Jacques Dupin (1927 – 2012) : Malevitch
Malevitch
Fatal / comme en un glissement pur violent /
premier visage diagone
percer ce rempart et jaillir / que le rouge et
le blanc s’affrontent / et s’annulent
que le noir coupe
le blanc / et que le blanc revienne du bord / ou
de l’absence de limites / compact signifiant
que les
couleurs écrasées s’éteignent se retirent / nous han-
tent désormais comme exclues de l’œil
infaillible
tirent
et recoupent / l’énergie dont il tremble lui de re-
naître / de se voir / encore / le plus puissant
peseur de traces parmi l’abstraction de mon corps
une immense énergie unitaire dressée trans-
portée accusant notre / gravitation éparse arbitraire
/ qui ne tire du sol et du ciel / que l’ombre du ciel
et du sol / des astres et de la terre / que la saveur
dissidente de sa propre dispersion / corps démembré
réconcilié vacant
offert comme une brèche dans la né-
gation du mur oscillant / au soleil / comme un
fruit / la chair mémorable d’un fruit dans l’air
nu
ou dans l’air qu’il dénude lui / par l’inscription-
rupture d’une géométrie fulgurante / l’élargisse-
ment – suffocation de la vitesse / et de la nuit...
toiles déconcentrées reconquises / lire l’espace nais-
sant vivre de la couleur surgie qui annule / et la
salve de traits / les représentations malgré elles /
et la figure / de la représentation même
la couleur
surgie qui se fortifie de se détruire
je viens d’en vivre
l’accès / sans parcourir concrètement une surface
par un tel flux d’intensité irradiée / qu’un tel silence
/ autre et du / fasse jouir à l’infini de sa trame
violence ouverte
le carré qui se dissocie / du tableau / pour nous
rattacher à la terre dans l’éclatement de la galaxie
qu’il absout
son autorité reployée / vacante / d’un rebours
absolu l’écriture se dépouille
de tous les oripeaux vécus
trempés transfigurés / abordés comme figures
de la durée réparatrice
soldée pour le ralliement de
quelque / soleil
et l’écriture encore selon le brusque / éclaire-
ment / des angles les tracés obliques les récits
tronqués les scissions d’espace / la numération du
fanal exclu
s’ingénie à rompre s’introduit en lui
succombe à son incessant flux / de météores
toute surface frappée selon l’angle dont il s’est
épris enfante en tel instant / ou telle conjonction
d’astres déroutés
un intervalle de blocs disjoints /
appareillés / les yeux ouverts / par sa balistique
innocente
à la vitesse oblique d’un rayonnement
qu’accélère amplifie / le noir hanté de son som-
meil / le blanc de l’espace enfin / habilité
incidence polyvoque puisqu’également je la nie
/ ou l’ignore ou la tire / de l’échiquier pour en
respirer la projection / contre un versant de
fleurs
ou qu’elle accentue enfin le noir oscillant /
la trêve / une enfance déchiquetée incomparable
dont s’ouvre la transparence au futur
ni lui le scripteur qu’une seule secousse introduit
/ ni lui / le même / indifférent / perdu dans
quelque buisson de valences et d’odeurs
n’en-
chaînèrent un autre à ce prélude d’ossements /
rébarbatif / devant le splendide carreau ruisselant
de la fenêtre Malevitch
un exercice démesuré du
voir et du surplomb comme à travers la faille /
d’une trépanation
morcellement du cercle seul dilemme d’ingénus vec-
teurs allégés de nos larmes / et réticences / ils
constellent et sillonnent l’aigre chemin futur
que notre déflagration rémunère
la croix pervertie / son rire / la sauvage et
quadruple trace de la mort déjà couchée
- quand
l’énergie potence en effigie renonce / ou presque le
sourire de celle qui / ou d’un air troublé / d’une
multitude d’accords
l’angle très ouvert des cuisses étant / recoupé
par la constellation / le déferlement de figures dans
le delta / actives blanches dans le neutre blanc
ainsi je suis dehors les obliques / interrompues
/ traversent la double masse verticale de la potence
érigée sur mon poing / faucon / fatal
à la rencontre de trois murs inexpliqués par le
déplacement de l’épure / ivre / dont le cours tor-
rentiel la criblante certitude / favorise le suspens
la suspicion angulaire / d’astres / et leur redou-
blement au sommet
Comme le geste d’occuper tout l’espace ici
ferait sortir / du blanc / quelque araignée /
ou scrupule / son besoin d’activité ou génie accom-
plit le bond que résorbe / croise / et nie / la
saignée du coude
n’ayant plus d’enfant à te sacrifier angle éternel
inconstant / ouverture / ni de couleur à marty –
riser
contre la taie de l’œil bleu blanc / de l’aveugle
que je deviens / calme / comme par une seconde
naissance ignée
j’aurai décidé de voir
l’invariant l’anti-genèse Malevitch
racine
d’un feu sans fumée / le temps épars / concassé
et rejoint / afin que la terre le toit les fleurs /
dont l’écriture endosserait la rancune et les guenilles
mais
contre la toile et le ciel / crie l’ordre insensé Male-
vitch
du désastre accompli dont je provoque / défi-
gure ou trame
l’obliquité du sang / soudain jeté haut / trait
rompu et repris / qui clame / silencieusement
/ son accord
quel autre parallèlement à la même dérive
ou réflexion sévère / glisserait s’effondrerait
entre les ais de la mort volontaire / ouvrant le
nombre / calcinant
cet unique bloc de regards
de gouffre et de vent
ironiquement lapidaire par
intensité différence / et répercutant son refus
chaque glacier comparaissant devant l’eau serrée de
l’une / ou l’autre source
dans la chambre de toile et nul autre / lieu
/ autre aux trois cris carrés inégaux qui se coupent
et
couleurs embrasées enhardies
d’un bord à l’autre / sans la limite / qu’un
regard inventerait ou quelque effluve de putréfac-
tion / autre car nous sommes vivants / ou agités
de mort récente deux engendrant trois carrés /
furieux / de la seule poussée d’un plafond blanc /
tôt levé / héroïque il assume
le gouffre
et hors de la toile ou du malheur
l’évasion / ou la dérive cohérente / seule
à la poignée de guerriers aux idées lan-
cées croisées
de joueurs le départ / le conflit encore
qui se projette blanc et noir / ou inversement blanc
sur blanc / hors du rouge refoulé
du rouge poussé au blanc cristal abstraction
carré du sang arraché à sa douleur
l’attente / l’attentat de l’impossible espace
Dehors
Editions Gallimard, 1975
Du même auteur :
« j’ai cru rejoindre par instants… » (28/06/2014)
Grand vent (27/06/2015)
« Expérience sans mesure… » (28/06/2016)
Le règne minéral (28/07/2017)
Chapurlat (28/07/2018)
« Se lever tôt... » (28/07/2019)
Enoncé (1) (30/06/2022)