André Dhôtel (1900 – 1991) : Lointaine
Lointaine
Cependant je voudrais sourire en effeuillant doucement un amour calme –
Ils avaient soif, ils se sont penchés sur les pierres – Là –
Ils ont marché, ils ont lié leurs bras – ils flottaient comme deux nuages
Le long du ruisseau qui dit sa bonne chanson – Ils sont restés longtemps
debout, arrêtés, oscillants. Et l’arbre a secoué un rire au-dessus de leur baiser.
Nous ne toucherons plus – serment sur une échelle de soie – aux fanées, aux
demoiselles des champs aimées et respirées, il y a si longtemps qu’elles ne sont
plus que momies. Car on ne peut savoir tellement est sacré le souvenir si les
rythmes ne sont qu’une tendresse dernière, faiblesse de vivre, lorsqu’ils revien-
nent en nous, toujours pareils à ceux d’il y a si longtemps.
Nous n’irons plus au bois
Les lauriers sont coupés
Sous les frondaisons chaudes et éteintes
Nous ne glisserons plus, penchées,
Vers les muguets doucement sonores à notre cœur.
Filles des hameaux sous le lierre
En sautant vers la lisière du bois
Plus ne tendrez vos jarrets dorés.
Combien de fois nous sommes revenues dépeignées
Tant nous fûmes prises aux épines des mûres.
A la branche d’un roi chêne,
Nous nous suspendions à deux,
Et nous volions en faisant des pas de sept lieues.
Ne plus s’en aller dans des sommeils sous les branches baissées.
Mettez vos sabots. Soufflez sur le feu d’hiver. Il y a beaucoup de
sarments dans un coin de la grange. Faut plus penser, surtout.
Nous y retournerons aux clairières closes.
Oui. Oui l’année prochaine.
La côte. On voit tous les pays. Toutes les routes. Pourquoi n’est-ce
pas comme il y a deux mois ? Pourquoi les pas profonds de deux chevaux
revenant des champs sont-ils terribles ?
- Ne vas pas au bois, Marie-Jeanne.
- Pourtant j’en suis à trois sauts. Je veux voir encore une fois.
- Non, vois-tu, tes enjambées n’éparpillent pas de sauterelles.
Ils sont six corbeaux qui t’attendent au creux du pré vieilli.
Il ne faut pas Marie-Jeanne. Reviens sous la cheminée attendre.
Nous n’irons plus au bois.
Les lauriers sont coupés.
Nous y retournerons l’année prochaine.
Et quel est donc ce chant ?
Quelles filles à l’automne y ont pensé ?
Quelles filles ont su qu’elles étaient désespérées ?
Cela s’est passé bien simplement, lorsque des ramilles fines comme des
chapelles, ont chu les rieuses, les sifflantes, les tournoyantes, les moqueuses,
les miroitantes.
Personne ne s’est aperçu de rien
Pourquoi donc parler de cela ?
Trirèmes à longues robes
Fuyez, emportez les urnes de cendres.
Votre rythme s’apaise loin de la terre
Je vous ai donné aussi, nautonniers,
Les bagues de mes aïeux, leurs effigies et tout de moi.
Vous avez franchi le dos de la mer.
Libre suis. Palais, vous ne saurez plus que mon nom
Route soleil mesures neuves.
Je me moque de tous les passants
Ils rentrent chez eux ou bien vont au temple. Ah ! Ah !
Ménestrel suis sans sou ni maille.
Toi, je passerai te prendre à la courbe du chemin
Et je t’aimerai un peu viole craintive, gerbe liée, arceau nu.
Presser des fruits. Jeter des cailloux par-dessus le plus haut peuplier.
Sauter les murs sans peur des chiens. Dévaler les vignes.
Les gongs où tourne la lumière, les gongs au ventre hilare ont un hymne
obscène.
Beau temps. Crible d’or. Ensemencements.
Tout est cruel impitoyable.
Mais le jour est fini
Sous les bois s’étreignent
Des couples douloureux, des couples d’au-delà
Nous n’irons plus. Mais des gammes s’éparpillent
Le premier court dans tout le clavier du ciel
Le chemin du moulin conduit au Paradis
Quelqu’un. Chut. Dans le chemin du moulin
Elle est seule et pâle
Pas un fantôme. Non.
Son bras serre un panier
Nous n’irons plus là-bas
Où donc n’irons-nous plus ?
Je sens l’odeur de sa tête qui a dormi cette après-midi dans les foins de la
grange
Marie-Jeanne
Nous n’irons plus au bois.
Les lauriers sont coupés.
Nous y retournerons l’année prochaine.
In, Revue "Dés, N°1, Avril"
Meudon (France), 1922
Du même auteur : Stilnô 19(10/2020)