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Le bar à poèmes
14 novembre 2020

Mikhaïl Iourievitch Lermontov / Михаил Юрьевич Лермонтов (1814 – 1841) : La mort du poète / Смерть поэта.

 

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La mort du poète (1)

 

                                                                                                                Vengeance, souverain, vengeance !

                                                                                                                Que ma supplique monte jusqu’à toi :

                                                                                                                Soutiens le droit et punis l’assassin,

                                                                                                                Fais que son châtiment de siècle en siècle

                                                                                                                Proclame ta justice à l’avenir

                                                                                                                Et fasse la frayeur des criminels.

 

Le poète est tombé ! – prisonnier de l’honneur,

          Tué par des ragots infâmes ;

Le plomb au cœur, la soif de vengeance dans l’âme,

          Il a baissé son front vainqueur.

          L’indignation fut trop profonde.

          Devant les lâches, les retors, -

     Il s’est dressé contre les lois du monde.

     Seul comme à chaque fois... et il est mort !

          Mort !... à quoi bon les larmes vaines,

Des louangeurs tardifs le cœur inopportun

          Le babil des excuses, de la gêne ?

          L’heure a sonné de son destin !

          N’avez-vous pas dès l’origine

          Persécuté son libre don,

          Soufflant sur des flammes mutines,

          Pour vous distraire, sans raison ?

          Réjouissez-vous... l’offense ultime

          L’aura jeté dans le tombeau :

          C’en est fini du cœur sublime,

          De l’âme fière, du flambeau.

          Le meurtrier reste impavide,

          Il vise et tire... affreux combat :

          Son souffle est froid, son cœur est vide,

          Son pistolet ne tremble pas. 

          Pareil à des centaines d’autres, 

          Chassé chez nous de son pays, 

          Quêtant la chance et les profits, 

          Il méprisait ce qui est nôtre, 

          Et notre langue, et nos chemins ;

          Que savait-il de notre gloire ? 

          Inscrit au sang dans nos mémoires, 

          A-t-il compris pour notre histoire 

          Sur quoi il a levé la main ?

 

     La mort l’a pris, la terre va le prendre,

     Comme l’autre poète obscur et tendre,

          Proie d’une aveugle jalousie –

Lui que si puissamment il avait fait entendre –

Abattu comme lui par un coup sans merci (2).

 

Pourquoi, quittant la paix et l’amitié sincère,

A-t-il cherché ce monde envieux mortifère

          Pour un cœur libre et des passions de feu ?

Pourquoi a-t-il serré la main flasque des traîtres,

A-t-il cru les flatteurs, faux-frères du paraître,

Lui qui, depuis toujours, nous connaissait le mieux ?

 

Et le découronnant, ils mirent des épines

     Sur ces lauriers qui paraissaient l’orner :

     Et la douleur de mille pointes fines

          Brûlait son front illuminé ;

Les infâmes ragots d’arrogants imbéciles

Souillèrent de venin ses heures ans issue –

Il est mort assoiffé de vengeance stérile,

Plein du dépit secret de ses espoirs déçus.

          Les sons divins ont su se taire,

          Nous aurons beau les rappeler -

Il n’a plus qu’un abri, la sombre et froide terre,

          Ses lèvres pour toujours scellées.

*

Mais vous, les héritiers, vous, arrogante foule

          Que l’infamie des pères couvre d’or,

          Vous dont les pieds d’esclaves foulent

Les débris des lignées accablées par le sort ;

Pressés autour du trône, assassinant, féroces,

          La Liberté, la Gloire, le Génie -

          Vous dont les lois protègent les négoces,

Le juge devant vous frissonne et se renie ;

Pourtant, un autre juge existe, il est terrible - 

          C’est le Dieu de Justice, il vous attend :

A l’or et aux honneurs Il demeure insensible,

Il lit au fond des cœurs, Il a le temps.

Devant Lui, plus de fard, Il vous voit, Il vous sonde,

          Mentez encor, vous subirez Sa loi :

Vous ne laverez pas de votre sang immonde

          Le sang du poète au cœur droit.

