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Le bar à poèmes
26 novembre 2020

Jean Mambrino (1923 – 2012) : Clairière (41 – 48)

jean_mambrino2[1]

 

Clairière

 41

si tes chemins filent

ne les retiens pas

 

comment les garder en laisse

chacun tire de son côté

 

chacun file à toute allure

sur la trace d’un secret

 

comment retrouver le mien

quand le vent a disparu

 

avance                les yeux brûlés

le cœur perdu

sur la rivière de ton sang

                                           parmi les arbres

 

(le sang versé)

 

c’est en toi-même

que tu déroules           ton chemin

 

je suis sa trace

 

le sentier    le sang    la nuit

une seule obscurité

                                   jusqu’au matin

 

il te reste tes mains nues

où se croisent tous tes chemins 

 

42

un à un

se lèvent les voiles

de la forêt

 

les brumes les odeurs

les feuillages

 

l’un après l’autre

les voiles de l’été du matin

du bonheur

 

et se dévoile l’épaisseur

des rayons des songes

des visages      

 

un à un apparaissent       

les voiles derrière les voiles

les fumées les parfums

les lueurs

 

où s’efface et se  dessine    

 

une gloire       revêtue

de blessures et de douceur 

 

toujours plus proche et plus

lointaine

 

un à un se lèvent

les voiles de la forêt

dans nos cœurs

 

ô clairière

 

43

c’est ici

que la lumière

est toujours faite d’ombre

 

chatoyante            embrasée

elle se fond dans les feuilles

les mousses    les broussailles

ou la chair de l’aubier

 

ne restent que les traces

noir et or

de l’incendie

et mille lambeaux de sang

sur les branches

 

le vent lui-même

malgré ses étoiles

demeure obscur

 

chargé d’oubli

 

44

tu te perds

                  là où bougent les chemins

 

mais quand s’efface

                                toute piste

 

           tu avances

                    tel l’oiseau dans le ciel

ou la truite le long des veines

                                               de l’eau

 

guidé vers la clairière

                   par la lumière

                                        ou le souvenir

                          d’un seul matin

 

45

qui a jamais vu

les yeux

de l’origine

 

les yeux de la transparence

sans mémoire

 

ce regard

ou la courbure du ciel

n’est plus qu’une pointe de feu

 

l’ouverture        d’où déferle    

l’aube incommencée

 

l’embouchure 

                         de la lumière 

 

un soir au bord de la clairière

peut-être verras-tu

un reflet de l’embouchure

mais la source

                         bien avant l’embouchure

 

les yeux de l’origine

 

46

la lumière    touche

ton épaule

 

tu te retournes

 

et la lumière     a tourné

avec toi

 

la forêt ferme tes yeux

pour que la lumière

te voie

 

ta nuit est protégée

la lumière est là

 

et la clairière s’ouvre

sur une autre nuit

 

elles se reconnaîtront

sans toi

 

au fond de tes forêts

brille

                                         l’oubli

 

47

il y a des noisettes dans la haie

parmi les églantines

que nul ne viendra cueillir

avant l’hiver

 

inutile offrande

qui de loin en loin désigne

l’absence de la forêt

 

avec quelle douceur les feuilles

toutes ensemble

silencieusement se passent

la profonde rougeur

semblable à l’or qui défaille

 

le pèlerin errant les yeux levés

dans les rayons de la merveille

ne parvient pas à entendre

cette phrase        en vain

transmise de toute part

 

mais son âme alertée   tressaille

 

48

ailleurs

               mais c’est ici

où l’heure brûle sur le rocher

qu’entoure une petite brise

et rythme le sang    le temps des chênes

l’ailleurs      tapi

dans le sans fond de la forêt

 

il n’est pas ici

ou là          il est

ici

 

il s’approche quand tu caresses

le duvet des sources

la pluie qui dort

quand tu soignes les blessures

du vent

ces yeux qui pleurent du sang

à travers le branches

 

quand tu le touches

tu ne sais pas

 

quand il te touche

tu l’oublies

 

la forêt est toujours ailleurs

ici

 

 

 

Clairière,

Editions Desclée de Brouwer,1974  

 

Du même auteur : 

Le (26/11/2014)

Clairière (1 – 15) (26/11/2015)

L’aube (26/11/2016)

Le point du jour (26/11/2017)

Clairière (16 – 30) (26/11/2018)

Clairière (31- 40) (26/11/2019)

Clairière (49 - 55) (26/11/2021)

Clairière (56 - 64) (26/11/2022) 

Clairière (65 - 70) (26/11/2023) 

 

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