;

Verrons-nous l’âme disparaître

Dans un orage tout puissant ?

 

Orage, ennemi de la pluie

Que tu libères en torrents,

Tu nous accables sous la suie

Et l’eau se mêle au fleuve errant.

 

(L’eau, le fleuve et la suie, et l’ombre,

La cendre et le sang, l’horizon,

L’océan fumeux où je sombre

Ay fil des astres, oraisons !)

 

Mais la chair reste dévolue

A tes mains qui voguent sans heurt

Et caressent l’onde si nue

Avec une telle lenteur.

 

La chair (et cela recommence),

La chair halète sous son bât,

L’éclair observe le silence

Puis sourit, tragique, et s’abat.

 

Cortège long jusqu’à la terre,

L’espace jamais déchiffré

Passe en tribus incendiaires

Tes grand orbites effarés.

 

Plonge, si le feu le déchire !

Une torche vive n’est point

Suffisante à qui veut élire

Domicile dans le lointain.

 

Plonge, plonge ! l’arche fluviale

Se greffe à ton corps entr’ouvert,

Désormais l’heure végétale

Te presse, limon de la mer !

 

Revue « Bifur, N°6 »

Editions du carrefour, 1930

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