 

Janvier-février 1837

 

(1)     Il s’agit de Pouchkine.

(2)     Allusion au sort de Vladimir Lenski, dans Eugène Onéguine

 

Traduit du russe par André Markowicz,

In, « Le soleil d’Alexandre. Le cercle de Pouchkine 1802 – 1841 »

Actes Sud, éditeur,2011

 

La mort du poète

 

Le poète est tombé, prisonnier de l’honneur,

Tombé calomnié par l’ignoble rumeur,

Du plomb dans la poitrine, assoiffé de vengeance ;

Sa tête est retombé en un mortel silence.

 

     Hélas ! sous le poids des offenses,

     L’aède élu s’est affaissé,

     Comme avant, contre l’arrogance

     Des préjugés, il s’est dressé.

     Le chœur des louanges confuses

     Est vain comme sont vains les pleurs

     Et les pitoyables excuses.

     Le sort a voulu ce malheur...

     Or, c’est vous qui, dès ses débuts,

     Persécutiez son pur génie,

     Pour en rire, attisant sans but

     La flamme où couvait l’incendie.

     Il n’endura pas le dernier

     Cruel outrage à sa personne.

     Son flambeau, hélas ! s’éteignait

     Flétrie son illustre couronne...

     Son meurtrier a froidement

     Braqué sur lui l’arme fatale.

     Un coeur vide bat calmement,

     N’a pas tremblé la main brutale.

     Quoi d’étonnant ? Venu d’ailleurs,

     Il trouvait chez nous un refuge

     Pour capter titres et bonheur,

     Comme d’autres nombreux transfuges.

     Il raillait, en les méprisant

     La voix, l’esprit de notre terre ;

     Sa gloire, il ne la prisait guère

     Et dans ce funeste moment,

     Ni lui, ni d’autres ne savaient

     Sur qui sa main s’était levée...

 

Et le voici tombé, descendu sous la terre,

Tel l’aède inconnu, mais cependant chéri,

Si merveilleusement dans son œuvre décrit,

Qui, dans un mouvement de jalousie amère,

Par une main cruelle, ainsi que lui, périt.

Pourquoi délaissa-t-il pour ce monde coupable,

Trop étroit pour l’élan de son âme ineffable

L’amitié dévouée et ses douceurs aimables ?

Crût-il aux faux -semblants de ces vils flagorneurs,

Lui, si jeune pourtant, ayant compris les hommes ?

Arrachant sa couronne à ce génie altier,

Ils mirent sur son front la couronne fantôme,

Où l’épine acérée est unie au laurier,

Et qui blessait sa tête à des pointes d’acier ;

Et ses derniers instants, ils les empoisonnèrent

De murmurent moqueurs, ô railleurs ignorants !

Il mourut assoiffé de vengeance exemplaire

Et cachant le dépit d’un espoir décevant.

 

     Ses chants mélodieux se turent,

     Ainsi que se rompt le roseau,

     Sa demeure étroite est obscure,

     Sa bouche est close par un sceau.

 

Ô vous, ô descendants des ancêtres fameux,

Fameux par leur bassesse et par leur infamie,

Vous foulez à vos pieds les restes des familles

Que la chance offensa dans ses joies et ses jeux.

Le trône est entouré de votre cercle avide,

Bourreaux des libertés, du génie, ô perfides,

Vous qui vous abritez à l’ombre de la loi,

Devant vous tout se tait, la justice et le droit ;

Il est un tribunal, ô favoris du vice,

Vous n’échapperez pas à l’ultime justice !

La médisance et l’or, cette fois, seront vains,

Dieu connaît la pensée et les pas des humains,

Et tout votre sang vil ne pourrait effacer

Le sang pur du poète, injustement versé.

