André Dhôtel (1900 – 1991) : Stilnô
STILNÔ
En suivant la route d’émeraude
Qui mène vers Tsilbaal
J’ai rencontré le pays du rire
Aux arbres les frondaisons superposées étaient des cymbales
Aux ruisseaux étaient tendues des cordes d’argent chanteuses
Quelle phrase étrange dira tout cela
Quelle phrase ayant la douceur de sifflement des serpents
Et la voix de l’homme en ce pays (oh ! comprendrez-vous ?)
Sa voix était le glissement des lumières au ras des nuages
Sa voix était le parfum était le rayon
Mais il faudrait posséder la folie pour dire cela.
J’allais vers la ville du rire.
Je n’osai parler et j’eus peur quand j’entendis ma voix
Mais je m’extasiai aussitôt
Elle avait l’ampleur endormeuse des cascades lointaines
Et je pus prendre part aux banquets des dieux du rire
Et je me promenai dans les failles bleues
des allées en forêt avec les dieux du rire
Et je m’arrêtai aux cratères de marbre
où dansaient les eaux vertes
Et j’entendis Stilnô !
« Diamants éparpillés
« Sombres violences de lourds archets
« Le cirque est plein
« Jonglez ô parodistes
« Silence !
« Je vois soudain autre chose
« Oh ! les plis bleus transparents sur tes seins clairs
« Hespera, respiration des étangs
« Pétale balancé en l’air plein de sillages
« Longuement tu agites les bras
« Vers moi.
« Tes jambes longues sous le voile
« T’emportes vers moi.
« Viens sur ma poitrine
« Je te raconterai comment dans un tronc creux
« Le Fils des mouettes
« Alla vers l’île mystérieuse
« Autre chose encore
« C’est au plus profond de l’hiver
« Fleur d’aube, le givre est sur les prés
« Je vois des enfants
« et des lilas regrettés vivants extraordinaires
« Les enfants portent les lilas
« Allons par les chemins sonores
« Au sein des baies gelées
« Et sur les étangs miraculeux
« Où les pierres jetées
« Sont restées suspendues
La joie était alors
Comme était
l’or sur les boucliers
Quand Stilnô dit
« Car la poésie est une limite
l’éclat de rire à l’aube de la folie ».
O spectres idiots, reculez au lointain des décors dorés.
Ou suis-je ? Chez les histrions – les gens furieux,
Au sein de l’atroce banalité
Retrouverai-je la route qui descend de Tsilbaal vers les plaines paisibles ?
Je ne sais plus
Depuis que Stilnô parla en mon cœur
et chanta « l’Invitation à la folie »
Stilnô le dieu du rire
Stinô le clown hideux et banal
In, Revue « aventure N°3, janvier 1922 »
Du même auteur : Lointaine (19/10/2019)