 

Traduit du russe par Katia Granoff

In, « Anthologie de la poésie russe »

Editions Gallimard (Poésie), 1993

 

Du même auteur :

« De ma geôle ouvrez-moi la grille… » (15/11/2015)

La voile / Парус (15/11/2016)

« Lorsque s’agite et joue la plaine jaunissante… » (15/11/2017)

Monologue / Монологa (15/11/2018)

« Adieu, Russie, patrie pouilleuse ...» / « Прощай, немытая Россия ... » (15/11/2019)

La mort du poète /Смерть поэта. (15/11/2020)

La patrie / Родина (15/11/2021) 

« Pareil au ciel, ton regard brille... » / « Как небеса, твой взор блистает... » (15/11/2022)

 

 

 

СМЕРТЬ ПОЭТА

Отмщенья, государь, отмщенья!

Паду к ногам твоим:

Будь справедлив и накажи убийцу,

Чтоб казнь его в позднейшие века

Твой правый суд потомству возвестила,

Чтоб видели злодеи в ней пример.

 

 

        Погиб поэт! — невольник чести —  

            Пал, оклеветанный молвой,      

С свинцом в груди и жаждой мести,

        Поникнув гордой головой !..

        Не вынесла душа поэта

        Позора мелочных обид,

        Восстал он против мнений света

        Один, как прежде... и убит!

        Убит!.. к чему теперь рыданья,

        устых похвал ненужный хор

        И жалкий лепет оправданья?

 

        Судьбы свершился приговор!

        Не вы ль сперва так злобно гнали

        Его свободный, смелый дар

        И для потехи раздували

        Чуть затаившийся пожар?

        Что ж? веселитесь... — он мучений

        Последних вынести не мог:

        Угас, как светоч, дивный гений,

        Увял торжественный венок.

        Его убийца хладнокровно

        Навел удар... спасенья нет:

        Пустое сердце бьется ровно.

        В руке не дрогнул пистолет,

        И что за диво?.. издалека,

        Подобный сотням беглецов,

        На ловлю счастья и чинов

        Заброшен к нам по воле рока;

        Смеясь, он дерзко презирал

        Земли чужой язык и нравы;

        Не мог щадить он нашей славы;

        Не мог понять в сей миг кровавый,

        На что́ он руку поднимал!..

       И он убит — и взят могилой,

        Как тот певец, неведомый, но милый,

        Добыча ревности глухой,

        Воспетый им с такою чудной силой,


Сраженный, как и он, безжалостной рукой.


Зачем от мирных нег и дружбы простодушной


Вступил он в этот свет, завистливый и душный


Для сердца вольного и пламенных страстей?


Зачем он руку дал клеветникам ничтожным,


Зачем поверил он словам и ласкам ложным,


     Он, с юных лет постигнувший людей?..


И прежний сняв венок, — они венец терновый,


Увитый лаврами, надели на него:


     Но иглы тайные сурово


     Язвили славное чело;


Отравлены его последние мгновенья


Коварным шепотом насмешливых невежд,


     И умер он — с напрасной жаждой мщенья,


С досадой тайною обманутых надежд.


     Замолкли звуки чудных песен,


     Не раздаваться им опять:


     Приют певца угрюм и тесен,


     И на устах его печать.

 

 

     А вы, надменные потомки


Известной подлостью прославленных отцов,


Пятою рабскою поправшие обломки


Игрою счастия обиженных родов!


Вы, жадною толпой стоящие у трона,


Свободы, Гения и Славы палачи!


     Таитесь вы под сению закона,


     Пред вами суд и правда — всё молчи!..


Но есть и божий суд, наперсники разврата!


     Есть грозный суд: он ждет;


     Он не доступен звону злата,


И мысли и дела он знает наперед.


Тогда напрасно вы прибегнете к злословью:


     Оно вам не поможет вновь,


И вы не смоете всей вашей черной кровью


     Поэта праведную кровь

 

Poème précédent en russe :

AnnaAkhmatova  / АннаАхматова : « Nous ne boirons pas dans le même verre... » / « Не будем пить из одного стакана... » (04/0720/20)

Poème suivant en russe :

Nikolaï AlekseïevitchNekrassov/ Николай АлексеевичНекрасов : « Ô Muse !... » / « О Муза !... » (06/01/2021)

 

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